« Il reste à dire en quoi l'artiste diffère de l'artisan. Toutes les fois que l'idée précède et règle l'exécution, c'est industrie. Et encore est-il vrai que l’œuvre souvent, même dans l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux qu'il n'avait pensé dès qu'il essaie ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d'une idée dans une chose, je dis même d'une idée bien définie comme le dessin d'une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu'une machine bien réglée d'abord ferait l’œuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera à l’œuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il fait ; il serait même rigoureux de dire que l'idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu'il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c'est là le propre de l'artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s'étonne lui-même. Un beau vers n'est pas d'abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu'il la fait ; et le portrait naît sous le pinceau. Ainsi la règle du Beau n'apparaît que dans l’œuvre et y reste prise, en sorte qu'elle ne peut servir jamais, d'aucune manière, à faire une autre œuvre. »
ALAIN, Système des Beaux-Arts, Livre I.
1) DEGAGEZ LA THESE DE CE TEXTE ET LES ETAPES DE SON ARGUMENTATION
La thèse d’Alain dans ce texte est : la technique et l’art diffèrent l’un de l’autre dans une certaine mesure.
Pour mener son argumentation à bien, Alain s’y prend en deux grands temps. D’abord Alain s’intéresse au fonctionnement de l’artisan, celui-ci exécute son ouvrage en se réglant sur une idée préconçue à laquelle il obéit. Ensuite, Alain montre que le fonctionnement de la société de l’artiste est inverse : lui part d’une idée vague qui s’affine à mesure qu’il crée. Néanmoins Alain précise que l’artisan peut être artiste lorsqu’il se détache de l’idée préconçue.
2) EXPLIQUEZ
a) « Toutes les fois que l’idée précède et règle l’exécution, c’est industrie » (lignes 1-2).
Par cette phrase Alain explique le fonctionnement de l’artisan, c’est-à-dire comment celui-ci procède lorsqu’il exécute une tâche. Il y a technique, selon lui, dès que l’ouvrage obéit à une règle préconçue. Ce pourquoi il dit que dans l’industrie “l’idée précède”. C’est ce qui distingue la technique de l’art dans lequel l’idée advient pendant ou après coup.
b) L’artisan est « artiste, mais par éclairs » (ligne 5)
Par cette phrase, Alain nuance l’idée selon laquelle l’artisan diffèrerait de l’artiste en tous points. En effet, selon lui, il peut arriver que l’artisan devienne artiste, de manière exceptionnelle (“par éclairs”) : lorsque ce dernier n’obéit plus strictement à l’idée de base censée commander la réalisation de sa tâche, mais qu’il tente de l’adapter.
c) L’artiste est « spectateur aussi de son œuvre en train de naître » (lignes 13-14)
Par cette phrase, Alain explique le fonctionnement de l’artiste, c’est-à-dire comment celui-ci procède lorsqu’il crée une œuvre. Par la métaphore “spectateur d son œuvre”, il montre que l’artiste est moins le maître de son œuvre que son acteur ou son agent. En effet, l’artiste se soumet à aucune idée préconçue, aucun plan prémédité ou protocole d’exécution : il crée en même temps que son geste, il improvise, de sorte que l’idée de son œuvre advient simultanément à sa création, ou après coup.
3) L’ARTISTE N’EST-IL QU’UN ARTISAN ?
Pour faire cette question, vous devez partir du point de vue d’Alain, et le discuter. En guise d’entraînement, vous pouvez le faire après avoir lu et intégré tous les éléments du grand I, en plus des réponses données aux questions ci-dessus. Cela doit au moins remplir l’espace donné ci-dessous.
ART ET TECHNIQUE
DANS L’ANTIQUITE, L’ART = LA TECHNIQUE
Dans la Grèce antique, l’art de l’artiste (l’art au sens actuel du terme, c’est-à-dire les Beaux-Arts) et l’art de l’artisan (la technique) étaient considérés comme identiques. Le vocabulaire grec est ici plus que révélateur, puisque ces deux notions étaient désignées par un terme similaire, celui de « techné ».
Si l’on définit (comme le fait le langage courant) l’œuvre et le produit comme fruits respectifs de l’art et de la technique, ils ne semblent pas pouvoir différer l’un de l’autre puisqu’ils proviennent tous deux de la même entité, la techné. Cela voudrait donc dire qu’ils sont la même chose, que l’œuvre serait un produit et que le produit serait une œuvre.
