Définition : Autrui désigne un autre moi, un autre sujet doté de conscience. Il n’est pas simplement autre que moi, il est en même temps mon semblable. Il y a un paradoxe chez autrui. Il est le même et l’autre. Il n’est ni autre que moi, ni identique à moi : il est alter ego (latin, un autre moi et autre que moi). Proximité et distance, familiarité et étrangeté qualifient mon rapport à l’autre.
Etymologie : du latin : alteri huic, autrui désigne littéralement « cet autre-ci », donc quelqu’un de particulier avec qui je suis en relation, et pas n’importe qui. Autrui est cet autre que je rencontre. Mais en même temps, autrui ne désigne pas un seul individu : tous les autres hommes sont potentiellement « autrui ».
L’altérité : désigne le caractère de ce qui est autre. L’altérité s’oppose à l’identité.
Problèmes et références :
- Comment reconnaître Autrui ? Comment distinguer Autrui d’un simple objet ?
- Repère – Médiat / immédiat : Ce qui est médiat est ce qui est en relation avec autre chose au moyen d’un intermédiaire, contrairement à ce qui est immédiat.
- Par un raisonnement : DESCARTES, à la fin de sa 2ème méditation métaphysique, dans le célèbre passage du « morceau de cire », remarque qu’on reconnaît un morceau de cire fondu grâce à une « inspection de l’esprit » (un jugement) et non grâce à la vue (une sensation), car le morceau de cire a changé d’aspect. De même, si je regarde par la fenêtre, je dis voir des hommes, alors que je ne vois littéralement « que des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints ne se déplaçant que par ressorts ». C’est par un raisonnement intellectuel, et non par une sensation, que j’identifie autrui.
- Par l’usage de la parole : C’est le langage qui nous met spontanément en relation avec autrui et ses pensées. Pour DESCARTES, dans la Lettre au Marquis de Newcastle, ce sont les paroles qui nous permettent de distinguer autrui d’une simple « machine qui se remue de soi-même ». Le langage indique « une âme qui a des pensées ». Contrairement aux perroquets qui répètent des paroles sous l’effet d’un dressage mécanique, un homme, même un fou, ou un sourd-muet, est capable de produire des signes adaptés à des situations nouvelles. Les animaux, pour Descartes, ne sont pas capables de pensée et n’ont donc pas de langage. La pensée est la condition du langage. Les animaux ne font qu’exprimer des passions. Cf. 5ème partie du Discours.
- L’évidence d’autrui : L’existence d’autrui peut s’imposer à moi de manière évidente, immédiate, sans avoir besoin de faire un raisonnement. Cette évidence passe par l’expérience de mon corps vivant. Ce que je perçois d’autrui est d’abord un autre corps agissant, expressif. Je ressens que cet autre corps, comme moi, doit être habité par une conscience (HUSSERL).
- Peut-on connaître autrui ? Vouloir connaître autrui est paradoxal : connaître, c’est ramener quelque chose à du connu, c’est au fond, identifier. Or, connaître autrui, c’est nier son altérité, son caractère différent.
- D’abord, autrui m’apparaît comme un objet. Il apparaît donc plus facile à connaître que moi-même. Je peux l’observer, le juger de façon plus impartiale que je ne le fais pour moi-même.
- Le point de vue béhavioriste : Le psychologue américain John B. WATSON (1878-1958), fondateur du courant béhavioriste, pense pouvoir connaître un sujet en s’en tenant à l’étude de son comportement (behavior en anglais), sans recours à la conscience, à l’intériorité.
- Notre premier devoir envers autrui est de nous efforcer de le connaître : les malentendus et les conflits qui surgissent entre les hommes ne résulteraient que de l’ignorance mutuelle de ce qui les rassemble et les unit.
- Je connais autrui par analogie avec moi-même : DESCARTES.
- Repère – Analogie / ressemblance : une analogie repose sur une identité de rapports, tandis que la ressemblance repose sur un ensemble de traits communs. Autrui est analogue à moi – comme moi, il a une conscience, sans pour autant me ressembler.
