Le philosophe star de la Grèce antique ressuscite dans Assassin's Creed Odyssey, magnifique restitution d'Athènes. Et on peut même dialoguer avec lui…
Depuis 2007, le jeu d'action et d'aventures Assassin's Creed, produit par la filiale montréalaise d'Ubisoft et vendu à plus de 100 millions d'exemplaires, immerge les joueurs dans des épopées hautes en couleur, à travers les grandes périodes de l'Histoire. Fondé sur l'histoire de la Confrérie des Assassins (ou « Haschischins »), qui sévirent au Moyen-Orient entre le XIe et le XIIIe siècle, le jeu s'est déployé dans des univers aussi différents que les croisades, la Renaissance ou la Révolution française. Son nouvel épisode, Assassin's Creed Odyssey, nous emmène au début de la guerre du Péloponnèse, en 431 avant notre ère.
Mais si le conflit entre Sparte et Athènes est attisé, ici, par une mystérieuse secte qui souhaite contrôler la Grèce en abattant Périclès et la démocratie athénienne, ce qui retient l'attention, c'est la présence, aux côtés du héros (dont le but est de supprimer les membres de cette secte qui a infiltré toutes les couches de la société hellénique), de célébrités antiques comme Hippocrate, Hérodote, Aristophane, Alcibiade et surtout Socrate, le maître de la maïeutique. Une présence qui s'explique par la popularité incontestable qu'aurait le philosophe auprès du grand public, confie le directeur créatif du jeu, Jonathan Dumont : « C'est un monde auquel il est facile pour des contemporains de s'identifier. Les récits que nous racontons, les mythes, les légendes, la plupart des choses auxquelles nous faisons référence aujourd'hui, les mathématiques, la démocratie, trouvent en effet leur origine dans la Grèce antique. Socrate fait partie de ce monde et nous voulions offrir aux joueurs la possibilité de débattre avec lui. » Un rêve, rappelons-le, qu'avait caressé autrefois Steve Jobs, qui avait confessé être prêt à troquer toute sa technologie « pour un après-midi avec Socrate ». Le voici exaucé !
Epaulée par l'historienne Stéphanie-Anne Ruatta, l'équipe créative a rassemblé tous les documents qu'elle a dénichés pour reproduire l'image de Socrate, plus débonnaire que le portrait qu'a fait de lui le peintre Raphaël dans L'école d'Athènes. « On s'est beaucoup inspirés des bustes en marbre qui le représentent, raconte Thierry Dansereau, directeur artistique du jeu. On a gardé l'idée d'un bon vivant qui aime le vin, avec une joie de vivre communicative, et qui se promène souvent pieds nus. » Une vision apparue tardivement et perçue par certains historiens comme tronquée, mais acceptée par Panagiotis Iossif, professeur de numismatique ancienne à l'université Radboud, de Nimègue (Pays-Bas), pour qui « l'image que nous avons de Socrate a été en effet exagérée à volonté pour reproduire un Silène que l'on voulait rapporter au culte de Dionysos ».
Ironie socratique
On s'attache très vite à son avatar numérique, qui mêle humour et bon sens, comme dans les Dialogues de Platon. Ces derniers ont été déterminants dans la conception de sa façon de s'exprimer. Car, après avoir validé l'apparence du philosophe, les équipes créatives ont fait appel à une dizaine d'auteurs qui se sont employés à écrire les dialogues du personnage en s'inspirant de La république. « La modernité de sa pensée et de son esprit critique était le parfait contraste que nous souhaitions amener pour notre aventure », analyse le scénariste Dan Bingham. Quand Socrate interagit avec le joueur, de longues joutes verbales débutent. Et le joueur, questionné sur la morale, la violence, la finalité de la vie, d'entrer avec le sage dans une véritable maïeutique… Mais comment parlait Socrate ? Ce mystère a hanté la responsable audio Lydia Andrew. « Nous avons choisi un comédien avec une voix engageante, riche, teintée d'une pointe d'ironie. » La fameuse ironie socratique, perceptible quand le personnage feint l'ignorance pour mieux provoquer le joueur.
Une renaissance numérique de qualité, donc, à l'image du jeu dans son ensemble, qui reproduit avec brio le siècle de Périclès. Le filon antique n'est d'ailleurs pas près de s'épuiser pour Assassin's Creed car, après Socrate, c'est Platon qui devrait connaître cette résurrection vidéoludique dans une prochaine extension du jeu prévue… sur l'Atlantide. L'occasion de voir si l'île mythique que le disciple de Socrate évoque dans Critias et Timée est vraiment « plus grande que la Libye et l'Asie réunies », de découvrir enfin le mystérieux métal des Atlantes, l'orichalque, et de savoir si Zeus a réellement puni les décadents en provoquant le raz de marée fatal…
lloyd chery
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