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L'ambivalence de la technique dans 2001 : "L'odyssée" de l'espace de Stanley Kubrick (1968)

Publié le 19 Mars 2019, 20:12pm

Catégories : #Philo & Cinéma

L'ambivalence de la technique dans 2001 : "L'odyssée" de l'espace de Stanley Kubrick (1968)


La technique semble indissociable d'une certaine forme de violence... Du moins, c'est ce que suggère Kubrick à travers cette scène extraite de la première partie du film intitulée "L'Aube de l'humanité".
Le premier usage que l'homme-singe fait de l'os est destructeur (le crâne qu'il fracasse, l'animal qu'il chasse pour se nourrir). Kubrick accentue la violence du geste en exploitant toutes les ressources du son et de l'image. Sur le plan visuel, c'est d'abord le ralenti qui décompose le mouvement du bras afin d'en révéler la puissance, mais c'est aussi le plan en contre-plongée qui nous montre que la technique place l'homme en devenir dans une position de supériorité à l'égard de la réalité qu'il peut maintenant transformer et modifier à sa guise... Enfin, la musique percussive de Richard Strauss (extraite du poème symphonique Ainsi parlait Zarathoustra) vient redoubler les coups que l'homme-singe porte à sa proie.
Mais en même temps, la découverte de la technique coïncide avec le développement de l'intelligence et l'apparition d'une forme de rationalité primitive (en tapant sur les os qui l'entourent, l'homme-singe acquiert la notion de "causalité" puisqu'il réalise qu'il peut lui-même être cause de certains effets). La musique - le crescendo notamment - accompagne l'éveil intellectuel de l'hominidé qui comprend l'usage qu'il peut faire d'un simple objet et les avantages qu'il peut tirer d'un tel usage.
Par ces deux aspects (violence et intelligence), la technique se présente bien dans cette scène comme un phénomène ambivalent. Condition de l'hominisation (puisqu'elle permet à l'homme de développer et d'exercer son intelligence), la technique constitue néanmoins un facteur potentiel de déshumanisation (puisqu'elle met à disposition de l'homme des moyens d'exprimer sa violence et ses pulsions destructrices).
Faut-il pour autant en conclure que la technique est à l'origine de la violence ? N'est-elle pas plutôt ce qui exacerbe la violence déjà présente en l'homme ?

 

Platon et l'origine de la technique : le mythe de Prométhée (Protagoras)

« C'était le temps où les dieux existaient déjà, mais où les races mortelles n'existaient pas encore. Quand vint le moment marqué par le destin pour la naissance de celles-ci, voici que les dieux les façonnent à l'intérieur de la terre avec un mélange de terre et de feu et de toutes les substances qui se peuvent combiner avec le feu et la terre. Au moment de les produire à la lumière, les dieux ordonnèrent à Prométhée et à Epiméthée de distribuer convenablement entre elles toutes les qualités dont elles avaient à être pourvues. Epiméthée demanda à Prométhée de lui laisser le soin de faire lui-même la distribution: “Quand elle sera faite, dit-il, tu inspecteras mon œuvre.” La permission accordée, il se met au travail.
Dans cette distribution, ils donnent aux uns la force sans la vitesse ; aux plus faibles, il attribue le privilège de la rapidité ; à certains il accorde des armes ; pour ceux dont la nature est désarmée, il invente quelque autre qualité qui puisse assurer leur salut. A ceux qu'il revêt de petitesse, il attribue la fuite ailée ou l'habitation souterraine. Ceux qu'il grandit en taille, il les sauve par là même. Bref, entre toutes les qualités, il maintient un équilibre. En ces diverses inventions, il se préoccupait d'empêcher aucune race de disparaître.
Après qu'il les eut prémunis suffisamment contre les destructions réciproques, il s'occupa de les défendre contre les intempéries qui viennent de Zeus, les revêtant de poils touffus et de peaux épaisses, abris contre le froid, abris aussi contre la chaleur, et en outre, quand ils iraient dormir, couvertures naturelles et propres à chacun. Il chaussa les uns de sabots, les autres de cuirs massifs et vides de sang. Ensuite, il s'occupa de procurer à chacun une nourriture distincte, aux uns les herbes de la terre, aux autres les fruits des arbres, aux autres leurs racines; à quelques-uns il attribua pour aliment la chair des autres. A ceux-là, il donna une postérité peu nombreuse; leurs victimes eurent en partage la fécondité, salut de leur espèce.
Or Epiméthée, dont la sagesse était imparfaite, avait déjà dépensé, sans y prendre garde, toutes les facultés en faveur des animaux, et il lui restait encore à pourvoir l'espèce humaine, pour laquelle, faute d'équipement, il ne savait que faire. Dans cet embarras, survient Prométhée pour inspecter le travail. Celui-ci voit toutes les autres races harmonieusement équipées, et l'homme nu, sans chaussures, sans couvertures, sans armes. Et le jour marqué par le destin était venu, où il fallait que l'homme sortît de la terre pour paraître à la lumière.
Prométhée, devant dette difficulté, ne sachant quel moyen de salut trouver pour l'homme, se décide à dérober l'habileté artiste d'Héphaïstos et d'Athéna, et en même temps le feu, - car, sans le feu il était impossible que cette habileté fût acquise par personne ou rendît aucun service, - puis, cela fait, il en fit présent à l'homme.
C'est ainsi que l'homme fut mis en possession des arts utiles à la vie, mais la politique lui échappa: celle-ci en effet était auprès de Zeus; or Prométhée n'avait plus le temps de pénétrer dans l'acropole qui est la demeure de Zeus: en outre il y avait aux portes de Zeus des sentinelles redoutables. Mais il put pénétrer sans être vu dans l'atelier où Héphaïstos et Athéna pratiquaient ensemble les arts qu'ils aiment, si bien qu'ayant volé à la fois les arts du feu qui appartiennent à Héphaïstos et les autres qui appartiennent à Athéna, il put les donner à l'homme. C'est ainsi que l'homme se trouve avoir en sa possession toutes les ressources nécessaires à la vie, et que Prométhée, par la suite, fut, dit-on, accusé de vol »
 

 

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