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Banksy, nymphéas : analyse iconographique et iconique

Publié le 7 Mai 2019, 20:14pm

Catégories : #Philo (Notions)

Banksy, nymphéas : analyse iconographique et iconique

Fiche d’identité

Titre : sans titre ; d’après la série les nymphéas de Claude Monet, plus particulièrement

Date : 2005, à l’occasion de l’exposition « Crude Oils » consacrée à l’artiste Banksy à Bristol (UK).

Source picturale : «le pont du jardin japonais de Giverny  de Claude Monet, 19011. d’après la série « les nymphéas »exécutée à partir de 1898 jusqu’à 1926.

Genre : Street Art , mouvement artistique underground qui se revendique d’un «  art de rue » dès la fin des années 1970 .

Nature : Peinture d’extérieur dans la tradition impressionniste mais « revisitée ».

Technique employée : Peinture à l’huile, la même que celle de l’image primaire.

Lieu de conservation : indéterminé.

Auteur : Banksy, nom d’artiste. Identité présumée : Robin Gunningham ou Robert Banks.

Sitographie : Site web officiel (EN) BANKSY.

 

Approche iconographique

  • Contexte historique de l’image primaire

Cette peinture à l’huile de Claude Monet compte parmi les 250 toiles qu’il a réalisé durant les trente dernières années de sa vie à l’extrême fin du XIXème siècle. La série des Nymphéas reste parmi les peintures les plus célèbres et les mieux connues de cette période. A l’initiative de Georges Clémenceau, il sera proposé à C. Monet d’aménager le musée de l’Orangerie destiné à accueillir son dernier opus « Les nymphéas ».

Le nom de Claude Monet est indissociable du mouvement artistique majeur de cette fin de siècle : l’impressionnisme. Avec Manet, Monet furent les fers de lance d’un renouveau du regard pictural porté vers la nature et l’esthétique classique. Ceci ne fut pas sans leur causer une désapprobation de la part de l’académisme institutionnel. En 1863, le rejet par le jury du Salon de Paris du Déjeuner sur l’herbede Manet sous le prétexte qu’il représente une femme nue, catalyse la réunion d’un certains nombre d’auteurs se déclarant du renouveau. Il y alors un ralliement revendicatif d’appartenance à ce qui devient alors « l’impressionnisme ». Monet et Manet seront très vite rejoints par Auguste Renoir puis Pissaro ou encore Cézanne par la suite. La réaction du conservatisme académique rapproche ainsi ceux qui n’auraient pu que demeurer des avant-gardes iconoclaste.

Pourquoi l’impressionnisme suscita t-il un tel scandale à son apparition, scandale qui allait finalement lui donner la force de conviction et d’affirmation dont il avait besoin face aux canons de la tradition héritée de l’Antiquité ? La réponse se situe dans la nouveauté de la puissance de suggestion que revendique ce mouvement esthétique. Et c’est bien au niveau de la transfiguration technique de la représentation du réel qu’est le plus visible la révolution opérée.

Il ne s’agit plus de se calquer sur les critères de beauté hérités de l’Antiquité aristotélicienne selon lesquels l’objectif poursuivi par l’artiste consiste à reproduire le plus fidèlement possible l’harmonie d’une forme figée. Les impressionnistes repoussent cet idée qu’il n’existerait qu’une unique forme esthétique à atteindre et une seule idéale correspondant à la beauté. Cette conception revient en effet à n’accepter que la répétition et le bégaiement d’un idéel inégalable. C’est bien d’une nouvelle recherche du rapport aux beautés et harmonies du monde que surgit une mutation des valeurs du regard. Et le courant impressionniste, sans avoir cherché la vindicte, se retrouve dans la confrontation puisqu’il incarne une remise en cause des normes du bon goût, inacceptable pour les notables du jugement artistique d’alors. Les fondements du mouvement impressionnisme repose donc sur une vision contestataire du visible et une mise exergue de l’expression du sensible, de l’ordre de l’impression, une beauté impalpable. La subjectivité de l’émotion ressentie devant la spectacle de la nature n’a d’égal que la singularité et la nuance restituées par l’auteur.

Nous allons ainsi observer à travers l’analyse plastique des œuvres impressionniste des changements de techniques de représentation relatifs aux formes, aux harmonies de couleurs, à leur nuances et du même coup à la disparition du trait plein et continu.

