TSTI, octobre 2019
le statut du déterminisme génétique, cf Bienvenue à Gattaca :
De : Andrew Niccol
Avec Ethan Hawke, Uma Thurman, Jude Law
Genre : Science-fiction
Date de sortie : 29 avril 1998
Durée : 1H46mn
Synopsis
Dans un monde parfait, Gattaca est un centre d'études et de recherches spatiales pour des jeunes gens au patrimoine génétique impeccable. Jérôme, candidat idéal, voit sa vie détruite par un accident tandis que Vincent, enfant naturel, rêve de partir pour l'espace. Chacun des deux va permettre à l'autre d'obtenir ce qu'il souhaite en déjouant les lois de Gattaca.
séquence naissance 3mn37 :
https://www.youtube.com/watch?v=_olmxL0ZVSo
séquence natation entre les deux frères - 3mn09 :
Vincent Freeman (Bienvenue à Gattaca) : la lutte de la liberté contre les déterminismes
Dans le film, le personnage de Vincent Freeman ("l'homme libre"), joué par Ethan Hawke, incarne la force de la volonté contre les déterminismes (biologiques, sociaux...) qui l'accablent.
Bien que doté d'un génome imparfait, il se définit par son "projet" existentiel (partir dans l'espace) et par les actes qu'il entreprend pour le mener à bien.
Il est la preuve que l'homme ne se réduit pas à ce que ses gènes font de lui : il peut décider lui-même de ce qu'il veut être en transcendant ses propres faiblesses physiques. Comme l'illustre cette scène du film dans laquelle Vincent (né naturellement) affronte son frère dont l'ADN a été programmé avant la naissance afin de le rendre plus performant. Cette lutte de l'homme contre la nature (la mer déchaînée) devenant un symbole de la lutte de l'homme contre sa nature (ensemble des prédispositions génétiques et biologiques qu'il n'a pas choisies mais contre lesquelles il peut se définir).
A partir de la bande-annonce (3mn37) , répondre aux questions en lien avec le cours sur la liberté
Commentaire séquence :
Dans le flashback qui s’ouvre sur son histoire (noter l’intensification sépia de la colorisation de l’image, comme si le spectateur était invité à ouvrir un (très) vieil album de photos), on apprend que le narrateur a été conçu dans une voiture (observer, dans un rapide insert le crucifix qui se balance au rétroviseur… témoin de l’engagement religieux des parents.) Lorsque naît le narrateur, la science lui prédit 30 ans d’espérance de vie et alors qu’il devait s’appeler Anton, comme le père, ce dernier opte au dernier moment pour Vincent, reléguant par là son fils aux dernières lettres de l’alphabet.
Deux images pleines de sens : lorsque ses parents veulent confier le petit Vincent à une garderie, la directrice de cette dernière le refuse pour de limpides raisons d’assurance… Vincent et ses parents voient leur univers cerné de grilles, à l’image de celles qui reviendront régulièrement dans le film lorsque des Non-valides seront mis en scène. Lorsque par ailleurs le petit Vincent joue, c’est déjà avec la matière qui le compose, ici une modélisation de molécule…
Pour leur deuxième enfant, les jeunes parents optent pour la Science (à cette occasion, on apprend que la mère de Vincent se prénomme Marie…) et donnent enfin naissance à un Anton digne de porter le prénom de son père.
De fait, ce deuxième enfant se révèle vite plus grand (scène de la toise), plus sportif aussi, puisqu’il bat régulièrement Vincent dans l’épreuve de natation qu’ils s’imposent régulièrement. Jusqu’à ce qu’à la fin de la séquence, Vincent l’emporte pour la première fois sur Anton et lui sauve même la vie. C’est l’événement déclencheur de tout. Anton se révèle moins fort qu’il ne le pensait et Vincent beaucoup plus. Dorénavant, tout devient possible.
----
Analyse des 2 séquences :
I - SCENE DES NAISSANCES DE VINCENT PUIS D’ANTON
Faut-il avoir recours à la génétique pour avoir l’enfant rêvé, l’enfant parfait ?
a) Vincent, « L'enfant du destin »
Vincent Freeman (Ethan Hawke) est un enfant « invalidé », conçu naturellement, et qui rêve de devenir astronaute à Gattaca, un centre de formation et de programmes spatiaux. Ses parents Antonio et Marie Freeman, partant d'une bonne intention, ont en effet décidé de se passer des services de la science pour leur premier enfant, préférant laisser son avenir au hasard. Malheureusement, dès la naissance, son profil est calculé par un ordinateur, qui en trois secondes, et d'après une infime goutte de sang prélevée sur l'enfant, indique aux parents que leur fils ne passera pas la trentaine puisqu'il est sujet à de graves problèmes cardiaques. En apprenant ces informations, le père choisit de ne pas le nommer Anton comme prévu.