Cependant, il ne faut pas oublier que dans la civilisation artisanale antique, parler d’art, c’est uniquement parler de l’activité productrice en général (ce que signifie le terme techné), et par conséquent, l’art, qu’il s’agisse de celui de l’artiste ou de l’artisan est un travail de production, et dans ce cas, son fruit sera bel et bien un produit. Il apparaît donc que sous l’Antiquité, l’œuvre est un produit (et non l’inverse).
L’ŒUVRE, PARCE QU’ELLE A BESOIN D’UN MINIMUM DE TECHNIQUE, EST UN PRODUIT PARTICULIER,
Si l’on considère maintenant l’art et la technique dans leur sens courant (technique au sens large de savoir-faire), le produit est l’aboutissement d’une technique particulière, et l’œuvre le fruit de l’art. Mais cette dernière ne semble pouvoir exister sans et en dehors de la technique. En effet, l’artiste, si on ne le considère pas comme un génie (qu’on peut, en généralisant, définir comme une sorte d’être en contact avec le divin qui n’a pas besoin de technique puisqu’il crée de façon innée grâce au divin qui se manifeste en lui) est obligé d’utiliser la technique, c’est-à-dire son savoir faire, pour pouvoir réaliser une œuvre.
Par exemple, pour créer (nous reviendrons plus tard sur l’emploi de ce terme) une pièce musicale, le compositeur doit avoir acquis une certaine technique, comme par exemple celle du solfège, qui lui permet alors d’avoir les moyens d’être l’auteur d’une œuvre. Et il paraît en être de même pour tous les autres artistes.
L’œuvre, ayant apparemment pour condition a priori la technique, semble effectivement ainsi faire figure de produit. Comme l’explique Morizot dans Questions d’esthétique, dans certains arts, comme l’art de masse, la technique est l’essence même de l’œuvre , comme le cinéma « qui n’existe qu’en cela » avec la caméra et ses effets, ou encore « le rock, le rap ou la techno qui fabriquent leurs œuvres dans un studio d’enregistrement et ne font que la reproduire ensuite sur scène », s’ils le font (les Beatles finiront par renoncer à se produire sur scène).
L’ŒUVRE ET LE PRODUIT, DES FINS DIFFERENTES
Pourtant, même si elle peut apparaître comme étant à la base un produit, on ne pas dire que l’œuvre se borne à en être un puisque leur fin respective témoigne d’une différence certaine. Et en effet, il ne faut pas négliger que le produit est l’aboutissement d’une technique, c’est-à-dire qu’il en profite à des fins intéressées, autrement dit dans un objectif utilitaire : l’homme fabrique une chaise dans le but bien précis qu’on puisse s’y asseoir. De même, le feu, en tant que formidable outil préhistorique, sert à se protéger en effrayant les bêtes sauvages, ou à cuire la chair des animaux chassés, ou encore tout simplement à pouvoir voir dans l’obscurité. Si l’on remarque que le produit d’aujourd’hui, comme le téléphone portable, ou le vêtement à la mode, est bien plus l’assouvissement d’une envie que celui d’un besoin comme à la Préhistoire, on note néanmoins qu’il est toujours serviteur de quelque chose, il n’est pas gratuit et qu’en ce sens, il utilise la technique pour l’intérêt de l’être humain. Le produit sert donc à assouvir les penchants naturels de l’homme, voire de son égoïsme.
L’œuvre, elle, témoigne de sa différence en allant au-delà de la technique, et en effet, elle en est le dépassement puisqu’elle l’utilise, certes, mais de façon purement désintéressée, c’est-à-dire sans viser une fin utilitaire. Rappelons que pour être digne de ce nom, comme l’a montré Kant dans l’Analytique du Beau, l’œuvre doit être gratuite et avoir sa fin en elle-même.
On admettra donc que les fruits de l’art utilitaire ne sont pas des œuvres mais des produits.
