Pour Martin Heidegger, l’avènement de la technique constitue le phénomène central des temps modernes. L’hégémonie de la technique sur le monde moderne représente à ses yeux l’ultime manifestation de cette idéologie (la métaphysique du sujet) qui depuis Descartes entendait faire de l’homme « le maître et le possesseur de la nature » (Discours de la méthode, 6 ° partie).
La relation technique de l’homme au monde consiste à appliquer le principe de raison au réel lui-même, ou à considérer que le réel est conforme aux lois de la raison.
La technique se représente tout ce qui est (ce que Heidegger désigne comme « l’étant », ce que l’on peut désigner comme la nature),comme un simple objet pour la volonté : les choses n’ont de réalité que comme objets manipulables et utilisables par le sujet. L’impérialisme de la volonté humaine transforme ainsi le monde environnant en un stock de moyens et d’énergies disponibles pour assurer la maîtrise de l’homme sur la nature. C’est ce que Martin Heidegger nomme l’arraisonnement : le réel ne prend du sens pour l’homme que comme ressources d’énergies ou de matériaux soumis à la maîtrise scientifique et technique. La nature est, pour ainsi dire « sommée » de fournir ce dont l’homme a besoin.
Chez M.Heidegger, la conception de la volonté qui sous-tend le développement moderne de la technique est celle d’une volonté souveraine qui tend à s’assurer une domination de plus en plus grande sur la nature. Bien plus, cette volonté aspire à être toute puissante et inconditionnée : en réalité, elle ne veut rien d’autre qu’elle-même et son accroissement continu. C’est pourquoi elle est en son essence une « volonté de volonté » ou une « volonté de puissance » pour reprendre le vocabulaire de Nietzsche. La raison moderne n’est plus que l’instrument de la volonté, et celle-ci n’a plus d’autre fin qu’elle-même. Il en résulte que cette volonté ne peut être qu’une volonté de destruction totale ou une volonté de néant.
L’arraisonnement apparaît donc comme le péril suprême car il masque la vérité, et notamment la vérité de ce qu’est l’homme pour l’homme. La volonté de maîtriser le monde n’est plus désormais au service d’une émancipation de l’humanité, mais elle se retourne contre l’homme lui-même.
● La dénonciation de l’extension de la domination technique à l’ensemble de la planète au début du XX° siècle et la dévalorisation de la démocratie en tant que système politique qui lui est lié, ont conduit Heidegger à voir dans le nazisme le système de gouvernement le mieux adapté à notre temps. Le nazisme aurait, selon M. Heidegger, organisé « la rencontre entre la technique déterminée planétairement et l’homme moderne » (Introduction à la métaphysique). L’adhésion de M. Heidegger aux thèses nazies et son parfait aveuglement devant la réalité historique de ce régime totalitaire et criminel, seront dénoncés par la suite par H. Arendt qui y verra la preuve de l’incapacité des philosophes depuis Platon, à saisir le sens des réalités politiques. Quoi qu’il en soit,pour H. Arendt le nazisme et le totalitarisme en général, doivent être compris comme une extension du schéma de la fabrication à l’ensemble du domaine des affaires humaines.
Aline Louangvannasy
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