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"Le Monde Ou Rien" : pourquoi PNL traverse déjà la société

Publié le 14 Mars 2019, 08:31am

"Le Monde Ou Rien" : pourquoi PNL traverse déjà la société

Avec un premier album sorti en début d’année, un second publié fin octobre et une série de clips graphiques distribués à l’instinct pour incarner le projet, PNL est la grande révélation du rap français en 2015. Mieux, le duo originaire des Tarterêts impose un style et une forme d’expression qui dépassent largement le cadre du hip-hop. Et de la musique.

Il y a encore quelques semaines, lancer une recherche sur Google en associant les lettres P, N et L conduisait en premier lieu à la lecture d’un article du site Psychologies.com sur la programmation neuro-linguistique. Une thérapie rapide mise au point en 1972 par un professeur et un psychothérapeute américains pour aider n’importe quel patient à "développer des comportements de réussite en lui apprenant à mobiliser ses ressources et à utiliser ses sens". À bien écouter la progression fulgurante de N.O.S et Ademo, les deux rappeurs qui tordent la réalité et les certitudes du rap français sous l’acronyme PNL, on se demande si une nouvelle forme d’application de la méthode n’a pas été découverte à Corbeil-Essonnes, au cœur de la cité des Tarterêts. Avec un paradoxe jouissif comme procédure d'affirmation : cultiver le mystère tout en occupant au maximum l'espace visuel à la faveur de vidéos graphiques, encore plus addictives que les morceaux qu'elles incarnent.

Image, mystère et suspense

Depuis le début de l'année 2015 et la distribution de leur premier album intitulé QLF, l'excitation ne cesse de grandir autour du projet PNL (pour Peace N Lovés). Pour l'instant, le groupe ne déroge pas à la règle imposée par sa stratégie de communication. Les mecs ne parlent pas, refusent d'accorder la moindre interview et préfèrent laisser éclater la singularité de leur rap atmosphérique à travers les pixels des clips que les plus fans d'entre vous cliquent sans relâche en criant Ounga wa wa. Bien vu. Même s'il n'y a évidemment rien de très novateur à jouer la carte du repli et de la discrétion pour exalter les attentes – de Mylène Farmer à Daft Punk en passant par Fauve et Swagg Mann, d'autres génies contemporains savent très bien actionner les leviers du marketing de l'absence et du mystère pour déclencher d'irrationnelles addictions.

Porté par la fraîcheur d'un rap mélancolique et nerveux, le duo aligne les clips esthétisants qui alternent entre DIY basique et séquençage subtil. Publiée au mois de mars, la vidéo du morceau Simba a emporté une première vague d'admiration confuse en même temps qu'elle a défini les repères stylistiques du groupe : plans larges filmés en bas des tours, survêtements immaculés, lumière froide, sourires à l'envers et verres fumés tout droit sortis de 1997. Autant d'identifiants délocalisés quelques mois plus tard à Scampia, dans la banlieue de Naples, pour tourner le clip désormais classique de Le Monde Ou Rien, dans une ambiance à mi-chemin entre Gomorra et un concours de culturisme clandestin. Visionnés plus de huit millions de fois sur YouTube, la vidéo et le morceau ont agi comme un incroyable révélateur de la singularité de PNL. Un groupe capable de compiler les idées les plus flinguées pour ensuite les formaliser avec une classe déconcertante, à l'abri de l'embarras et du ridicule. C'est ainsi que le meilleur morceau de rap français de l'année 2015 empile 36 fois le mot "Ouais" dans le refrain et comporte une punchline téléphonée ghostwritéepar Nabilla.

L'idée, l'ambiance et le décor du clip ont tellement fasciné le rap français qu'une contrefaçon, elle-même devenue virale, a vu le jour au mois d'octobre. Et depuis le choc audiovisuel de Le Monde Ou Rien, chaque nouveau clip de PNL constitue un rendez-vous événementiel, attendu comme le nouvel épisode d'une série à succès qui préserve intelligemment les indices de son dénouement.

En France, la dernière fois qu'une vidéo avait aussi bien incarné l'avènement d'un groupe et la radiance d'un morceau, c'était en 2003 avec le clip de Pour Ceux de la Mafia K'1 Fry signé Kourtrajmé. Une douzaine d'années plus tard, tout le monde se souvient du regard de Rohff, de la mâchoire de Demon One, de l'odeur du grec d'OGB et des motos cabrées entre les immeubles. Mais pour Romain Gavras, qui tenait la caméra ce jour-là, la différence de notoriété entre les deux groupes altère la comparaison :

«C’était quand même différent avec la Mafia K’1 Fry car il y avait des mecs déjà super connus comme le 113 ou Rohff. Ce n'est pas le clip qu'on a réalisé qui les a fait émerger. C’était juste avant l’explosion d’Internet et je me rappelle que la maison de disques avait édité des K7 vidéos pour les distribuer gratuitement à la sortie des lycées.»