L’ŒUVRE ET LE PRODUIT, CREATION CONTRE PRODUCTION
Une autre différence fondamentale existe entre le produit et l’œuvre, celle de leur conception respective. Si le produit se fabrique, s’élabore ou se construit, l’œuvre se crée. Il ne peut y avoir création que parce qu’il y a des moyens techniques, certes, mais contrairement à la production ou la fabrication qui sont déterminées en tout point et donc mécaniques, la création, elle, est spontanée. Cela signifie que contrairement à l’artisan (en tant que celui qui fabrique un produit), l’artiste qui crée ne prémédite en rien son œuvre et n’en a pas de plan préétabli, sinon elle serait produite et non créée, et perdrait ainsi une de ses spécificités d’œuvre. Contrairement donc à l’artisan, l’artiste n’applique pas de recette provenant de l’extérieur. Il fixe lui-même ses règles tout en faisant l’œuvre et non avant (les règles sont simultanées à la création de l’œuvre), car il ne découvre ce qu’il faut faire qu’en étant en train de créer. En suivant ainsi ses propres règles, l’artiste est libre et atteint une autonomie que celui qui produit quelque chose n’a pas puisqu’il se contente d’appliquer un concept, et s’enferme ainsi dans des règles fixes.
DIMENSION INDIVIDUELLE / DIMENSION COLLECTIVE.
Si la création est individuelle dans le sens où une œuvre n’a qu’un seul auteur et ne peut de ce fait être que singulière (la copie n’est pas une œuvre puisqu’en recopiant, on ne fait que reproduire une œuvre finie, autrement dit une œuvre où les règles sont fixées, ce qui amène à ne faire qu’un produit), la production, elle, est collective. En effet, plusieurs personnes travaillent pour la réalisation d’un produit (le concepteur, ceux qui le fabriquent) et le déclinent généralement en série : par exemple, l’homme qui a inventé la voiture a fait appel à des ouvriers pour pouvoir en construire une, et si de nos jours il en existe des milliers c’est que de nombreuses personnes y travaillent encore.
NATURE / CULTURE
Le produit ne fait qu’ancrer l’homme dans la nature puisqu’il sert ses penchants naturels (ses besoins, ses envies) alors que l’œuvre l’en détache puisque non seulement elle est totalement désintéressée (elle le délivre de l’empire de la nécessité puisqu’elle n’a d’autre but qu’elle-même), mais en plus par le biais de la création, en le rendant libre de fixer ses propres règles, elle autonomise l’homme par rapport à la nature. Pour montrer à quel point l’artiste se détache de la nature, de nombreux philosophes ont eu recours à l’idée de génie, cet être qui créerait par inspiration divine, cet être « mi-naturel, mi-divin ».
L’homme semble manifester, dans l’œuvre, sa différence avec la nature, et notamment en y montrant une certaine supériorité. Du côté de l’artiste tout d’abord, par la mimêsis ou imitation de la nature, l’homme montre qu’il est capable de reproduire ce que la nature a créé, mais aussi qu’il la maîtrise. Par exemple, en peignant une montagne, l’artiste peut supprimer la montagne naturelle en ce sens que comme la montagne l’effraie, le fait de la peindre lui en fait prendre possession et lui permet de la dominer. On expliquerait difficilement de cette manière toutes les peintures représentant une montagne, mais le fait de représenter fictivement ce qui nous effraie est une des principales fonctions cathartiques mises en évidence par la psychanalyse. L’imitation fait aussi dépasser la nature à l’artiste en ce sens que s’il l’idéalise, il lui enlève ses défauts et la perfectionne. C’est ainsi qu’il se détache d’elle, la nie et, se découvrant alors esprit, actualise son essence. Ici donc le produit ne peut en aucun cas jouer ce rôle puisque comme nous l’avons vu précédemment, tout au contraire de l’œuvre, il satisfait les penchants naturels de l’homme et l’ancre donc dans le monde naturel.
L’ART SERAIT LA RECHERCHE DU BEAU
CONTRAIREMENT A LA TECHNIQUE !
Le propre de l’œuvre, ce qui fait sa spécificité, c’est le jugement de goût. Kant, notamment, a étudié le fonctionnement du jugement esthétique dans la première section de la Critique de la Faculté de Juger et plus particulièrement dans l’Analytique du Beau. Il est généralement admis que l’art est la recherche du beau, quelle que soit la nature de ce beau, et dans ce cas, l’œuvre devient témoin privilégié de cette quête. Kant fait du sentiment de beau quelque chose de purement humain : il admet en effet que le beau provient d’un libre jeu des facultés humaines où l’imagination, plus soumise à l’entendement, peut se livrer librement lors de la confrontation avec l’œuvre à un jeu interprétatif et que l’esprit, stimulé par cette confrontation, tente d’appliquer des concepts à l’œuvre tout en étant conscient que le jugement esthétique différant du jugement de connaissance, la subsomption sous un concept ne peut être reconnue vraie ou fausse. Le sentiment de beau, s’il creuse encore la différence de l’œuvre et du produit, n’y voit pas là sa dernière fonction.
