Frôleuse, charmeuse, frileuse… Anne Fontaine, égérie française du désir brûlant, fondant, cassant, franchit les continents pour mettre en scène une adaptation d'une nouvelle corrosive et habile de Doris Lessing intitulée "Les grand-mères". Anne Fontaine fait partie de ces réalisatrices à la filmographie éclectique, entre promesses et caresses. Du thriller "Nettoyage à sec" au drame psychologique "Nathalie...", en passant par le biopic "Coco avant Chanel" ou la comédie "Mon pire cauchemar", son cinéma est toujours plus ou moins focalisé sur l'exploration aimable et indispensable des mystères du désir.
Un quartet amoureux
Dans "Perfect Mothers", Roz (Robin Wright) et Lil (Naomi Watts) sont amies d'enfance. Depuis les premières baignades en mer et les premières gorgées d'alcool, elles partagent tout : la plage australienne au bord de laquelle leurs deux maisons se dressent, le ponton au soleil d'un éternel été, les jours, les soirs, les heures... Maternelles et charnelles, elles n'ont cependant jamais partagé leurs maris : celui de Lil est mort lorsque leur fils, Ian, était petit ; celui de Roz est en partance vers un poste rêvé, trop loin pour que sa femme puisse se résoudre à le suivre en quittant l'Eden et Lil, Lil et l'Eden.
Le mari parti, Ian et Tom, le fils de Roz, restent les seuls hommes face aux deux femmes sensibles, joueuses et flexibles. Ils sont presque adultes, surfent à longueur de journée, et ils sont beaux. Un soir, Ian devient l'amant de Roz et Tom celui de Lil. La folie s'éternise, sans malaise durable : partageant encore, chaque mère donne à l'autre le fils qu'elle semble n'avoir enfanté que pour le lui offrir.
"Perfect Mothers" est un film au sujet certes scabreux et délicat. Une lecture rapide n’y verrait qu'une sexualité déconcertante et beaucoup trop consensuelle pour convaincre, assaisonnée d'une subversion lisse quasi inexistante, et d'une mise en scène trop peu radicale, touchante ou grondante. Pourtant, Anne Fontaine parvient à donner des contours parfaitement acceptables, voire attirants, ardents et troublants à une histoire qui joue des tabous et des interdits. La réalité qu'elle expose est si dérangeante à observer, si troublante à comprendre, que l'on préférerait presque ne pas y croire, et ne pas être mis en demeure de la juger.
Elles les ont aimés comme des fils avant de leur faire l’amour…
Le film pose des questions moralisatrices sauvages telles que la place d'une relation crypto-incestueuse de cette ampleur dans la durée, son rejet social ou les conséquences sur les intéressés. Il y est question de lien affectif, de peur de vieillir, de désir de maintenir l’utopie d’un cocon familial. Si le temps et la norme finiront par rattraper ce quatuor œdipien, le scénario parvient à éviter la dimension dramatique pour préférer une forme de légèreté et de douceur.
Rien dans tout cela ne relève pourtant de l'accablement ou du réquisitoire. De leur point de vue, ce quartet amoureux n'est peut-être pas inenvisageable, et cela leur suffit. Le doute les effleure. Plusieurs fois, Roz et Lil veulent arrêter, et c'est le temps éternel et éternellement tentateur de l'Eden qui noie leur trouble dans les eaux tièdes d'un confort sans égal.
Anne Fontaine réussit quelques exercices de style comme filmer en contre plongée et de manière statique des corps dénudés sur leur radeau gisant au soleil afin d'accentuer une certaine suavité, ou l'utilisation d'acteurs au physique d'Apollon et d'actrices solaires, douces quand elles touchent ou quand elles s’effarouchent pour accréditer esthétiquement le sujet. Le caractère sauvage des lieux fait écho au réveil des passions, chercheur et trembleur.
Les actrices Naomi Watts et Robin Wright incarnent toutes deux avec justesse de belles cougars, simulacre de plénitude bourgeoise. Elles sont soupçon, soupir, frisson, peau douce, sourire. Leurs fils respectifs, Xavier Samuel et James Frecheville, jouent, quant à eux, à la perfection la tentation et le vice. Ils sont inquiets, soucieux, extrêmes, exquis. Vecteurs de la séduction, les corps rivalisent de manière paisible et sensible. Tout glisse sans laisser de traces. Les garçons sont grands, consentants, charmants et désarmants, heureux d’être chacun avec l’amie de sa mère. Rien n’est sordide. Tous les quatre ont toujours vécu ensemble comme une famille, et les voilà renforçant leurs liens en couchant les uns avec les autres. Cette transgression-là est troublante.
« Les Instituteurs immoraux »
La liberté de jugement que la réalisatrice laisse embarrasse autant qu'elle passionne. La question qu'elle semble poser est provocante : "Leur accorderez-vous le bénéfice du doute ?" Les héroïnes quadragénaires, Lil et Roz, ont le culot de ne pas refouler leurs sentiments et de ne pas amputer leur désir. Elles vont jusqu'au bout et veulent tous les détours. En osmose totale, biches et gazelles, elles entretiennent des rapports fusionnels, quasi gémellaires. Elles perpétuent ce schéma avec leurs fils. Ensemble, elles décident de manière tacite de déraper. La puissance de leur lien complexe, intense, ambigu et profondément sexy interpelle. Dans un monde envahi par le conformisme, Lil et Roz franchissent la limite en devenant des muses éternelles.
Le film explore la zone d'ombre qu'on peut avoir en soi et que réprime la société. On passe toute son existence à construire quelque chose de solide. Mais qu'est-ce que l’on abandonne à ce prix? "Perfect Mothers" parle des règles, des barrières, des interdits, de la condition humaine, de la quête de la vérité affective. L’érotisme est une tension, une douleur, un accomplissement, compteur d’espoir et de fables du soir. C’est l’évocation du temps qui passe et qu'on ne rattrape guère sauf au travers de l'amour.
Au-delà de la crudité du thème libertin, on y trouve une diatribe philosophique mettant en lumière les idées du Marquis de Sade sur la liberté, le rôle d’une mère dans l’éducation à la sexualité de son enfant et les mœurs. La réflexion libertine exposée par Anne Fontaine part du principe que la Nature régit l’univers et ses composants. La Nature étant le seul moteur du monde, tout ce qui suit ses principes en vient à être légitimé par elle au-delà du Bien et du Mal. Et ce sont bien ces constructions morales (le Bien et le Mal) qui sont directement visées par ce film. À partir de ce principe, la Société perd évidemment tous ses droits.
"C’est une injustice effrayante que d’exiger que des hommes de caractères inégaux se plient à des lois égales : ce qui va pour l’un ne va pas à l’autre"
Marquis de Sade
Cette réflexion sert aux personnages du film à légitimer tous leurs désirs et, plus particulièrement, leurs désirs sexuels. Puisqu'ils sont naturels, pourquoi les contrarier ?
Pierre Henry
Sortie le 3 avril 2013. Réalisé par Anne Fontaine. Avec Naomie Watts, Robin Wright, Xavier Samuel
source :
http://lairdevivre.canalblog.com/archives/2013/04/19/26955120.html
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