Pour le réalisateur français, la puissance visuelle de PNL réside aussi bien dans l'intégrité du groupe que dans la singularité de sa proposition artistique :

«La première fois que j’en ai entendu parler de PNL, c’était via Mouloud Achour. Il m’envoie souvent des sons et il m’avait montré le clip de Simba un soir. A la première écoute et au premier visionnage, je me suis dit que c’était un truc que je n’avais jamais vu et jamais entendu. Le clip de Le Monde Ou Rien les a certainement aidé à émerger mais c’est surtout leur singularité qui joue pour eux. Il y a bien quelques ressemblances avec la scène cloud-rap aux Etats-Unis, mais c’est tellement approprié à la scène française que ça donne un truc tout neuf. Ils ont des références, des codes et une posture très européenne et ça me parle forcément car d’un seul coup le complexe d'infériorité avec les Américains est effacé. Leur force c'est de jouer sur des codes qui leur appartiennent. Ils ne débarquent pas déguisés en A$AP Rocky français. Comme les mecs ne font pas d’interviews, ni de photos de presse, le clip c’est leur manière principale de communiquer. Je trouve ça assez sain.»

Récemment, N.O.S et Ademo ont carrément embarqué pour la planète Namek afin de tourner le clip de Oh La La. Le dernier avant la sortie de l'album français le plus attendu de la fin d'année.

Malgré son leak en milieu de semaine, Le Monde Chico est déjà premier sur iTunes et le groupe peut désormais compter sur une fanbase XXL qui alterne entre aficionados de la première heure, bobos parisiens (parfois journalistes), nouvelles groupies amoureuses des trapèzes de N.O.S et jeunes rappeurs en devenir qui se demandent comment Ademo a pu autant progresser en deux paires d'années.

Une forme sonore inédite

En moins d'un an d'exposition médiatique, PNL est déjà un groupe "gentrifié". La famille s'est élargie. Des cours de récréations aux rédactions parisiennes, les rappeurs aux punchlines dépassionnées traversent la société sans avoir fait autre chose que descendre en bas de chez eux pour empiler des clips tournés à l'instinct. Et défoncer des instrus randoms pour les transformer en hits imparables.

En plus d'avoir complètement décomplexé le port du "street-catogan", PNL a sorti une trentaine de morceaux en huit mois si on compile QLF et Le Monde Chico. Tous parcourus par la même mélancolie contemplative et une utilisation captivante de l'autotune qui transforme des références plutôt banales en zéniths de d'inventivité. Dragon Ball Z, le futur, Mesrine, faire de l'argent, la bicrave, Scarface... PNL puise dans la base de données générationnelle éculée par le rap français pour en sortir des trésors soniques semi-dépressifs complètement inédits sur le plan de la forme. Le groupe est au rap français de 2015 ce que le trip-hop était au rock de 1990 : une lente et spectaculaire séquence de décompression atmosphérique qui bouleverse et alanguit l'expression d'une culture prisonnière de la trap et de son emballement épileptique.

En 2011, N.O.S se donnait 365 jours pour percer et éclater le rap. Quatre ans plus tard, le pari est en passe d'être réussi avec des morceaux autrement plus captivants. La proposition artistique de PNL est tellement différenciante que l'essentiel du rap français ne sait pas trop comment se positionner face à l'état de grâce qui transporte N.O.S et Ademo. Un étonnement teinté de respect bien résumé par les propos de Kaaris sur le sujet :

«C’est du rap de cité, du rap hardcore. Mais il n’est pas hardcore comme le mien. On a le même fond mais nous sommes différents sur la forme. Ca ne m’empêche pas de bien aimer ce qu’ils font. Mais au bout d’un moment, si ça explose vraiment, ils seront obligés de répondre aux médias. C’est sûr.»

Evidemment, la fulgurance d'un tel succès amène aussi son lot de commentateurs aigris. PNL a déjà des haters. Parmi eux : les habituels intégristes bloqués en 1997 qui pensent que toutes les productions post École du micro d'argent n'ont rien à voir avec le rap et que l'autotune est le cancer de notre société. Il y a aussi les anti-cheveux longs, déjà largement overdosés par l'album de Nekfeu, et les plus fous : ceux qui versent dans la théorie du complot pour expliquer une évolution trop rapide pour être réelle.

 

En dehors des hashtags lunaires largués sur Instagram et des posts Facebook sponsorisés pour entretenir le feu, PNL n'a toujours pas parlé. Pour justifier la mutation du groupe certains imaginent l'existence d'une éminence grise, une main invisible qui téléguiderait les choix du groupe et orienterait sa direction artistique. Seule certitude, pour l'instant, N.O.S et Ademo ont éconduit toutes les maisons de disques qui les ont sollicités. Le Monde Chico est distribué par Musicast et aucune interview n'est programmée pour en assurer la promotion. Une posture gagnante selon Romain Gavras :

«C’est très difficile de parler de ce que tu fais en tant qu’artiste, surtout au moment où tu es en train de te construire. Ca te force à théoriser quelque chose que tu sens instinctivement et ça peut vite devenir dangereux. S’ils parviennent à préserver leur mystère tout en continuant à faire leur truc dans leur coin, sans parler aux médias, ils auront tout compris.»

Sans doute la meilleure stratégie pour continuer à voir leurs ombres briller.

Azzedine Fall

source : https://www.lesinrocks.com/2015/10/30/musique/le-monde-ou-rien-pourquoi-pnl-traverse-deja-la-societe-11784149/

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