Qu’est-ce que la «pop culture»?
Utilisée régulièrement pour décrire toutes sortes de situations, l’expression «pop culture» est mobilisée par une majorité de personnes (parce qu’elle appartient à tous nous dirait Richard Mèmeteau) sans pour autant que l’on sache ce qu’elle est réellement, d’où elle vient ou encore comment elle est construite. Souvent galvaudée, la pop culture est fréquemment considérée comme un produit standardisé et simpliste destiné à un public de masse, peu enclin à la réflexivité, car cherchant avant tout à se divertir (voir à s’abrutir). Dans un style fluide ne manquant pas d’humour et de recul vis-à-vis du sujet traité, Richard Mèmeteau analyse avec finesse la «pop culture» tout en redonnant à cette dernière ses lettres de noblesse. Mettant en lumière la complexité et la diversité du phénomène étudié, l’auteur explique d’ailleurs que «répétés sur un ton moins subjectif, les goûts moyens du public additionnés entre eux ne correspondent à aucun goût particulier», il n’existe pas de formule mathématique magique permettant de créer l’œuvre pop ultime plaisant à chacun.
Au fil de la lecture de Pop culture, réflexion sur les industries du rêve et l’invention des identités, derrière l’auteur, se dessine la figure d’un «geek passionné» disposant d’une connaissance avancée de la pop culture, à l’image de son analyse de Buffy contre les vampires, mais également celle d’un philosophe dont les nombreuses références savantes telles que Kant ou Nietzche permettent d’apporter la profondeur théorique et le recul analytique nécessaires à tout travail de recherche. Dans cet ouvrage tripartite, Richard Mèmeteau nous raconte donc une histoire de la pop culture «de l’intérieur». Comme ce dernier l’explique lui-même dans une interview accordée aux Inrockuptiles, sa « thèse est que la pop culture s’est unifiée de trois façons: par le geste de réappropriation; par l’invention d’une recette qui est apparue dans l’écriture cinématographique; et par la nécessité de justifier l’association par un mythe».
La « pop culture », une histoire de la réappropriation
Le premier chapitre, Pop, Camp, Drag, décrit la manière dont la culture pop se nourrit des pratiques et codes d’une culture minoritaire comme la culture Camp, pour se les réapproprier et les diffuser à un public large en agrégeant ces derniers à une image plus consensuelle. L’auteur revient d’ailleurs sur les origines du mouvement Camp, défini par Susan Sontag comme l’art de l’équivoque, qui a fortement influencé le pop art et son emblématique représentant Andy Warhol. Ce dernier influencera à son tour des stars de la pop telles que Lady Gaga. L’auteur dissèque d’ailleurs avec minutie le cas de Lady Gaga qui joue sur une certaine ambivalence typique de la pop culture. La Mother Monster apparaît authentique et subversive (même si, comme l’a mis en lumière Judith Butler avec la culture du ballroom, cette subversion est limitée), notamment en reprenant les poses parodiques de la culture Drag, ce qui lui permet d’attirer un public à la marge en quête de reconnaissance (public qui n’est d’ailleurs pas là uniquement pour la musique). L’artiste apparaît également artificielle s’attirant ainsi un public plus large, plus «mainstream».