Durant toute la scène qui raconte la naissance de Vincent, le réalisateur insiste sur la notion de destin et de hasard.
La scène est introduite par un fondu, une voix off et une musique pour insister sur le «flashback».
La couleur verte, symbole de l'espoir et de la chance est très présente. Elle est notamment la couleur de la voiture et du linge à la maternité. On remarque aussi un chapelet rappelant la religion qui est pour les naissances «normales ».
Cette scène met l’accent sur l'amour, avec des clichés très significatifs des films américains: le coucher de soleil, la plage, la voiture... Tout cela accompagné par une musique très douce et la phrase de la voix off : « Un enfant a plus de chance d'être heureux lorsqu'il est conçu dans l'amour ».
Lors de l'accouchement, la place principale n'est pas donnée au bébé que l'on ne voit que très rapidement, mais à l’infime goutte de sang analysée par un ordinateur, filmée en gros plan. Cela traduit l'importance des résultats génétiques dans une société eugéniste.
Ainsi, la première personne à être filmée est l'infirmière qui récite de manière robotique les résultats de l'analyse : espérance de vie, probabilité de problèmes cardiaques,...
Ce n'est qu'après que la caméra s'arrête sur les parents qui décident du prénom de leur enfant. Le prénom n'arrive donc qu'après la description de la santé du bébé. La vraie identité du bébé n’est pas son prénom mais son ADN.
b) Anton, un enfant issu de la sélection génétique :
une nouvelle forme de discrimination au sein de la famille :
Le couple ayant décidé de faire appel à la science pour leur deuxième enfant, Anton Freeman fait l'objet de manipulations génétiques destinées à le « protéger » du hasard : pas de maladies héréditaires graves, pas de myopie ni de calvitie ! C’est la méthode dite « naturelle » !
Le résultat est à la hauteur de leurs espérances. C'est cet enfant qu’ils considèrent digne de porter le prénom « Anton », et qui fait leur fierté car il répond à leur idée de l'enfant parfait.
L'écart entre les deux enfants est très prononcé, et apparaît avant même la naissance d’Anton : En effet l'enthousiasme des parents chez le généticien s'oppose à leur déception lors de la naissance de Vincent.
La scène où les parents mesurent la taille d’Anton est significative de la mise à l'écart de Vincent et de la supériorité d’Anton. Vincent est oublié au premier plan tandis qu'on devine dans le flou en arrière-plan la famille « à trois » qui semble épanouie.
Une nouvelle forme de discrimination dans la société :
Vincent ne présentant pas des critères génétiques satisfaisants, les assurances refusent de l’assurer. Cela l'empêche aussi d’intégrer les écoles que ses parents souhaitent.
Dans cette société, on voit apparaître une nouvelle forme de discrimination basée sur l'ADN appelée le génoïsme. C'est cette discrimination qui empêche Vincent d'avoir un travail de qualité et de réaliser son rêve d’astronaute car c’est son ADN qui constitue son CV, et il est accessible à partir d'un simple mouchoir, d’un cil, d’une poignée de main, ...
II - SCENES DES DEFIS DE NATATION
Lorsque la volonté est plus forte que la génétique
Alors que les deux frères sont au bord de la plage, Vincent s'ouvre la main pour faire couler son sang et ainsi réaliser le rituel du « frère de sang »; rituel que l'on fait généralement avec un ami pour signifier une amitié éternelle. Mais Anton, lui, refuse de le faire. Cette scène sous-entendrait que les frères ne sont pas du même sang, et que celui d'Anton est plus précieux.
Durant l'enfance, les deux garçons n'auront de cesse de jouer aux frères de sang, de se comparer, et de se lancer des défis de natation. Anton, par son profil génétique, battra sans cesse son grand frère.
Métaphore de l’eau (liquide amniotique): tous les deux ont grandi dans le ventre de la même mère mais de cette grossesse l’un (Anton) en est sorti plus fort que l’autre.