- Danger de la connaissance par analogie : je refuse l’altérité d’autrui, sa spécificité, son irréductibilité.
- La connaissance d’autrui est toujours hypothétique : Il est impossible de pénétrer la conscience d’autrui. Ce que je crois connaître de lui n’est souvent qu’une projection de ma conscience. Je crois qu’autrui est comme moi. MALEBRANCHE, De la Recherche de la vérité, III, 7, 1675. Les passions, qui viennent du corps, déforment d’autant plus mon jugement sur autrui : « Ainsi la connaissance que nous avons des autres hommes est sujette à l'erreur si nous n'en jugeons que par les sentiments que nous avons de nous-mêmes. » Nous ne pouvons connaître autrui en le rapportant à ce que nous ressentons.
- Je connais autrui de façon immédiate : La sympathie (au sens philosophique, participation immédiate, intuitive, aux souffrances d’autrui, aptitude à comprendre l’autre) repose sur cette identification à autrui. ROUSSEAU, dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, pense que l’homme à l’état de nature éprouve de la pitié pour Autrui, c’est-à-dire qu’il est capable de ressentir sa douleur, et de se mettre à sa place. Cette aptitude se perd dans l’état civil. Mais cette connaissance immédiate peut aussi être une illusion, une simple projection du sujet sur autrui. Je ne suis jamais autrui, je suis toujours avec lui. La preuve en est qu’il m’arrive souvent de mal interpréter un geste, un propos d’autrui.
- Il y a quelque chose chez autrui qui est inaccessible : Par exemple, je peux consoler autrui car j’ai éprouvé un chagrin semblable. Mais la souffrance d’autrui est toujours singulière. C’est pourquoi je n’arrive jamais à consoler entièrement autrui : le poète classique MALHERBE (17ème) observe dans sa « Consolation à M. du Périer », qui vient de perdre sa fille :
- D’abord, autrui m’apparaît comme un objet. Il apparaît donc plus facile à connaître que moi-même. Je peux l’observer, le juger de façon plus impartiale que je ne le fais pour moi-même.
« Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle, et les tristes discours
Que te met en l’esprit l’amitié paternelle l’augmenteront toujours ? »
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- Si je ne peux pas connaître autrui, c’est parce que lui-même ne se connaît pas. Comme moi, autrui est un sujet libre, et non un objet. Il est impossible d’en faire la connaissance, de l’expliquer par des lois constantes. Il est imprévisible aux autres et à lui-même.
- Le problème de ma relation à autrui se pose moins en termes de connaissance que de reconnaissance. Je suis reconnu par autrui en tant que conscience, et réciproquement.
- Ma relation à Autrui n’est pas une relation de connaissance, mais une relation morale : LEVINAS, dans Ethique et infini, 1961, insiste sur l’impossibilité de connaître Autrui, puisque par définition, Autrui est altérité, différence, et que la connaissance est identification à du connu, du Même, reconnaissance. Lorsque je crois connaître Autrui, je ne connais que moi-même.
- Autrui se manifeste à moi comme un visage, non pas un ensemble de traits particuliers que je pourrais décrire, mais ce qui est exposé, nu, sans défense – il appelle au meurtre – et qui me commande : « Tu ne commettras pas de meurtre ». Je me sens responsable face à ce visage qui m’apparaît vulnérable. « Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps le visage est ce qui nous interdit de tuer », Ethique et infini.
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- La relation à Autrui n’est pas une relation de connaissance, mais une relation morale. Cette relation est dissymétrique : le visage me fait me sentir responsable de lui, sans contrepartie. Le sujet est ainsi soumis à cette injonction du visage d’Autrui, sujétion.