C’est en fait par lui que l’œuvre joue son rôle fondamental, et qu’elle se détache ainsi complètement du produit. En effet, le jugement esthétique restitue une certaine dignité à la sensibilité jusqu’alors expression de la finitude humaine et permet de ce fait d’affirmer la grandeur de l’homme, créateur d’un objet inutile. Et cette inutilité de l’art peut être vue comme une autonomisation de l’homme face à des puissances supérieures, et ainsi donc comme la création d’un monde digne même si relevant du sensible. Parce qu’elle est créatrice d’un monde proprement humain, c’est-à-dire d’un monde de paradoxale liberté (l’homme se détache certes de la nature mais en restant néanmoins limité à sa sensibilité et à ses formes a priori que sont l’espace et le temps), l’œuvre ne peut pas être un produit.
QU’EST-CE QUE LE BEAU ?
Pour répondre à cette question, nous allons considérer l’analyse que fait Kant, dans l’Analytique du beau.
Tour à tour, dans l’histoire de la philosophie, la beauté fut reliée :
- à la vérité : serait beau, ce qui serait l’image de la vérité,
- à l’agrément : elle serait un agrément qui ne diffère pas des autres,
- à la perfection : elle serait la perfection telle que nos sens la saisissent.
Le problème de telles théories c’est que le beau n’est jamais considéré en lui-même, mais toujours en référence à quelque chose d’autre d’extérieur. Pourquoi, lorsque je dis que cette fleur est belle, je dis autre chose que « cette fleur est agréable, ou vraie, ou parfaite » ?
Kant fut l’un des rares philosophes à poser cette question, et à considérer la beauté comme un concept propre, irréductible à d’autres, et ainsi à voir la beauté comme quelque chose d’autonome.
Puisque la beauté n’est donnée que dans une manifestation, dans un apparaître (je vois / je perçois la beauté, dans mes sens, par ma sensibilité, mais je ne l’entends pas par la raison), pour penser le beau il faudra penser l’épreuve / l’expérience du beau pour le sujet / l’individu qui le perçoit. L’analyse du beau se voudra donc esthétique (du grec aisthesis, sensation), c’est-à-dire qu’il faudra s’intéresser à la manière dont elle se donne, et donc dont elle est reçue. Car la beauté n’existe pas en dehors de son apparaître. La beauté n’existe pas en soi, mais toujours pour un individu la percevant.
Traiter de la beauté c’est donc voir comment il se donne à un individu percevant et ce à quoi il donne lieu. Or, puisque lorsque je perçois une chose belle, je dis « elle est belle », le beau donne d’abord lieu à un jugement de goût. Je juge que cet objet (fleur) rentre dans le concept de beau. Mais attention, le beau étant un sentiment, il s’éprouve mais ne se prouve / ne se connaît pas. Autrement dit, le jugement de goût est un jugement esthétique, car il se fait en fonction du sentiment éprouvé devant l’objet. Ce n’est donc pas un jugement de connaissance (la fleur est une espèce végétale). Le beau se fonde sur un sentiment de plaisir éprouvé face à tel ou tel objet.
L’Analytique du beau se divise en quatre moments, qui correspondent aux quatre points de vue que l’on peut avoir d’un jugement :
- est beau ce qui, selon le point de vue de la qualité, donne lieu à une satisfaction désintéressée. Que le beau soit défini comme l’objet d’une satisfaction désintéressée, cela veut que cette satisfaction n’est pas liée à l’existence de l’objet, autrement dit, ce n’est pas l’existence de l’objet qui est plaisante : le sentiment de beau ne suscite aucun désir de consommation de l’objet (contrairement au sentiment d’agréable), de sorte qu’il laisse l’objet libre de tout intérêt.
- est beau ce qui, selon le point de vue de la quantité, plaît universellement sans concept. Le jugement de beau en effet prétend à l’universalité, il a « une prétention à être capable de valoir pour tous ». On dit bien en effet que la fleur est belle, tandis qu’on dit que son parfum nous est agréable. Comme si, dans le jugement de beau, la subjectivité disparaissait. Ce qui est paradoxal puisque le beau advient d’un sentiment subjectif et intime d’un sujet percevant.