Référence aussi à la Théorie de l’évolution de Darwin et à la sélection naturelle qui élimine les plus faibles : c’est une course à la survie.
Mais quelques années après, au cours d’un nouveau défi de natation entre les 2 jeunes adultes, Vincent sauve Anton de la noyade.
À partir de ce jour Vincent sait qu’il est possible pour lui de réaliser ses rêves malgré son profil génétique déficient. Il comprend que malgré les statistiques inscrites dans son sang à la naissance, rien n’est écrit et tout est possible. Il comprend alors que la volonté est la clé de la réussite et que cette volonté est bien plus forte que les gènes que l’on porte en soi.
La Nature est présente dans cette scène. Elle est représentée de manière très mouvementée : le bouillonnement des vagues sur la plage, l’agitation de l'eau, les drapeaux balancés par le vent...
Dans la Nature, tout n'est qu'agitation, flou et désordre, toujours en contraste avec Gattaca (symbole de la société eugéniste), cité lisse et stricte où chaque instant est planifié, où tout est étudié et rien n'est laissé au hasard, rien ne dépasse.
Une scène qui rappelle ainsi que la génétique ne peut pas déterminer un être, sa personnalité, sa place dans la société et son avenir, car ce serait renier l'individualité et l'âme de chacun, en considérant que l'être n'est finalement qu'une machine programmée par son génome dès la naissance.
source : http://blog.ac-versailles.fr/terminus/public/bienvenue_a_gattaca.pdf
-----
Questionnaire court terminales technologiques
1 Quelles sont les deux questions morales distinctes posées par Bienvenue à Gattaca ? Quelle réponse apporte le film à ces questions ?
2 Une des scènes les plus importantes du film est celle où les parents de Jérôme discutent de leur deuxième enfant avec un généticien :
« – Le scientifique : « J’ai pris la liberté de supprimer toutes les conditions potentiellement préjudiciables, la calvitie, la myopie, l’alcoolisme, la propension à la violence et l’obésité.
–Le père : Nous nous demandions si nous devrions laisser certaines choses au hasard.
–Le scientifique : Vous voulez donner à votre enfant le meilleur départ possible. Croyez-moi, nous avons assez d’imperfections comme cela. Votre enfant n’a pas besoin de tare supplémentaire. Pour 5 000 dollars de plus, nous pouvons ajouter le don musical ou mathématique. »
Que montre cette scène selon vous ?
3 Que reflète ce dialogue entre le directeur de Gattaca et l’enquêteur ? :
« – Directeur Josef: Nous devons nous assurer que les individus respectent leur potentiel.
–L’Enquêteur: Et pas le dépasser?
–Directeur Josef: Nul ne dépasse son potentiel.”
–L’Enquêteur: Et s’il le fait?
–Directeur Josef: Cela signifie que nous avons fait une erreur. »
4 Pour qui (et pourquoi) cette société hautement technologique et très avancée culturellement, qui possède tout l’attrait de ce que la science pourrait a priori offrir de mieux, un corps qui respire la santé et la perfection, et qui est idyllique pour ceux dont les gènes et le corps sont parfaits tourne-t-elle au cauchemar ?
5 À quoi le titre Gattaca fait-il référence ?
6 À quoi font référence le nom du protagoniste Jérôme Eugene et l’escalier de la maison que partagent Jérôme et Vincent ?
7 Quel problème posent ici ceux qui ont des gènes parfaits ?
8 Définissez l'eugénisme et indiquez le problème auquel il renvoie dans le film.
9 Quel lien le film propose-t-il entre bonheur et eugénisme/génome ?
10 Quelle leçon peut-on tirer de la rivalité entre les deux frères ici ?
----
Réponses :
1 Est-il moral de modifier la nature humaine ? Peut-on agir contre nos prédispositions biologiques ?
2 Le philosophe allemand Jürgen Habermas, dans L’Avenir de la Nature Humaine a formulé la principale critique à toute modification génétique de la naissance (ce qu’il nomme anthropotechnique). Choisir la naissance, c’est retirer à l’homme sa capacité à s’auto-déterminer, c’est lui retirer sa liberté, bref son humanité.