- C’est un ami qui me permet de me connaître : ARISTOTE remarque nous ne parvenons pas à nous connaître nous-mêmes car nous sommes souvent trop indulgents envers nous-mêmes, nous manquons d’objectivité ; c’est pourquoi c’est notre ami qui peut nous aider à nous connaître : « Par conséquent, de même que nous regardons dans un miroir quand nous voulons voir notre visage, de même, quand nous voulons apprendre à nous connaître, c'est en tournant nos regards vers notre ami que nous pourrions nous découvrir, puisqu'un ami est un autre soi-même. Concluons: la connaissance de soi est un plaisir qui n'est pas possible sans la présence de quelqu'un d'autre qui soit notre ami; l'homme qui se suffit à soi-même aurait donc besoin d'amitié pour apprendre à se connaître soi-même. »
- La véritable relation à autrui n’est pas une connaissance, mais morale :
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- Quel rôle joue autrui dans la construction de mon identité ?
- Le solipsisme de la conscience : Le solipsisme est la situation de la conscience qui se croit seule au monde. C’est le cas de la conscience qui a douté de l’existence du monde et qui parvient à la première vérité irréfutable, le « cogito », je pense donc je suis.
- Autrui et la dépossession de soi : dès que je suis confronté au regard d’autrui, je me sens comme paralysé, réduit à l’état de chose, « réifié », je ne suis plus que ce qui est regardé par autrui : SARTRE, L’Être et le Néant.
- L’expérience de la foule : Dans sa psychologie des foules (1895), Gustave LEBON montre que l’individu dans une foule (réunion d’individus capables de réactions communes) perd son identité et devient irrationnel et facilement influençable. Dans une foule, on ne craint plus le regard d’autrui, mais on se laisse entraîné par une force anonyme. « Par le fait seul qu’il fait partie d’une foule, l’homme descend donc plusieurs degrés sur l’échelle de la civilisation. »
- Autrui, indispensable à ma conscience :
- Nous naissons dans un monde peuplé d’hommes. Nous faisons d’emblée l’expérience d’autrui.
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- PASCAL, dans ses Pensées, 1670, analyse l’importance que nous accordons au jugement qu’autrui porte sur nous : « La plus grande bassesse de l’homme est la recherche de la gloire, mais c’est cela même qui est la plus grande marque de son excellence ; car, quelque possession qu’il ait sur la terre, quelque santé et commodité essentielle qu’il ait, il n’est pas satisfait, s’il n’est dans l’estime des hommes. Il estime si grande la raison de l’homme que, quelque avantage qu’il ait sur la terre, s’il n’est placé avantageusement aussi dans la raison de l’homme, il n’est pas content. »
- ROUSSEAU, dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755, 2ème partie, montre que les tourments des hommes vivant en société viennent du développement de l’amour propre. Contrairement à l’homme sauvage, l’homme civilisé s’inflige des peines pour paraître, briller auprès des autres : « le sauvage vit en lui-même ; l’homme sociable toujours hors de lui ne sait vivre que dans l’opinion des autres ».
- SARTRE, dans l’Être et le Néant, III, 1, affirme qu’ « autrui est le médiateur entre moi et moi-même ». Décrivant l’expérience de la honte, Sartre remarque que ce sentiment ne surgit que lorsque nous sommes vus par autrui en train de faire quelque chose que nous ne devions pas (regarder par le trou d’une serrure). « Et, par l’apparition même d’autrui, je suis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme sur un objet, car c’est comme objet que j’apparais à autrui ». Le jugement que porte autrui sur moi conditionne le jugement que je porte sur moi. Mais ce jugement est toujours erroné, car Autrui me voit comme un objet, et non comme un être libre. En réalité, je ne peux être défini.
- M. TOURNIER, Vendredi ou les limbes du pacifique : Robinson, confronté à la solitude, sent sa perception des choses s’altérer. Sans autrui, le monde est réduit au seul point de vue que j’en ai.
- Le cas des enfants sauvages. Victor de l’Aveyron (19ème siècle) est un exemple célèbre d’enfant sauvage. Le docteur Itard tente de lui apprendre le langage, la vie en société, mais avec difficulté. Le retard de l’enfant manifeste l’importance de la présence d’autrui pendant son développement. ARISTOTE, au début de sa Politique, affirme qu’un individu totalement isolé serait « soit un être dégradé soit un être surhumain ».
- La solitude, pour se retrouver ?
