« L’œuvre vit du regard qu’on lui porte. Elle ne se limite ni à ce qu’elle est ni à celui qui l’a produite, elle est faite aussi de celui qui la regarde. Ma peinture est un espace de questionnement et de méditation où les sens qu’on lui prête peuvent venir se faire et se défaire. » Pierre Soulages
Cette citation peut nous laisser penser qu’il y a autant d’œuvres que de lecteurs; c’est le regard du spectateur qui donne vie à une oeuvre. A quoi bon peindre en effet si personne ne s’intéresse à notre production? Il y a donc un partage entre le spectateur et l’artiste. ce dernier cherche à nous raconter une histoire, nous transmettre un message, nous émouvoir. Dans ce but il va utiliser différents procédés, tout comme le ferait un poète avec des figures de style: la ligne, la lumière, la couleur, la composition… Nous allons donc voir tout cela en détail afin de mettre au jour différents éléments nous permettant de mieux comprendre les tableaux et d’entrer en intimité avec eux.
En premier lieu il faut bien noter qu’analyser une oeuvre d’art c’est d’abord du ressenti, de l’intuition et de l’observation.
Pour analyser ce tableau on ne peut pas forcément se baser sur les lignes et la structure. Il faut nous appuyer sur notre ressenti et rechercher les éléments stylistiques qui provoquent nos sensations. Au premier regard on voit une jeune fille allongée dans un champ. Mais, rapidement, nous notons la présence d’éléments dérangeants: l’herbe est roussie, comme brûlée par le soleil, la maison est éloignée, elle a l’air abandonnée et délabrée. La jeune fille semble tendre vers ce point mais elle est loin du chemin: la maison semble inaccessible. Enfin, la position de la femme, qui est presque trop maigre, n’est pas tout à fait normale ni naturelle.
Si l’on s’intéresse à l’histoire de cette peinture, on apprend que cette femme est la voisine du peintre. Ce n’est pas une jeune fille mais une femme de quarante-cinq ans, handicapée, qui refuse d’utiliser un fauteuil roulant ou des béquilles. Les apparences sont donc trompeuses.
COMMENT REPÉRER LES ÉLÉMENTS IMPORTANTS D’UN TABLEAU ?
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Il peut être intéressant de « découper » le tableau afin de mieux comprendre la composition de l’oeuvre:
- Il peut être utile de s’intéresser à la composition du tableau. Celle-ci peut être de manière générale pyramidale ou en frise; ces deux procédés n’ont pas le même effet.
On voit bien que tous les personnages sont à la même hauteur dans la composition en frise (tableau de gauche), nous avons une isocéphalie. Aucun personnage ne se dégage véritablement de la mêlée. En effet, David a représenté une scène de bataille. La composition en frise accentue cette idée de mêlée et de confusion.
A l’inverse, dans l’oeuvre de droite, l’allégorie de la Liberté se distingue des autres personnages. La pointe de la pyramide coïncide avec l’emplacement de ce personnage. Marianne domine alors la composition. Elle se distingue aussi par la couleur. Elle porte une robe jaune alors que les autres personnages sont traités par des tons sombres. Le drapeau français, lui aussi situé à l’extrémité de la pyramide, attire l’œil du spectateur par ses couleurs vives.
- Diviser le tableau par moitiés, tiers ou quarts peut être révélateur.
La ligne médiane sépare le tableau en deux parties: nous avons les personnages d’un côté et le lit de l’autre. La robe de la femme, qui déborde sur le lit, permet de lier les deux parties. Tout cela crée un point de tension dans l’oeuvre. De plus, le regard du spectateur est attiré par le lit. Il occupe une grande place dans la composition et la couleur rouge nous aimante vers lui. Cette oeuvre véhicule donc un érotisme et une tension sous jasents. D’ailleurs le tableau a longtemps été intitulé Le Viol.
Dans cette oeuvre de Millais c’est cette fois la ligne horizontale qui fait sens dans la composition. On voit bien qu’elle sépare le tableau en deux: d’un côté nous avons le personnage et au-dessus de lui une végétation luxuriante. Cela est fait pour montrer encore plus que le personnage s’enfonce dans l’eau, comme si la végétation poussait Ophélie vers les profondeurs (cf. analyse plus complète dans un précédent article. Cliquez sur le lien suivant: Le mythe d’Ophélie et ses représentations).
- Nous pouvons tracer les lignes médianes pour voir quel est l’élément central ( cela marche aussi pour les diagonales). La conjonction de ces lignes doit normalement correspondre à un élément révélateur. Bien sûr, cela n’est pas utile pour tous les tableaux. Dans cette oeuvre de Simone Martini le point central est la fleur de lys. Cet élément apporte du sens à l’oeuvre. Le lys est en effet un symbole marial, généralement représenté lors de l’Annonciation. Il symbolise la pureté et la virginité de la Vierge.
- Le point de fuite peut être focalisé sur l’élément le plus important de l’œuvre. Cette peinture de David appartient au courant Néoclassique: mouvent de rigueur, d’attention quant à la composition et à la structure du tableau, de suprématie de la ligne. Le point de fuite n’est donc pas placé au hasard: il est centré sur les épées afin de mettre l’accent sur l’idée de serment (Au VIIe siècle av. J.-C., Trois Horaces sont choisis pour combattre les Curiaces. David a choisi de représenter le moment où leur père leur donne leurs armes et où ils jurent de vaincre ou de mourir).