3 Le directeur Josef représente le déterminisme, il ne peut admettre la dimension de hasard, la part immarcescible de liberté. Le message du film est que les individus peuvent s’élever au-dessus de leurs prédispositions génétiques, qu’elles soient physiques ou psychologiques. Ultime réfutation de l’approche déterministe, la révélation de la culpabilité du directeur Josef achève de montrer l’inanité de cette théorie, lui dont le profil génétique ne montrait « aucune violence ». Même programmé, l’homme n’échappe jamais à sa liberté, il est « condamné à être libre » comme l’affirme Sartre.
4 Pour les hommes à l’ADN naturel, conçu de façon naturelle. Cette société a en effet le travers de pratiquer, de façon plus ou moins visible et affichée, l’eugénisme puisque, ne serait-ce que dans la conception des enfants, les parents trient et sélectionnent des gamètes afin de concevoir in vitro des enfants parfaits. Et bien que cela soit officiellement interdit, les sociétés et employeurs utilisent les tests ADN discrets (un échange de poignée de main faisant l’affaire) en lieu et place de CV pour sélectionner leurs employés, les personnes « naturelles» se retrouvant paralysées socialement
5 L’importance de l’ADN dans cette société se retrouve jusque dans le titre du film puisque le titre Gattaca fait référence aux quatre nucléotides, les quatre base de l’ADN que sont la guanine, l’adénine, la thymine et enfin la cytosine, la séquence GATTACA apparaissant elle-même plusieurs fois dans le génome humain.
6 Le nom du protagoniste Jérôme Eugene Morrow fait lui-même référence aux gènes, et ce de façon presque explicite et l’escalier de la maison que partagent Jérôme et Vincent est la représentation d'une double hélice, forme que prend la protéine ADN. Tout est donc dirigé par les gènes dans cette société, jusqu’aux décors et à l’identité même des personnages, et pour cause d’ailleur : les gènes sont fondateurs des hommes.
7 Dès lors que ceux qui ont des gènes parfaits sont mis en avant au détriment des autres, cette société, qui favorise donc la discrimination des derniers selon leur déterminisme génétique, met en pratique l'eugénisme.
8 Ce film apparaît donc comme une dénonciation de l'eugénisme, cette pratique qui consiste à améliorer les caractères héréditaires de l'espèce humaine de façon délibérée et artificielle, puisque cette amélioration présuppose qu'il y a intervention puisqu'il y a sélection des gènes jugés favorables, bénéfiques, et éradication de ceux qui sont porteurs d'handicaps. Or cela pose un véritable problème éthique à l'égard de ceux qui sont nés naturellement, des « invalides » dont les gènes ne sont pas parfaits. Car, a-t-on le droit, dans quelle mesure, et avec quelle légitimité de les bannir des hautes fonctions sous prétexte que leur durée de vie n'est pas à la hauteur ou tout simplement parce qu'ils présentent certains handicaps ?
9 Nous pourrions-nous demander si un tel projet eugéniste vise véritablement le bonheur de l'individu lui-même. Le bonheur réside-t-il dans un corps parfait ou dans l'épanouissement de soi ? Or que vaut dans une telle société la satisfaction (aussi matérielle qu'elle puisse être) de s'être prouvé à soi-même qu’on avait la capacité intellectuelle par exemple d'atteindre un objectif, un métier haut placé si le seul CV qui vaille est notre génome, chose que l'on acquiert pas par un travail de soi sur soi mais qui est déjà là, déjà acquis, qui repose en nous, et que nous n'avons qu'à actualiser de façon totalement inconsciente ?
10 Ce film prouve en effet que la perfection n’est pas synonyme de bonheur. Vincent met un point d’honneur à surpasser et infirmer tous les pronostics qui ont été faits sur lui à sa naissance, montrant que la perfection, face aux choix et à la détermination, ne vaut rien en soi, pas même dans une société qui en a fait son critère de valeur. En effet, Vincent, qui a un frère, évolue, progresse, et sa progression fait sens, alors que son frère, génétiquement optimisé quant à lui, ne progresse pas dans sa vie, il entre dans la police criminelle, mais stagne professionnellement: il n’a rien à prouver ni à la société ni à lui-même. Vincent quant à lui veut se prouver que même un invalide, un « dégénéré » peut atteindre le bonheur, peut percer dans cette société qui pourtant ne lui laisse aucune chance. Le code génétique n’est donc en réalité qu’une donne, et non un itinéraire obligé, ce n’est pas le déterminisme qui nous mène où nous allons, juste la détermination.
Commenter cet article