Qu’on évoque le coup de tonnerre de son tableau La jeune fille au ballon auto-détruit en partie lors d’une vente chez Sotheby’s (octobre 2018) ou Venise in oil, une de ses toiles dénonçant le scandale des bateaux de croisière polluant la lagune de la Sérénissime, le street artiste Banksy ne laisse personne indifférent.
Dans un essai court mais fort efficace, Hugues Bernard revisite le parcours depuis les années 90 de l’artiste anonyme, jadis quasi délinquant, désormais devenu star mondiale dont les œuvres valent des fortunes (un de ses pochoirs peut ainsi quadrupler la valeur d’une habitation même abandonnée).
L’intérêt majeur de l’ouvrage qui contextualise le travail de Banksy dans le courant du street art est d’insister sur la dimension polémique et conflictuelle qui caractérise la pratique de Banksy, lequel rêve de faire de l’art sans artiste, ce qui le sépare radicalement d’un Shepard Fairey / Obey. Car il importe de rappeler qu’à l’origine celui qui est originaire de Bristol a légitimé ses premières productions par un combat contre “le monde de l’art” et ses spéculations financières.
C’est donc la quête d’un “système autonome” qui motiverait les œuvres militantes d’un Banksy aussi critique que sarcastique contre le “star system” où les œuvres d’art ne vaudraient que comme purs biens de spéculation.
Le pochoiriste rebelle qui est aussi, à ses heures, sculpteur et documentariste serait pour certains une sorte de moderne Robin des bois qui, en dépit de l’incontestable reconnaissance mondiale de son travail, aurait su conserver une pratique “vandale”. D’où son refus stratégique d’être associé à des campagnes publicitaires ou à des ventes aux enchères. Un artiste contestataire qui, dans le sillage de Warhol et du pop art, condamnerait l’overdose de médiatisation du monde ou la recherche de célébrité comme seule preuve de réussite sociale.
Manière à lui de défendre la vie privée de l’individu face à la société du Big Data.
Banksy — Dr Vandale et Mr Art présente l’avantage d’être accessible aux non-initiés de l’art contemporain, cadre que la pratique de Banksy semble largement dépasser. Nul ne conteste certes que le mode opératoire Banksy a bousculé sans ménagement les schémas classiques de l’art. Mais cela suffit-il pour affirmer que l’artiste (lequel a fondé le Brandalism à Londres en 2001 –il s’agit de détourner les techniques de communication visuelle de la publicité et d’utiliser des messages chocs pour créer des œuvres percutantes et polémiques) aurait eu pour autant raison du “monde de l’art” ?
Rien n’est moins sûr si on prend en compte le fait que Banksy a été suspecté, au risque de perdre sa crédibilité, de devenir mainstream lorsqu’il a commencé en 2005 à occuper des galeries, sur le mode des rave parties.
Et qu’aujourd’hui des murs où l’artiste s’est exprimé sont découpés sans son autorisation …pour être vendus aux collectionneurs à des centaines de milliers d’euros. Une plus-value capitalistique qui fait songer à la sempiternelle querelle entre graffitis et pochoirs et qui réduit la prétendue dimension “vandale” de Banksy dont les villes et collectivités protègent la moindre création tandis que les graffitis des autres street artistes, assimilés à une forme de pollution, sont effacés avec application.
Ce qui relance l’épineuse question esthétique de savoir s’il existe de bons ou mauvais graffitis. Sans parler de l’éphémérité, de la contextualité et du non contrôle du devenir de l’oeuvre qui devraient être le credo de tout street artiste. Question qui renvoie sous l’angle juridique (de la propriété) au problème de savoir jusqu’où un street artiste qui abandonne ses oeuvres dans la rue (ou réalise des pochoirs sur les murs de propriétaires d’un bien immobilier sans leur autorisation) peut ensuite prétendre qu’on les respecte – syndrome de l’arroseur arrosé que H. Bernard appelle l’ironie des « anciens vandales [qui] crient au vandalisme ».
A cette aune, il n’est pas exclu que le sieur Banksy, comme phagocyté parce qu’il entendait dénoncer, et qui déborde l’étriqué street art par ses installations et son engagement politique (il distingue d’ailleurs soigneusement dans son travail les aspects inside et outside) ne soit plus à même de se maintenir, comme à ses lointains débuts, dans la « zone grise » de rigueur entre vandalisme et art officiel. Et qu’il soit parvenu ce faisant « la fin d’une période artistique » selon Hugues Bernard.
Une position dont Banksy, pour aller au bout de sa logique militante initiale, est condamné à sortir en refusant dorénavant de reconnaître publiquement la paternité de ses productions. Tel semble l’ultime prix à payer pour que plus personne ne soit prêt à s’offrir à prix d’or une œuvre clandestine censée dénoncer le circuit spéculatif de la consommation des œuvres d’art dans le monde. Paradoxe explicite de celui qui, « en s’efforçant de malmener les limites et les codes de l’art conventionnel, en est devenu la principal icône actuelle ». »
Alors, à l’heure où « une ville qui n’a pas son Banksy n’est pas vraiment une capitale », le bankable graffeur de Bristol, artiste inexistant métamorphosé en « une simple usine à créer des objets de valeur Banksy ® » est-il toujours « anarchiste, punk, anti-establishment » ?
frederic grolleau
Hugues Bernard, Banksy — Dr Vandale et Mr Art, L’Harmattan, avril 2019, 128 p. — 14,50 €.
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