  • contexte de l’image secondaire

C’est à l’occasion d’une exposition de ses œuvres dans une galerie de Bristol que Bansky présente sa version des nymphéas. Il faut signaler que dans cette même exposition figurent également deux autres peintures à l’huile qui reproduisent en format réduit deux œuvres emblématiques de la peinture impressionniste française. Ces versions revisités des tournesols de Van Gogh et des Semeuse de Manet procède d’un même procédé de  détournement de l’ouvre originelle. Un élément référentiel vient perturber l’équilibre de l’unité représentée. Il peut s’agir d’un anachronisme comme dans le tableau qui nous intéresse : la vision d’un jardin du 19ème polluée par la présence de trois objet issus du 20ème, 2 caddys et un plot de chantier. Il peut également s’agir d’un jeu avec la cadre matériel avec le cadre du tableau comme dans le cas de la semeuse de Manet qui déserte l’espace champêtre de son activité laborieuse pour venir s’asseoir contre le cadre du tableau pour une pause cigarette.

Dans ces deux cas, il y a un jeu de manipulation et de détournement avec la matérialité même du support qui accueille la matière artistique. Or, c’est effectivement toute la démarche et la patte de l’auteur d’ art de rue qui s’exprime. Banksy signe ici ses œuvres par la composition et les motifs obsessionnels qu’il ne cesse de travailler au fil de ses œuvres variées. Chez lui l’impertinence et l’incongruité font toujours sens et ne sont jamais le fruit d’une simple irrévérence ou provocation morale. Il s’agit d’une irrévérence esthétique et intellectuelle dans le respect artistique des œuvres, monuments ou quelconque supports qui reçoivent les messages de Banksy.

  • L’auteur

A ce stade de la réflexion, il convient de présenter enfin l’auteur iconoclaste qu’incarne Banksy. Artiste mystérieux et énigmatique, son identité reste incertaine, ce qui a contribué à faire de lui un mythe de l’artiste underground clandestin agissant dans l’entrebâillement des légalités. Son activité artistique serait issue de la mouvance du street art britannique de Bristol qui à connu son éclosion au tout début des années 1980. Une inspiration libertaire et post-punk se dégage des propos qu’il véhicule dans ses projets graphiques ou ses performances en milieu urbain. Son registre technique est très varié à l’image des pratiques du street art. Celles-ci sont exercées dans les endroits publics et dans la rue. On trouve donc des graffitis, des pochoir d’aérosols, des projections vidéo, la création d’affiches, des peintures au pastel sur les rues et trottoirs des villes.

La pratique de Banksy reste fidèle à l’idée de contestation et de critique sociale, il y a toujours la recherche d’une dimension illégale du mode d’expression quel que soit le contexte, sur le mur de Bethléem ou sur les briques rouges de l’Angleterre Tatcherienne. Est toujours mis en scène un acte revendicatif et activiste qui dénote d’une volonté d’inscrire la transgression et la subversion dans une démarche artistique. Pour autant, le regard rebelle de Banksy s’exprime dans la plus parfaite illégalité de pratique puisqu’il agit le plus souvent en violation du code moral et pénal de la propriété, qu’elle soit publique ou privée. Quelques unes de ses œuvres sont reproduites en annexe dans le powerpoint.

 

Approche iconique et plastique

Thème : Le jardin japonais, son pont, son lac et ses nénuphars

Le cadre naturel du tableau originel de Monet a sa petite histoire qui révèle l’enjeu de la série interminable d’essais de nature « vivante » que le peintre exécuta vers la fin de sa vie. En 1890, Monet a désormais les moyens financiers de s’offrir la grande maison de maître de Giverny qui abrite un vaste jardin floral. En 1893, il fait construire le jardin d’eau avec son étang aux nymphéas. L’histoire ne dit pas si c’est l’opportunité du jardin construit qui lui inspira ses toutes dernières œuvres connues ou si Monet avait prémédité dès la commande de son jardin d’en faire le cadre d’application de son projet artistique final. Mon avis penche pour la seconde interprétation tant l’obsession de la recherche d’une harmonie des couleurs, d’une fusion des formes naturelles dans la nuance lumineuse des verts est omniprésente.