- est beau ce qui, selon le point de vue de la relation, est la forme de la finalité d’un objet sans qu’aucune fin ne soit posée. La finalité, c’est lorsque qu’une volonté a prescrit une action à partir de la représentation d’une fin (exemple : je veux une bonne note – la fin – donc je mets en place un travail – action / finalité). Mais on peut penser une finalité sans représentation claire de la volonté qui en est à l’origine ni des fins qu’elle s’est fixées. Il s’agira de finalité sans fin : l’objet semble finalisé mais on ne sait pas vers quelle fin. Dans l’objet beau, c’est comme si cet objet avait été fait pour nous plaire mais il n’y a là aucune certitude. Le plaisir n’est donc pas la finalité de l’objet beau, c’est parce que l’objet nous semble finalisé qu’il y a plaisir esthétique. Donc, Kant peut conclure que « la beauté est la forme de la finalité d’un objet en tant qu’elle est perçue en celui-ci sans la représentation d’une fin ».
- est beau, enfin, ce qui, selon la modalité, donne lieu à une satisfaction reconnue comme nécessaire, sans concept. « Est beau ce qui est reconnu sans concept comme objet d’une satisfaction nécessaire. ». Qu’est-ce à dire ? La satisfaction que nous éprouvons face à un objet beau nous semble nécessaire, obligatoire (cet objet est beau et cela ne peut être autrement) sans toutefois que l'on puisse déduire cette nécessité d'un concept (le jugement de goût, nous l’avons vu, n’est pas un jugement de connaissance). C’est une nécessité sans loi qui dérive non de l’objectivité d’un concept mais de l’universalité d’un état subjectif : on prétend que le beau peut plaire à tous, il y a donc là une prétention à la nécessité non fondée sur un concept.
ART ET GÉNIE
LE GENIE, PREMIERE APPROCHE.
Le génie ne s’identifie pas au caractère parfait d’une ou de plusieurs œuvres. Car certaines œuvres imparfaites sont géniales (Le roi Lear de Shakespeare, la Symphonie inachevée de Schubert, etc). Mais alors, qu’est-ce qui fait qu’un artiste est génial ?
Est-ce un don naturel ? Un travail forcené ?
Force est de constater que nous reconnaissons le génie sans pouvoir réellement donner une raison qui viendrait justifier notre jugement. Car s'il y a des raisons positives à dire qu’un tel est un génie alors on soumet ce dernier à l'ordre des raisons, c'est-à-dire au monde et ses règles, conditions de possibilité de notre connaissance et de ce que l’on peut comprendre. Or, le génie est bien celui qui échappe à la compréhension, il en est la subversion.
QU’EST-CE QU’UN GENIE ? LA REPONSE DE KANT.
Pour Kant, le principe de l’art est le génie. « Le génie est la disposition innée de
l’esprit par laquelle la nature donne les règles à l’art. ». Kant définit le génie par quatre critères :
• l’originalité. L’art du génie n’est pas une techné acquise par l’habitude. Il s’agit d’« un talent qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règle déterminée. ». Du coup, le travail du génie est toujours original.
• l’exemplarité. Les œuvres du génie sont exemplaires, c’est-à-dire qu’elles servent de règles et de modèles pour le jugement des autres, bien que le génie ne connaisse pas ses propres règles.
• l’inexplicable. Le génie ne peut expliquer comment il produit ce qu’il fait : « Il n’est en son pouvoir ni de concevoir à volonté ou suivant un plan de telles idées ni de les communiquer aux autres dans des préceptes qui les mettraient à même de réaliser des produits semblables. »
• l’expression de la nature. Par le génie, la nature prescrit des règles à l’art. À travers le génie, art et nature sont donc indissociables. C’est une présence naturelle dans l’esprit du génie qui est à l’origine de l’art. L’intention géniale n’est pas une conscience claire, au sens où le génie ne se rend pas compte de ce qu’il fait.
La nature obéit à des lois, pas à des règles. La règle suppose une prise de conscience. Pourtant nous parlons bien ici de règles, car la nature à l’œuvre dans le génie n’est pas une nature naturelle (mécanique, répétitive), sinon, le génie ne ferait que se répéter lui-même, la loi ne changeant pas, c’est une nature artistique. Cet esprit qui habite le génie produit en fonction de règles indéterminées qui ne peuvent se dériver d’un concept. Toute œuvre d’art est originale, imprévisible, indéfinissable. L’œuvre d’art ne peut ni s’expliquer ni se décrire. Le génie est propre à l’art, il n’existe pas dans le domaine des sciences.
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