- Hiérarchie proportionnelle : simplement le personnage le plus important de l’oeuvre est le plus grand, même si cela n’est pas logique anatomiquement. Ici nous voyons bien que la Vierge est beaucoup plus grande que les anges alors qu’elle est assise. C’est donc le personnage principal du tableau, d’autant plus qu’elle se trouve au centre de l’oeuvre. Egalement, le Christ qui est censé être un nourrisson est debout et trop grand pour son âge: lui aussi est un élément central de l’oeuvre, le sujet principal étant donc la Vierge à l’Enfant.
- Les jeux de regards entre les personnages: si tous les personnages regardent vers un même point il est certain qu’il s’agit d’un élément important de l’oeuvre.
- La lumière peut se fixer sur l’élément central du tableau afin de le mettre littéralement en lumière. Dans l’oeuvre ci-dessous la lumière se concentre sur la figure du Christ alors que le reste de la pièce est dans la pénombre et traitée dans des tons bruns. Cette abondante lumière peut aussi nous renseigner sur l’épisode représenté. Comment savoir sans le titre (La sainte famille) que nous sommes face à une scène religieuse ? La lumière nous donne des pistes…
Il faut donc regarder la structure de l’oeuvre en général : les lignes de composition, les espaces vides…
L’ART MIROIR DU MONDE RÉEL : COMMENT DONNE-TON DE LA PROFONDEUR À UNE ŒUVRE, COMMENT LUI DONNE-TON CORPS, UN CÔTÉ VIVANT ?
La perspective
La perspective n’a pas toujours existé. On parlera d’aspective (ou aspectivité) chez les anciens égyptiens. La perspective est ainsi rabattue pour tout montrer: pour eux tout ce qui est représenté dans une tombe existe dans l’au-delà. Il faut donc imputer ces représentations à la dimension magique que l’on accorde aux œuvres et non à un défaut de technique (cf. Les conventions de l’art égyptien).
La perspective, véritablement avec une dimension mathématique, est apparue à la Renaissance: cette invention est attribuée à Brunelleschi (peintre et architecte italien qui a réalisé la coupole du Duomo à Florence). Cette technique permet de donner de la profondeur à l’œuvre et d’imiter le réel.
La perspective nous permet ici d’avoir plusieurs tableaux en un. Nous avons l’impression que nous pourrions faire des zooms à l’infini.
Les différents plans d’un tableau permettent également de lui donner de la profondeur le rendre vivant. Cela permet de suggérer un espace en plaçant les éléments de la composition sur différents niveaux.
La couleur et la lumière : structurer les formes
Le dessin est une chose mais ce sont la lumière, les jeux d’ombres et la couleur qui viennent donner du volume aux formes. Dans cette peinture de Bouguereau ce sont les jeux de lumière, d’ombre et les dégradés de couleur qui suggèrent la peu humaine et soulignent la musculature des deux hommes. On voit bien ici toutes les nuances dans la carnation. L’effet de la lumière donne une impression de mouvement, comme si les personnages allaient sortir du tableau. On retrouve le même procédé dans Les raboteurs de parquet de Caillebotte.
Un débat artistique est né au XVIIe. L’idée est de savoir qui de la ligne ou de la couleur est la plus indispensable à la réalisation d’une oeuvre d’art. Au XXe siècle on assistera à la suprématie de la couleur jusqu’à l’abstraction (monochromes de Klein, outrenoir Soulages…).
LA FORME DE L’ŒUVRE PEUT NOUS RENSEIGNER SUR LA VOLONTÉ DE L’ARTISTE
Tout d’abord regarder le cartel peut être utile, cela peut nous donner des pistes et nous renseigner sur les éléments suivants: le sujet de l’oeuvre, sa situation dans la carrière de l’artiste, le commanditaire…
Le peintre peut donc vouloir
- inclure le spectateur dans la composition par le cadrage ou par un élément qui rentre dans l’espace du spectateur.
Ces deux tableaux représentent le même épisode biblique: le repas à Emmaüs. Mais on voit bien que ce sujet est traité différemment par les deux peintres. Véronèse (à gauche) utilise un cadrage beaucoup plus large que le Caravage (tableau de droite). Ce dernier, par un effet de clair obscur et un cadrage resserré, donne l’impression au spectateur d’être attablé avec les personnages. Ce sentiment est renforcé par la présence d’une corbeille de fruit au bord de la table. Elle semble sur le point de basculer: cet élément de tension inclut encore un peu plus le spectateur dans la scène.
D’autres tableau peuvent nous donner l’impression d’être indiscrets et ainsi nous impliquer dans l’oeuvre. Par exemple dans L’atelier du peintre (ci-dessus) le spectateur pourrait presque tenir le rideau qui nous laisse entrevoir la scène. Dans Le bain turc nous avons le sentiment d’être des voyeurs et de regarder la scène à travers un judas.
- On peut également vouloir magnifier le personnage représenté. Cette scène du sacre de Napoléon, par ses grandes dimensions (621 x 979 cm), magnifie le commanditaire qui n’est autre que l’Empereur lui-même… On remarquera dans la même idée que les portraits officiels de Napoléon mesurent généralement au moins deux mètres de hauteur.
- inviter à la méditation philosophique ou religieuse
Ce tableau représente le chancelier Rolin, commanditaire du tableau. Il a une vision de la Vierge à l’Enfant alors qu’il prie. On voit bien que le visage du chancelier est traité de manière réaliste, avec des rides, tandis que celui de la Vierge est idéalisé. Il y a de plus un grand vide entre les personnages: on voit donc bien qu’il s’agit d’une apparition et que les personnages n’appartiennent pas au même monde.
Enfin, les petites dimensions du tableau (66 x 62 cm) impliquent un rapport intime entre l’objet et le spectateur. Le peintre, par la taille de l’oeuvre et le traitement du sujet, nous invite à prier tout comme le fait le chancelier Rolin sous nous yeux.
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