Voici un film de Dalton Trumbo datant de 1971 qui va permettre d’illustrer l’idée de conscience en philosophie et sa dualité car la conscience est non seulement la distance qui existe entre moi et moi même mais aussi entre moi et le monde: « Johnny got his gun » c’est l’histoire de Joe Bonham, jeune victime du premier conflit mondial littéralement déchiquetée par un obus lors d’un bombardement. Reprenant ses esprits , il s’aperçoit avec effroi qu’il a non seulement perdu l’usage de ses membres (il n’a plus ni bras ni jambes) mais aussi celui de ses sens (son visage est réduit à un trou béant ). La seule perception qui lui reste est le sens tactile et encore dans sa version passive. C’est un homme réduit à un cerveau en état de fonctionnement , un homme réduit à rien puisque privé de toute velléité d’action mais un homme (malheureusement) conscient de lui même, de sa misérable condition et qui tente désespérément d’entrer en contact avec le monde extérieur pour trouver une issue à son cauchemar.
La conscience de soi
Descartes définit la conscience comme une « chose » existant indépendamment du corps et repliée sur elle même ( le solipsisme) mais Descartes ne passe-t-il pas à côté de la nature même de la conscience en tant ouverture à la fois sur soi et sur le monde? C’est justement ce que nous montre le film en confrontant la conscience isolée de Joe enfermée à l’intérieur de lui même et matérialisée par une voix off et notre perspective élargie de spectateurs qui avons connaissance de sa situation d’un point de vue externe et des personnes qui constituent son entourage : l’Etat major militaire décisionnaire ( qui le croit au début , décérébré) et celui du personnel soignant (majoritairement féminin). Comment le monde extérieur parvient-il à la conscience de Joe puisque celui-ci n’a plus l’usage de ses principaux sens ?
Joe est en contact avec le monde extérieur à travers ses sensations. En l’occurrence, il perçoit les oscillations à travers son dos et ensuite c’est son jugement qui interprète qu’elles sont liées à des pas humains sur le sol; c’est à dire qu’il met en forme les informations provenant du monde extérieur selon certaines structures mentales de son cerveau : il associe ensuite les vibrations qui lui parviennent à la corpulence et au genre probables des personnes qui vont et viennent autour de lui . De même, lorsqu’il sent de la chaleur sur son visage, il opère le lien avec l’idée de soleil . A partir de cette nouvelle donnée , il se sent en mesure de discerner l’alternance du jour et de la nuit (en lien aussi avec les routines quotidiennes de l’ infirmière « là, elle change mes draps: C’est le matin… ») il devient ainsi capable de mesurer le temps et de mettre en place des repères . Il invente un calendrier mental lui redonnant en quelque sorte prise sur un réel qui lui échappe cherchant avec acharnement à maintenir le lien avec le monde extérieur. On voit donc bien que la conscience, loin d’ être une chose une substance pensante autarcique est avant tout une activité de projection vers les choses comme le dit Husserl.
Certes, mais notre Joe est tout de même confronté à l’isolement, au repli sur soi et à l’enfermement . Sa seule échappatoire pour l’empêcher de penser , de ruminer c’est de se plonger dans ses souvenirs (en couleur dans le film) et dans ses rêves quand il dort . Mais les rêves peuvent vite tourner aux cauchemars puisqu’ils le plongent dans un inconscient peuplé d’incertitude et d’angoisse: Il imagine un rat se promenant sur son corps paralysé mais est-ce un rêve ou es -ce la réalité? Comment opérer une distinction fiable entre ces deux temps ? Peut- être en repérant le moment où ses paupières deviennent lourdes parce qu’il va sombrer dans le sommeil? Mais non …. Fausse bonne idée car dans son cas, il n’a plus d’yeux ! Ses paupières ne se fermeront jamais plus !!! Il ne peut donc pas trouver de solution: il est condamné à être grignoté de l’intérieur !
La distance qui existe entre moi et le monde
Joe est enfermé en lui même mais parfois de petites satisfactions font reculer l’obscurité dans laquelle il est plongé et lui redonnent une lueur d’ espoir: l’expérience de la chaleur du soleil au contact avec sa peau le plonge dans des souvenirs de bonheur , la sollicitude maternelle de la jeune infirmière qui caresse son tronc et y dessine des lettres pour lui souhaiter » joyeux noël » , l’utilisation de la communication en morse avec sa tête qui lui fait espérer établir enfin un pont avec le monde des vivants . Il croit naïvement à la bienveillance de ceux qui autour de lui ne peuvent que chercher à l’aider ne serait-ce que par souci d’assistance à personne en danger mais les désillusions s’enchaînent augurant un scénario dramatique quant à son avenir : » je croyais qu’ils seraient heureux que je puisse communiquer avec eux mais non la seule dont je suis encore capable dans ce monde ils ne veulent pas en tenir compte tout ce qu’ils veulent c’est de me rejeter dans les ténèbres dans lesquels je suis en train de sombrer ».
Joe n’a plus aucune prise sur son propre destin qu’il soit en vie est le pire cauchemar qui soit imaginable puisqu’il n’a même pas la possibilité d’y échapper en mettant fin à ses jours . Pour lui sa conscience lucide représente le pire fléau. Il perd sa dignité d’homme, ravalé au rang d’objet d’expérimentation pour les progrès de la science et dépossédé de lui même.
Que l’on aborde Johnny Got His Gun par le roman de Dalton Trumbo (publié en 1939) ou par son adaptation cinématographique (1971), le choc ne peut être qu’immense et inoubliable. Une seule personne, quelque part, a-t-elle découvert la tragique aventure de Joe Bonham sans en sortir secouée, lessivée, anéantie ? Peu importe notre sexe, âge, nationalité, couleur de peau où époque à laquelle nous vivons, Johnny nous marque et nous hante car il parle de chacun de nous: l’être humain dans ce qu’il a de plus universel et de plus intemporel. Son existence et sa souffrance. Et pour qui son existence EST devenu sa souffrance. Et le fait qu’il soit une victime de guerre (ici celle de 1914-18) ne fait que renforcer cette universalité, cette intemporalité. Puisque hélas ! la guerre ne connaît ni époques, ni frontières…
anne
source : http://reussitebac.fr/index.php/2017/12/03/942/
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