Jusqu’où peut-on aller par amour ?
Le lecteur non averti pourrait penser qu’il s’agit ici, sur fond de la relation mère/fille, d’une énième histoire de secret de famille où la lumière doit être faite sur un passé des plus tortueux : si ce n’est pas tout à fait faux, il serait néanmoins réducteur de ramener Son vrai visage à cette épure tant Karin Slaughter construit un objet livresque dense et maîtrisé.
Si donc, certes, l’ouvrage s’ouvre sur la surprise d’une fille, Andy, découvrant lors d’une fusillade aux Etats-Uunis (what else ?) comment sa mère, Laura, orthophoniste sans problèmes de 50 ans qui se remet d’un cancer, affronte un forcené venant de tuer sous leurs yeux deux personnes, d’autres éléments clefs jalonnent le texte tout du long : l’embrigadement psychologique, la fraude des plus grandes grandes entreprises, le poids du mensonge dans la construction identitaire l’activisme politique, l’amour destructeur, l’abandon des plus démunis par le système social….
A la fois road-trip initiatique et page-turner, Son vrai visage se développe autour de deux époques charnières (1986 et 2018) : le roman montre comment la réaction froide et mécanique d’une mère pousse ainsi sa fille, timide et complexe, à prendre la fuite afin de reconstruire les bribes (31 années tout de même) du passé familial - faisant écho à l’histoire de Patricia Hearst dans les années 70 — …et préserver sa propre vie.
Le thriller psychologique se met alors en place, avec un choix étonnant de la part de l’auteure, qui ne cède pas à la facilité du cliffhanger habituel en fin de chapitre et préfère installer un rythme de récit assez long, fort ramifié et dense (les chapitres font en moyenne entre 30 et 50 pages), le postulat explicite étant que ce sont tous les pans (à explorer donc) du puzzle passé des personnages qui donneront accès à la vérité au présent.
Alors, Andy apprendra, comme l’on s’en doute, que sa mère est une personne ayant une histoire extrêmement compliquée, qui se cache loin du monde depuis des années pour de sérieuses raisons. Mais ce qui importe à ce moment, au coeur de ce périple livresque (les réponses étant, comme en philosophie, moins fondamentales que les questions), tient moins au terme du voyage qu’au laborieux chemin qui y a mené.
Sous cet angle, Karin Slaughter compose de main de maître un opus où l’on mesure combien la vérité, loin du fantasme de l’objectivité absolue, demeure sujette à interprétation.
Et où l’on découvre que l’unique moyen de changer le monde, contre toute attente, n’est pas forcément de de le détruire.
frederic grolleau
Karin Slaughter, Son vrai visage, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Ève Vila , HarperCollins, 3 avril 2019, 576 p. — 20.90 €.
Commenter cet article