Chappie est le dernier bijou de Neill Blomkamp, réalisateur sud-africain auquel, après le succès d’estime de District 9 transposant l’apartheid dans un univers science-fictionel et celui d’Elysium amenant la lutte des classes jusque dans l’espace, on a confié la future réalisation d’Alien 5. Depuis Short Circuit de John Badham, émouvant souvenir de notre enfance, il ne nous semble pas que nous ayons pu autant nous attacher à une créature robotique.
Deon (Dev Patel) est un ingénieur talentueux qui a fait la fortune de Tetra Vaal, une entreprise de robotique, dirigée par Michelle Bradley (Sigourney Weaver dont on a récemment parlé pour son rôle dans Exodus : Gods and Kings et dans l’article rétro sur SOS Fantôme), qui a équipé la police de Johannesburg avec le modèle de droïde policier qu’il a créé : le Scout. Il s’attire la jalousie maladive de Vincent (Hugh Jackman, vu l’année dernière dans X-Men : Days of the future past). Travaillant en secret sur un programme permettant de créer une conscience chez une intelligence artificielle, il décide de l’implémenter sur Chappie (Sharlto Copley), un robot promis à la casse. Ce dernier est volé par une bande de voyous, Yo-Landi (Yo-Landi Visser), Ninja (Watkin Tudor Jones Jr.) et Yankee (Jose Pablo Cantillo).
Une fois de plus, Neil Blomkamp a la prétention d’offrir un spectacle de divertissement percutant tout en réussissant à lui donner des atours plus profonds. On ne pas dire qu’il échoue dans sa mission. Bien au contraire, Chappie commence comme Robocop, Tetra Vaal rappelant l’Omni Cartel des Produits. La mise en scène, par le biais des infos, communiquant au spectateur l’essentiel du contexte, se logeant dans la grande tradition du film de genre. Viens ensuite cette agréable sensation de devenir proche de Chappie qui sous ses dehors de vieille carcasse abîmée arrivera à ébranler les plus blasés et les plus endurcis d’entre nous. Les effets spéciaux deviennent transparents grâce à une capture de mouvements absolument maîtrisée. Chappie est tellement anthropomorphe, dans chacune de ses postures, que l’identification du spectateur est inévitable. Par sa gestuelle, Sharlto Copley a su lui insuffler une vie et une sensation de créature consciente plus vraie que nature. On aimerait tous avoir Chappie comme ami.
A contrario, le petit point noir du film est le jeu très surjoué des deux compères du groupe de hip-hop sud-africains Die Antwoord qui jouent le papa et la maman d’adoption de Chappie. Leurs rôles semblent à la fois fades et parfois même un brin désagréable et tombe dans tous les stéréotypes liés aux cartels. Ils rappellent ces méchants aux allures punk, totalement débile, que l’on a adoré détester dans le cinéma d’action des années 80 et également adorer démolir à coup de batte de base-ball dans la série mythique des Streets of Rage. Du coup, malgré leur jeu pas folichon du tout, on finit par les aimer aussi. Et même si leur dialogue sont aussi cheap que leurs fringues, l’amour que Chappie éprouve pour eux réussit à les rendre sympathique. En accéléré, Chappie va développer une conscience et des désirs qui lui seront propres. Comme un être humain, il éprouvera les difficultés de la socialisation, se heurtera à ses parents, mettra en doute son créateur et sentira l’angoisse de la mort comme HAL 9000 dans 2001, l’odyssée de l’espace, une autre intelligence artificielle développant une conscience propre. A propos du créateur,Chappie questionne la part d’irresponsabilité voir de sadisme qu’il peut y avoir pour un créateur, forcément tout puissant du point de vue de la créature, à créer une entité mortelle. Rapidement, Chappie décide en quelque sorte que « Dieu est mort ».
S’il pose la question de la conscience, Chappie la traite néanmoins de manière peu orthodoxe mélangeant deux concepts à priori incompatible. On pense généralement que ce que nous appelons conscience n’est rien d’autre que le résultat de notre chimie cérébrale ou bien la manifestation métaphysique, plus spirituelle, immatérielle, de notre psyché. Dans ce dernier cas, elle se confond avec le concept de l’âme et se prête à l’idée de l’immortalité. Dans Chappie, elle est une donnée matérielle que l’on peut conserver et transmettre dans un nouveau corps. La part de magie des croyances en l’immortalité de l’âme est ici résolue par une équation inédite où la conscience de soi (et la vie elle-même) peuvent être réduite à des données informatiques. Rationaliser la vie après la mort, en voilà une drôle d’idée. Croyant ou athée, cette option semblera sûrement très bizarre à tout à chacun tant l’on conçoit la conscience soit comme une manifestation du divin soit comme une manifestation biologique mais rarement dans cette optique à cheval sur les deux visions. Concevant malgré tout notre corps comme partit intégrante de ce que nous sommes, même malgré la plus grande capacité d’abstraction, envisager l’âme sans le corps est moins dérangeant que l’imaginer dans un autre corps, à plus forte raison mécanique. La vie telle que nous la connaissons étant intrinsèquement biologique.
Ne vous trompez pas, si on a parlé un peu philosophie, Chappie ne vous réserve pas moins de belles scènes d’actions. Reste, et c’est une qualité certaine, que Neill Blomkamp est le maître d’œuvre d’un retour à une science-fiction plus politisée et intelligente que ce qu’offrent les pathétiques productions de Michael Bay qui inonde, malgré leur inanité profonde, les toiles des cinémas du monde entier.
Boeringer Rémy
Pour voir la bande-annonce :
https://unegrainedansunpot.com/2015/03/05/chappie-etre-ou-ne-pas-etre-nest-plus-la-question/
Commenter cet article