- ROUSSEAU, dans ses Rêveries d’un promeneur solitaire, voit dans la solitude à la campagne le moyen de se retrouver, loin des masques qu’il faut prendre en société. Mais cette solitude n’est pas totale : elle suppose la présence des personnes qui nous sont les plus chères.
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- H. ARENDT, dans Les Origines du totalitarisme distingue la solitude, qui est choisie, et dans laquelle je suis lié aux autres par ma pensée, l’isolement, que je subis et dans lequel j’éprouve un manque et enfin la désolation, situation dans laquelle je ne peux faire confiance aux autres
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- Quelle est ma relation avec autrui ?
- Repère : Identité / égalité / différence : Attention à ne pas confondre identité et égalité. Deux individus égaux ne sont pas nécessairement identiques.
- La différence désigne une relation d’altérité entre des choses ressemblantes. Elle désigne aussi le caractère par lequel une chose se distingue d’une autre.
- Repère : Identité / égalité / différence : Attention à ne pas confondre identité et égalité. Deux individus égaux ne sont pas nécessairement identiques.
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- L’identité désigne le caractère de ce qui est parfaitement semblable à quelque chose ; elle désigne aussi le fait de demeurer le même au travers du temps (rester « identique à soi-même ».
- L’égalité a d’abord un sens mathématique : c’est la propriété de grandeurs équivalentes, qui peuvent être substituées l’une à l’autre. L’égalité a ensuite un sens juridique : c’est le principe selon lequel les individus doivent être traités de la même façon face à la loi.
- Une relation d’intérêt : Les hommes ont besoin d’autrui pour satisfaire leurs besoins. Cf. A. SMITH
- Une relation de conflit :
- L’égoïsme naturel des hommes est source de conflits, chacun préférant son intérêt à celui de l’autre.
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- Le premier rapport entre deux consciences est le conflit. HEGEL, dans la Phénoménologie de l’esprit, lors de la célèbre « dialectique du maître et de l’esclave », rend compte de ce « choc » des consciences, qui engagent une lutte à mort pour la reconnaissance. La conscience ne peut être conscience d’elle-même que si elle est reconnue comme conscience par une autre conscience. Sans cette reconnaissance, la conscience reste limitée, enfermée dans le monde de la « certitude sensible », sorte de vie immédiate, animale, réduite aux sensations. Mais la conscience n’apparaît toujours à l’autre que comme un objet, non comme un sujet. Ainsi, seul le fait de ne pas craindre la mort pourra faire de la conscience une conscience. La lutte s’achève sur l’instauration d’un rapport Maître (celui qui n’a pas eu peur de la mort) et d’un Esclave (celui qui a préféré la vie, et qui reste proche de l’animalité). SARTRE fera du conflit le fondement de toute relation à autrui.
- Tendance naturelle à refuser l’humanité d’autrui, de celui qui ne fait pas comme moi : LEVI-STRAUSS, Race et histoire, critique l’ethnocentrisme. « Le barbare, c’est d’abord celui qui croit à la barbarie ». L’humanité manifeste une contradiction : l’universalité de ses caractères (les hommes se ressemblent, quelle que soit leur culture) et son extrême diversité : « toute l’histoire humaine porte les cicatrices de mille et un vécus détestables de cette contradiction ». D’un côté je peux m’identifier à autrui, de l’autre j’ai le plus grand mal à ressentir ce que ressent l’autre, s’il est très différent de moi. Je ressens comme anormal ce qui est différent.
- Pour HOBBES, dans le Léviathan, chapitre 13, 1651, les hommes ont naturellement une tendance au conflit. C’est pourquoi l’état de nature est un état de « guerre de tous contre tous ». Hobbes identifie dans la nature humaine trois causes principales de querelle : 1) la rivalité (pour le gain) 2) la défiance (pour la sécurité) 3) la fierté (pour la réputation).