Banksy, lui, téléporte grâce à sa machine a remonter le temps trois objets de la contemporanéité, en total anachronisme avec le temps de la peinture d’origine et en total contraste d’univers référentiel. Ses ajouts sont plus qu’une allusion iconique par adjonction car il parvient à donner, par la seule co-présence de 2 niveaux de réalités opposés (nature/urbanité) une valeur symbolique aux objets. Les caddy et le plots représente le terrain d’action de Banksy, l’univers du contemporain et de la société de consommation. Ils véhiculent aussi un message dans la distance qui sépare le présent du supermarché et le passé des quiétudes bourgeoises : la beauté de la contemplation est aujourd’hui prise en défaut par la disharmonie des agencements urbains qui désacralisent le regard humain. Outre un discours sur la pollution de l’environnement qui actualise le tableau de Monet dans le présent du XXième siècle, Banksy élabore une métaphore d’un deuil : celui d’un projet artistique recherché par les impressionnistes : l’harmonie cohérente et la subtilité artistique.

Formes 

Les formes naturelles s’épousent en osmose, se fondent dans une profondeur pâle et infinie . Aucun ligne dure ne vient contraindre le regard dans une lecture en deux dimensions. C’est la valeur impressive des formes diffuses qui est recherchée comme effet. Les feuilles des arbres se noient dans le mouvement des tiges et de la végétation qui ploit vers l’ étang.

Même le pont semble s’arrondir et se bomber pour ne pas dissoner avec son environnement.

 

Couleurs

La dominante verte est majoritaire mais il y a une variation infinie de nuances de vert.

Cette impression est renforcée par la technique de pinceau : les touches sont légères et serrées, il n’y a pas de traits plein et continus comme nous l’avons déjà évoqué. Monet cherche à capturer la lumière et ses vibrations dans ses couleurs.

Lorsque Banksy lui rend la pareille, il n’a que que les formes géométriques et les angles droits de ces objets importuns qui viennent d’un autre espace-temps. Les couleurs sont le rouge et le blanc, sans espoir de dilution l’une dans l’autre. Les objets de Banksy s’abîment dans le fond de l’étang faute de trouver leur place dans ce décor étranger, ils disparaissent littéralement !

 

Approche iconologique

A travers l’œuvre de Bansky, nous faisons face à une ré-actualisation d’un style pictural qui offre la possibilité d’une réflexion sur l’art et la représentation. Les effets de sens en raison de l’allusion iconique par adjonction sont immédiats : il y a une reconnaissance immédiate de l’œuvre référent qui figure au patrimoine culturel de la peinture française. On peut remarquer le minimalisme du procédés, les éléments d’ajout perturbateurs provoquant un impact perceptif maximal en raison, essentiellement de l’anachronisme auxquels renvoient les imaginaires des deux univers évoqués.

La confrontation d’un tableau de musée et de deux objets du réel contemporain représentés génère une portée symbolique par la réciprocité des effets de contraste. Les deux réalités auxquelles renvoient ces deux signifiants associés se trouvent débordées de leur simple fonction référentielle et il en résulte une transfiguration qui les charge d’un symbolisme métaphorique et métonymique.

On soulignera donc l’efficacité du décalage qui interpelle la perception intuitive du spectateur. Le choc souhaité par l’auteur , la proposition de perception subversive appelle une réaction de la perception. Mais la modalité provocante choisie pour modifier les repères référentiels et socio-culturels habituels remue le regard et prend le risque de se heurter à un refus face à ce non-conformisme. Pour le regard séduit, il y aura une adhésion amusée, intellectualisée car conscientisée ou bien encore un simple ressenti d’ »anormalité bizarre » pour un regard qui s’arrêterait à la fonction référentielle et dénotative de l’image.

 

Approche subjective : conclusion

Irrévérence, simple provocation ou hommage aux avant-gardes ?

L’œuvre que nous venons de parcourir est symptomatique de la pratique artistique de Bansky et de sa démarche dans ses productions diverses. Elle est aussi l’occasion pour lui de tourner un regard amusé à l’égard de sa carrière qui fait de lui aujourd’hui un artiste underground « fréquentable » dont certaines de ses œuvres se vendent aux enchères à Londres ou New York. En se mettant en scène comme artiste lors de l’exposition Crude Oils, Banksy a proposé ce qu’on pourrait appeler une mise en abyme de son art et une réflexion sur son art de rue. En provoquant l’émoi d’un public bien pensant devant l’outrage porté à une œuvre intouchable, il a pourtant, pour le regard averti, rendu un hommage au rêve fou des impressionniste et a témoigné avec sens de la provocation de son sentiment de fraternité et d’appartenance à l’espèce de ceux qui veulent voir plus loin que ce qui arrête le regard.

 

Denis ​​​​​​​ Faragou

source :  https://denfar.wordpress.com/358-2/

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