Hollywood et l’emploi du monomythe
Dans le second chapitre (Soupe Campbell), Joseph Campbell, sa théorie du monomythe et Star Wars occupent une place centrale. Richard Mèmeteau revient ici sur la structure narrative des blockbusters en expliquant qu’Hollywood, «usine à mythes modernes», cherche à raconter des histoires universelles. C’est là qu’intervient le monomythe de Campbell développé dans l’ouvrage Héros aux mille et un visages. Ce dernier défend l'idée que tous les mythes du monde racontent à peu près tous la même histoire. Ainsi «Les mythes de toutes les civilisations pourraient au fond ne former qu’une seule et même histoire, et fournir une unique vérité à l’ensemble de l’humanité». Dès lors, il s’agit pour Hollywood de réintégrer les codes du monomythe dans ses productions culturelles. Comme l’explique l’auteur, George Lucas s’est réclamé du Héros aux mille visages mobilisant largement l’ouvrage pour Star Wars. Richard Mèmeteau nous raconte d’ailleurs la rencontre particulièrement cocasse entre Lucas et Campbell et le visionnement par ce dernier de la première trilogie dans le ranch de Lucas. Par la suite, Campbell déclara «Je pouvais voir ma matière là-dedans, il n’y avait aucun doute possible. Je suis devenu fan et j’ai développé une grande admiration pour ce jeune homme. […] Cette série est une véritable pièce en trois actes: l’appel de l’aventure; le chemin des épreuves; et l’épreuve finale: la réconciliation avec le père et le repassage du seuil».
Au centre du monomythe, on retrouve la figure du héros s’inscrivant dans une quête identitaire et dont l’aventure peut se décliner en 12 étapes précises qui sont constitutives du scénario du blockbuster. Les héros régénèrent et alimentent la mythologie américaine, à l’instar des dieux païens dans la Grèce antique, en racontant toujours la même histoire. Reprenant Umberto Eco, Mèmeteau explique que puisqu’il est répétitif, le mythe se situe hors du temps romanesque. Si raconter encore et toujours la même histoire, en ne faisant qu’actualiser cette dernière, aura tendance à rassurer les producteurs cherchant avant tout un retour sur investissement maximal, cela peut générer chez le fan une certaine lassitude. À ce titre, le philosophe explique comment les fans, reprochant à George Lucas d’abuser du monomythe, ont spéculé sur la manière dont le cinéaste écrirait la trame narrative du troisième épisode de la saga Star Wars. C’est d’ailleurs cette figure du fan que l’on retrouve dans le troisième chapitre, Prophétie et communauté.
Une culture qui appartient au fan
Richard Mèmeteau aborde la dernière partie en revenant sur la dimension prophétique qui structure les récits fictionnels pour grand public. S’appuyant sur le mythe d’Œdipe (personnage dont il met en exergue l’aveuglement égoïste), l’auteur insiste sur le caractère autoréalisateur de ces prophéties. Ces dernières vont avoir un rôle moteur pour le héros appelé à créer autour de lui et de sa quête une communauté. À ce titre «le héros doit montrer son pouvoir pour convaincre les foules, mais son véritable pouvoir est justement de convaincre les foules». Le héros n’est pas un homme providentiel et infaillible sauvant à lui seul l’univers, il a besoin de la solidarité des autres. Richard Mèmeteau remarque notamment que la faiblesse de certains héros tels que Luke Skywaker, Néo, Bilbo Saquet ou encore Harry Potter constitue paradoxalement leur force puisqu’elle les amène à constituer autour d’eux une communauté.
L’auteur s’intéresse ensuite aux fans dont le regroupement va finalement constituer un prolongement des communautés fictionnelles (on ne parle pas de communauté de fans pour rien). Notons qu’en introduction, Mèmeteau présente le «deuxième moment [Mobilisant Jenkins, l’auteur explique que le premier moment «se caractérise par le remplacement de la culture populaire par les médias de masse»] de la pop culture [comme étant] celui de la réappropriation, dont on connaît les phénomènes les plus visibles: fans et groupies, fandoms (organisation de groupes de fans), fanfics (fictions inspirées d’un univers fictionnel préexistant); culture du hacking et du logiciel libre; sans oublier la multiplication récente d’émissions télévisées participatives où le public est appelé à choisir le vainqueur, voire à devenir ce vainqueur».
En racontant l’interaction entre les producteurs de comics et leurs fans, interaction constitutive de cette industrie, Richard Mèmeteau explique que le fan n’est pas un récepteur passif, mais un acteur actif opérant un engagement affectif et cognitif important. «Superman est pop parce qu’il se donne naissance à lui-même, il surgit (to pop up), il n’est pas la copie d’un mythe précédent, il n’est pas l’œuvre d’auteurs installés, il n’est pas annoncé par des campagnes de pub et des trailers sur Internet six mois avant. Ses fans se sont donnés leur propre héros».