- La fable des porcs-épics : SCHOPENHAUER, dans Parerga et Paralipomena, § 396, insiste sur la juste distance à instaurer avec Autrui. Les porcs-épics se rapprochent pour se réchauffer, mais avec une distance suffisante pour bénéficier de la chaleur mais sans se piquer avec leurs épines. C’est la politesse qui permet cette juste distance nécessaire à la vie en commun.
- Mais le conflit peut aussi conduire à la paix. KANT, dans L’Idée d’une histoire universelle, analyse la paradoxale « insociable sociabilité » des hommes. Les hommes sont sociables par nature, ils recherchent leur semblable, et en même temps ne peuvent s’empêcher d’entrer en conflit les uns avec les autres car ils veulent diriger. C’est cette tendance à la discorde qui permet aux hommes de développer leurs facultés et leur humanité : sinon « tous les talents resteraient à jamais enfouis en germes, au milieu d’une existence de bergers d’Arcadie, dans une concorde, une satisfaction, et un amour mutuels parfaits ». En effet, confronté à la résistance des autres, l’homme est obligé de discipliner ses instincts égoïstes. Kant compare le redressement (moral) de l’homme au contact de ses semblables au redressement des arbres qui poussent dans une forêt : un arbre seul poussera incliné, se recourbera, tandis qu’il poussera haut et droit (métaphore de la droiture morale) entourés d’autres arbres – car, gêné par les autres, il doit aller plus haut pour avoir de la lumière.
- Une relation de bienveillance :
- ROUSSEAU, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes : Les hommes éprouvent naturellement de la pitié les uns envers les autres. La pitié désigne ici la tendance à s’identifier à un être qui souffre, à se mettre à sa place. En développant sa raison, l’homme acquiert de l’amour propre (fait de se préférer à autrui) qui étouffe la pitié, devient indifférent à autrui : « On peut impunément égorger son semblable sous sa fenêtre : il n’a qu’à mettre ses mains sur ses oreilles et s’argumenter [se raisonner] un peu, pour empêcher la nature qui se révolte en lui et de l’identifier avec celui qu’on assassine ». Ce sont les gens du peuple, non les gens éduqués, nous dit Rousseau, qui interviennent pour empêcher une bagarre. Ce sentiment, qui est associé à l’amour de soi (instinct de conservation) n’est pas encore de l’altruisme. En particulier, le fait de se mettre à la place de celui qui souffre permet de ressentir le plaisir de ne pas souffrir soi-même. En même temps, pour éprouver de la pitié pour autrui, je ne dois pas souffrir moi-même, car alors « on ne plaint que soi ».
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- Allant chez les Nambikwara, peuple de l’Amazonie, LEVI-STRAUSS dans Tristes tropiques, affirme avoir trouvé une humanité quasi à l’état de nature. C’est chez eux qu’il voit « l’expression la plus émouvante et la plus véridique de la tendresse humaine ».
- L’altruisme : C’est l’attitude de dévouement à autrui, opposée à l’altruisme. L’amour du prochain n’est-il pas, au fond, un amour de soi, une « périphrase clandestine de l’égoïsme » (JANKELEVITCH) ?
- Le mythe de Narcisse (raconté notamment dans Les Métamorphoses d’Ovide) met en scène Narcisse, qui, trop orgueilleux pour aimer quiconque, repousse la nymphe Echo. Pour le punir, les dieux placent sur son chemin une source limpide. Narcisse va s’y regarder et tomber amoureux de son image. Il va mourir, contemplant sa propre image, condamner à ne pouvoir la saisir. Le fait de n’aimer que sa propre personne conduit à la mort.
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- On n’aime que celui qui est comme moi. NIETZSCHE invite ainsi à l’amour du lointain.
- Aime-t-on vraiment autrui ? N’aime-t-on pas seulement son aspect physique, son pouvoir ?
- Une relation d’amitié :
- L’amitié, ou philia en grec, est très importante chez les grecs. Seul l’homme en paix avec lui-même peut nouer des liens d’amitié avec autrui pour ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, 9ème livre.
