« Il y a une vérité dont la connaissance me semble fort utile : qui est que, bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu'on ne saurait subsister seul, et qu'on est, en effet, l'une des parties de l'univers, et plus particulièrement encore l'une des parties de cette terre, l'une des parties de cet État, de cette société, de cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance. Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier ; toutefois avec mesure et discrétion, car on aurait tort de s'exposer à un grand mal, pour procurer seulement un petit bien à ses parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus; lui seul, que tout le reste de sa ville, il n'aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver. Mais si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu'on croirait en retirer quelque petite commodité, et on n'aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu ; au lieu qu'en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint pas d'exposer sa vie pour le service d'autrui, lorsque l'occasion s'en présente ; voire on voudrait perdre son âme, s'il se pouvait, pour sauver les autres. »
Descartes, Lettre à Elisabeth,1645
Dégager la problématique du texte
- Dans ce texte, Descartes se demande si nous devons agir en vertu de nos seuls intérêts particuliers. La question est de savoir comment nous devons envisager notre rapport aux autres. Devons-nous nous envisager comme un individu porteur de son intérêt particulier face à d’autres individus mûs par leur intérêt particulier ?
- Mais le problème porte précisément sur la définition de notre identité : qui sommes-nous ? Sommes-nous seulement des individus définis par la poursuite de leur intérêt particulier ? De fait, notre identité est multiple : chaque individu se définit également par son appartenance à des groupes.
- Mais pour quelles raisons devrait-on agir dans l’intérêt du groupe plutôt que dans notre intérêt particulier ? Comment penser, même, un intérêt commun ? Et dans quel but devrions-nous subordonner la poursuite de notre intérêt égoïste à celle de l’intérêt du groupe ?
Repérer la structure du texte et les procédés d’argumentation
- Dans un premier temps, Descartes pose la question de notre identité, en rappelant que nous ne sommes pas seulement un individu particulier (un tout face à d’autres individus), mais aussi un membre de différents groupes, donc une partie de différentes communautés. Par conséquent, notre identité est aussi, et par définition, une identité sociale.
- Dans un second temps, Descartes énonce un principe moral en attachant à ce principe une façon de se l’approprier : si les intérêts du groupe doivent l’emporter sur les miens propres, je peux être amené à prendre en compte le contexte, en faisant appel à une mesure comparative.
- Dans un troisième temps, Descartes expose les inconvénients qui découlent du non respect de ce principe, et les avantages qui découlent de son application. La possibilité d’un rapport moral à autrui, dit-il, vient de ma capacité à subordonner mon intérêt privé à l’intérêt du groupe.
Éviter les erreurs
Éclairer les mots
- Pour expliquer ce texte, vous devrez d’abord relever les distinctions qui le structurent : personne séparée des autres / l’une des parties de l’univers, l’une des parties de cette terre, l’une des parties de cet État, de cette société, de cette famille ; intérêts du tout / ceux de sa personne en particulier ; tout / partie ; grand mal / petit bien ; un homme / tout le reste de sa ville ; perdre / sauver ; si on rapportait tout à soi-même / en se considérant comme une partie du public.
Introduction
Devons-nous agir en vertu de nos seuls
A priori, on pourrait condamner la poursuite exclusive de l’intérêt particulier au nom d’un impératif moral selon lequel il serait mal d’agir dans son seul intérêt. Mais pour quelles raisons serait-il mauvais d’ordonner notre conduite à notre égoïsme ?
C’est précisément la question que se pose Descartes dans ce texte, en se demandant comment nous devons envisager notre rapport aux autres, et donc notre rapport à nous-mêmes. Devons-nous nous envisager comme un individu porteur de son intérêt particulier face à d’autres individus mûs par leur intérêt particulier ? Mais le problème porte précisément sur la définition de notre
Dans un premier temps, Descartes pose la question de notre identité, en rappelant que nous ne sommes pas seulement un individu particulier (un
Dans un second temps, Descartes énonce un
Enfin, Descartes expose les
1. Notre identité est à la fois personnelle et sociale
A. Nous sommes un individu
Pour répondre à la question portant sur notre rapport aux autres, Descartes part d’une définition de notre identité qui se développe en deux temps : nous sommes d’une part, dit-il, « une personne
B. Nous sommes les parties de différents groupes
Par conséquent, se définir comme un individu séparé des autres est insuffisant et finalement assez abstrait : car l’existence et la survie de chaque individu sont liées à leur inscription dans une série de groupes. J’appartiens à l’« univers », à la « terre », à l’« État », à la « société », à la « famille ». Je suis défini comme un
2. Les intérêts du groupe doivent primer sur les intérêts particuliers
A. Énonciation du principe moral
Descartes énonce alors un principe qui découle de cette définition double de notre identité : celui de la
B. Adaptation du principe au contexte
C’est ce que précise Descartes en nous appelant à soupeser, par une mesure comparative, chaque situation. Il s’appuie là sur deux exemples visant à montrer l’absurdité d’une conduite qui ferait de ce principe un
3. Ce principe est la possibilité d’un rapport moral à l’autre
A. Inconvénients du non respect de ce principe
Descartes établit alors une
B. Avantages de l’application de ce principe
En revanche, s’envisager comme une partie plutôt que comme un tout présente un double avantage pour nous : nous éprouvons par là du « plaisir » à faire du bien aux autres perçus comme autres parties du même tout et, par ailleurs, nous trouvons dans cette représentation la force de dépasser nos craintes particulières.
Conclusion
En définitive, l’enjeu, pour Descartes, est ici de fonder en raison cette règle morale qui veut qu’il soit bon d’agir pour les autres. Si je dois subordonner mes intérêts égoïstes à ceux du groupe, dit-il, c’est d’abord parce que mon identité est à la fois personnelle et sociale. De ce point de vue, la conduite égoïste est d’abord condamnable en ce qu’elle est une
source : https://www.annabac.com/annales-bac/descartes-lettre-elisabeth
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