Moi en émois
18 ans après la sortie du mémorable – si l’on ose dire - Memento de C. Nolan, et la saga bédéique du mythique XIII la quête d’un amnésique en recherche de son identité pourrait paraître convenue. Mais il n ’en est rien ici, pas seulement parce que la bande dessinée n’est pas le cinéma mais parce que le scénario malin, tout en fausses pistes, concocté par R. Seiter tient la route et est bien soutenu par la sombre charte graphique de Pascal Regnauld.
Tout commence avec un homme qu’on découvre à San Francisco dans les sixties, hagard, sur une scène de crime, blessé, avec une arme et plus aucun souvenir : suite à la violence subie, il ne sait même plus qui il est, ne reconnaît pas la victime, une femme, qui est à ses côtés et ne peut que suivre ce qui semble un atavique réflexe : prendre la poudre d’escampette avant que la police ne débarque…
Ainsi vont se croiser, de la côte Ouest à la côte Est des Etats-Unis, en hommage aux romans et films américains noirs, les trois perspectives imbriquées par Seiter qui montre qu’il n’est pas à l’aise que dans les scénarii d’albums historiques (voir L’Or du Rhin) : notre malheureux protagoniste porté continûment par sa voix off, les membres de la mafia à ses trousses et les deux policiers Mc Gowan et Carnovsky cherchant à résoudre le premier crime (avant que d’autres ne soient bientôt commis).
Le héros réalise au fil de ses pérégrinations qu’il est un tueur à gages stipendié par la mafia (il vient à priori d’assassiner l’influent sénateur Patterson) et que l’accident survenu à San Francisco remet en cause, outre sa rigueur professionnelle, sa vie même.
Si le récit est stimulant de par la remise en question introspective d’un homme qui ne coïncide plus avec lui-même et se voit opposé l’image que les autres avaient de lui avant son amnésie (qu’est-ce donc que le moi lorsqu’il ne se reconnait plus lui-même ?) ), ce sont les planches sublimes de Pascal Regnauld qui achèvent la satisfaction du lecteur : à l‘appui d’un chromatisme ocre/sepia/bleuté vintage, le cadrage propose une ambiance dark à souhait avec un beau travail sur certaines verticales d’immeubles et les effets d’ombres — tout en maintenant tout du long une touche d’humour assumée grâce à un trait semi-réaliste (mais l’on songe aussi aux pneumatiques des voitures louchant du côté de Qui veut la peau de Roger Rabbit ?).
Bref, une course contre la montre efficace et maîtrisée qui ravira les amateurs du genre… mais pas que.
frederic grolleau
Roger Seiter (scénariste) & Pascal Regnauld (illustrateur), Trou de mémoire — Intégrale, Editions du Long Bec, octobre 2018, 120 p. — 25,00 €.
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