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- MONTAIGNE, dans Les essais, I, 28, 1580, évoque sa relation d’amitié avec Etienne de La Boétie qui vient de décéder. Il décrit l’amitié comme une fusion des âmes : « elles se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel, qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me pressait de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : « parce que c’était lui ; parce que c’était moi ».
- Une relation de devoir : Il faut respecter autrui, c’est-à-dire ne pas le traiter comme une fin mais comme un moyen. Autrui est une personne. Une personne se caractérise par sa dignité. KANT, Critique de la raison pratique, 1788 : « Le respect s’applique toujours à des personnes, jamais à des choses ». Nous pouvons avoir de l’inclination, même de l’amour pour les choses, mais du respect.
- Pour KANT, la seule bienveillance n’est pas véritablement du respect, car elle repose sur un sentiment.
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- Respecter autrui, c’est aussi reconnaître sa différence avec moi. Le respect implique une certaine distance, une retenue, une déférence envers autrui. Autrui n’est pas seulement le prochain, il est aussi l’étranger, le lointain. L’amour, parce qu’il est un désir de fusion avec l’autre, peut conduire à nier autrui dans sa différence. C’est aussi reconnaître sa singularité, son caractère unique, contrairement à l’indifférence, qui réduit les autres à la masse anonyme du « On », la « foule ».
- Respecter autrui, c’est aussi, pour KANT, se respecter soi-même.
- Le dialogue :
- Le dialogue crée un terrain commun entre moi et autrui. L’intersubjectivité désigne la communication des consciences entre elles. Ma pensée et celle d’autrui ne forme qu’un seul tissu. Les points de vue se croisent, se modifient au contact l’un de l’autre pour former un nouveau point de vue.
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- PIAGET, Le langage et la pensée chez l’enfant, 1923 : l’aptitude au dialogue exige une certaine maturité intellectuelle et une capacité à tenir compte de l’interlocuteur. Les enfants ne sont pas capables de dialogue jusque 7-8 ans. Leurs monologues sont égocentriques (les enfants ne donnent pas d’explication, ne s’assurent pas qu’ils sont compris de leurs interlocuteurs).
- Un véritable dialogue suppose que les protagonistes parlent du même sujet, et qu’ils acceptent d’être réfutés. Dans le Gorgias de PLATON, Socrate distingue la simple polémique qui ne vise que le combat et le dialogue qui repose sur la réfutation des faux arguments et conduit les interlocuteurs à la vérité. Socrate fait du dialogue une maïeutique, un « art d’accoucher les esprits » de la vérité qu’ils possèdent sans le savoir.
- Le dialogue nous permet de mieux penser. KANT, Critique de la faculté de juger, § 40, 1790 : Pour bien penser, il faut :
- Penser par soi-même (sans préjugés ; la raison doit être autonome)
- Penser en se mettant à la place de toute autre (pensée élargie ; il s’agit de savoir s’arracher à son point de vue subjectif pour accéder à un point de vue universel) ; KANT, dans Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? observera : « Mais penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ? » ; c’est pourquoi Kant fait de la liberté d’expression une condition fondamentale de la pensée : les hommes doivent pouvoir échanger publiquement leurs idées.
- Penser en accord avec soi-même (pensée conséquente ; c’est la plus difficile à mettre en œuvre).
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- Autrui : limite ou condition de ma liberté ?
- Autrui, limite de ma liberté :
- SARTRE, L’Être et le Néant : le regard qu’autrui pose sur moi me « réifie », me transforme en chose, comme le regard de la gorgone Méduse, qui transforme en pierre l’être qu’elle regarde. Le regard d’autrui nie ma qualité de sujet. Sartre dira : « Ma chute originelle, c’est l’existence de l’autre » ou fera dire au personnage de Huis-Clos, Garcin : « Pas besoin de gril, l’enfer, c’est les autres ».
- Autrui, limite de ma liberté :
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- La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) : « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
- Autrui, condition de ma liberté : Une liberté sans limite n’est plus une liberté. En m’obligeant à limiter mes penchants égoïstes, autrui m’aide à devenir libre, au sens de l’autonomie (obéir aux règles qu’on s’est soi-même fixées).
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