Le fan se reconnaît dans l’œuvre et s’empare de celle-ci. Il est nécessairement critique du produit culturel parce qu’il le connaît parfaitement, il l’aime et en quelque sorte il lui appartient. Dès lors, ce dernier est naturellement amené à faire preuve d’ironie érotique (Thomas Mann) qui consiste à critiquer ce que l’on aime bien. Les communautés de fans avec leur perspective propre et leur connivence se créent autour de leur connaissance et de leur amour du produit culturel. L’auteur conclut son analyse de la communauté de fans en revenant sur la série Community qui suit un groupe d’étudiants mobilisant allègrement le métahumour et les références à la pop culture (Richard Mèmeteau aurait tout aussi bien pu mobiliser le cas Big Bang Theory). Au sein de cette série, par l’intermédiaire de dialogues métanarratifs, se constituent des communautés de fans reprenant à leur compte les codes, thèmes et histoires des produits de la pop culture.
Dans cette troisième partie, il aurait été intéressant de voir Richard Mèmeteau mobiliser les travaux de Michel De Certeau qui met notamment en lumière dans l’Invention du quotidien (1980) la manière dont le public de la culture pop invente à son profit des usages qui lui sont propres par la mise en place de la pratique du «détournement». Cette forme de réappropriation mobilisée par le public, qui a toujours existé, permet de donner des connotations différentes à des objets et des contenus standardisés. Le détournement est d’autant plus intéressant qu’il explose aujourd’hui avec le développement du numérique. Précisons toutefois que, sans citer De Certeau, l’auteur évoque des aspects de sa pensée notamment lorsqu’il est question de fanfictions ou de «braconnage».
Dans son voyage au sein de la pop culture, Richard Mèmeteau nous invite à naviguer entre une multitude de références telles que Lady Gaga, Star Wars, Lost, le Seigneur des anneaux, les X-mens, Harry Potter, Madonna, American Pie, La légende de Zelda, ou encore Buffy contre les vampires. Si dans cet océan pop, le lecteur peut par moments perdre pied notamment lorsque l’auteur se laisse aller à certaines envolées euphoriques, la précision de ses analyses le raccroche rapidement à la démarche générale du chercheur. Ce dernier nous propose ainsi une réflexion générale sur un sujet complexe, pluriel et mouvant en mettant en lumière les nombreuses pistes de recherche dont il peut faire l’objet.
Si le philosophe justifie clairement l’angle mobilisé pour étudier la culture pop avec une place centrale accordée à la réappropriation, la mobilisation de certains enseignements des théories critiques, les travaux de l’école Francfort en première ligne (il s’agit donc ici de dépasser le cadre de l’opposition binaire Cultural Studies/École de Francfort), pourrait compléter et nourrir son analyse. Nous pensons particulièrement à la question de l’idéologie fondamentale dans la pop culture qui est délaissée dans ce livre. Si Richard Mèmeteau évoque le «rôle civilisateur» que se donne Hollywood ainsi que les recettes, «toujours enclines à plus de rationalisation, compte tenu des investissements colossaux qu’elle engage», mises en place par cette industrie du divertissement, il ne s’étend pas sur ce sujet. Or, cet aspect faisant également partie intégrante de la pop culture a particulièrement été étudié par des chercheurs comme Theodore Adorno, Max Horkheimer ou plus récemment par Noam Chomsky.
Pour conclure, si grâce à son enthousiasme et son regard de philosophe, Mèmeteau nous emporte facilement dans son incursion dans le monde de la pop culture, il nous semble que l’auteur gagnerait, tant dans son cheminement intellectuel de chercheur que dans sa passion pour la pop, à régler le différend qui l’oppose aux Ewoks.
Simon Claus et Nonfiction
source :
http://www.slate.fr/story/100649/sociologie-philosophie-pop-culture
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