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"De quoi la "culture pop" est-elle le nom ?"

Publié le 2 Mars 2019, 12:56pm

Catégories : #Philo (Notions)

"De quoi la "culture pop" est-elle le nom ?"

Au lendemain de 14-18, la publication des premiers "pulp magazines" marque l'acte de naissance d'un mouvement culturel foisonnant et paradoxal...

 

Critique littéraire à Marianne et au magazine Lire, ancien chroniqueur sur FranceInter mais aussi grand amateur de ballon rond, Hubert Artus a publié en 2011 un incontournable Dictionnaire rock, historique et politique du football. Cinq ans plus tard, il récidive avec un essai consacré à la "pop culture" où il envisage ce mouvement en forme de "boule à facettes" sous l'angle à la fois artistique, économique, politique et social. Entretien.

 

Critique littéraire à Marianne et au magazine Lire, Hubert Artus a publié en 2011 un incontournable Dictionnaire rock, historique et politique du football. Cinq ans plus tard, il récidive avec un essai consacré à la "pop culture". © DR

 

 

Le Point.fr : Pop musique, pop art, pop littérature, la culture "pop" est aujourd'hui omniprésente. Mais d'où viennent ces trois lettres ?

Hubert Artus : Le mot "pop" est la contraction du terme anglais "popular" qui n'a pas vraiment d'équivalent en français. On le traduit communément par "populaire" au sens "de ce qui vient du peuple". Dans son acception anglo-saxonne, le mot désigne "ce qui sort de la rue" par opposition à ce qui est "issu de l'université, de l'élite ou des milieux autorisés". En ce sens il évoque une notion de "culture de masse" qui est venue s'ajouter, se superposer et parfois s'opposer à ce que l'on appelle traditionnellement la "culture de classe".

 

Vous relevez que l'acte de naissance de cette pop culture est plus ancien qu'on ne le croit. Il ne remonte pas aux années 50 comme on le pense souvent, mais est bien antérieur...

Effectivement, le creuset de ce mouvement, ce sont les "pulp magazines" qui paraissent aux États-Unis après la Première Guerre et auxquels le film Pulp Fictionde Quentin Tarantino a rendu hommage en 1994. L'acte fondateur est la parution du premier "Pulp" (The Argosy) en 1896. Les titres se sont multipliés dans l'entre-deux-guerres avec Detective Story Magazine ou encore Black Mask, notamment. Ces publications "bon marché" dont les pages sont imprimées sur du papier de mauvaise qualité (une "pulpe de bois", d'où leur nom) abordent différents genres : le polar, le western, la science-fiction, mais aussi la romance.

Les comics, qui apparaissent à partir des années 1920, prennent le relais dans la diffusion de ce que l'on n'appelle pas encore "pop culture".

 

Captain America  © Marvel comics

 

Les "comics", ainsi baptisés en référence aux "comic strips", ces histoires de bandes dessinées feuilletonnées, vont avoir une grande influence sur le monde artistique de l'époque. C'est dans leurs pages que vont naître les premiers super-héros, dont Superman en 1928. Les héros étaient jusque-là des "humains exceptionnels" comme Tarzan (né en 1912 sous la plume d'Edgar Rice Burroughs), Zorro (inventé en 1919 par Johnston Mc Culley) ou encore Conan (créé par Robert E. Howard en 1932). Ils vont désormais être des "humains transformés" comme Spiderman, Hulk, les Quatre Fantastiques ou encore Doctor Strange.

En France, à la même époque, la presse à deux sous publie aussi des feuilletons. Pourquoi les super-héros ne sont-ils pas nés dans l'Hexagone ?

Les feuilletons qui paraissent en France (et plus généralement en Europe) au début du XXe siècle lorgnent vers la littérature classique. Les héros sont des personnages qui ressemblent à leurs lecteurs. Les héros de la "pop culture" américaine représentent d'une certaine manière une forme de mythologie nouvelle pour une nation naissante qui accède, à cette époque, au rang de première puissance mondiale.

Les créateurs de ces personnages ont un point commun : ils viennent d'Europe.

La plupart des auteurs et dessinateurs de comics aux États-Unis sont des fils d'immigrés, juifs pour la plupart. Ils sont porteurs d'un lourd héritage culturel mais ils vont greffer sur cela un imaginaire neuf, celui du "nouveau monde" auquel ils sont désormais attachés. La science-fiction qu'ils vont inventer trouve, certes, son origine dans le gothique romantique européen, mais elle est nourrie par la vitalité industrielle américaine du début du XXe siècle. Après la Première Guerre, leurs récits seront aussi hantés par cette peur de l'apocalypse que les progrès de l'armement laissent entrevoir.

Les super-héros vont jouer un rôle pendant la Deuxième Guerre. Lequel ?

I

 

Hubert Artus

 

ls vont galvaniser la jeunesse. De ce point de vue, le personnage de Captain America est emblématique. Inventé en mars 1941, c'est le premier super-héros patriote qui va côtoyer des personnages réels. On le verra ainsi se battre contre les nazis et même frapper Hitler. D'autres personnages connaîtront le même destin. En ce sens, les super-héros vont prendre une dimension politique. Dans l'après-guerre et face à la montée du communisme, ces personnages distilleront un discours triomphant : celui que l'american way of life est le seul à même de produire des héros susceptibles de battre les "rouges". Rambo face aux Vietnamiens ou Rocky battant un champion russe en sont deux exemples.

Quel lien existe-t-il entre les "pulp magazines" et le pop art ?

Ils partagent une esthétique commune. Richard Hamilton, considéré comme le père du pop art, réalise des collages à partir de catalogues de vente par correspondance. Ses tableaux représentent des pin-ups et des personnages masculins aux muscles saillants qui ont beaucoup de points communs avec les héros des "pulp". Roy Lichtenstein est également influencé par l'univers des super-héros des feuilletons de l'époque. Quant à Warhol, il a reconnu lui-même que la palette chromatique des "comics" avait eu une influence déterminante sur son art. Il a d'ailleurs voulu donner à ce genre ses lettres de noblesse en incitant des universitaires new-yorkais à réaliser des travaux de recherche sur cette "paralittérature".

 La pop traduit l'évolution de la place de la culture dans la société de consommation. 

En quoi ce pop art est-il subversif ?

Il met "l'intérieur à l'extérieur et l'extérieur à l'intérieur", comme l'a indiqué Andy Warhol. Le surgissement des boîtes de soupe Campbell sur les murs des galeries de Soho et le détournement des codes de la publicité s'inscrivent dans cette démarche. Il "sort de la rue" les enseignes, les marques, les graffitis. Et Warhol essayera d'ailleurs d'y retourner (dans la rue) en adoubant Basquiat.

Que nous dit la pop culture de la société actuelle ?

Hier "underground", aujourd'hui "mainstream", la pop traduit l'évolution de la place de la culture dans la société de consommation. Celle-ci est devenue, grâce ou à cause de la télévision, une forme de divertissement. Un loisir engagé, intelligent et fédérateur. En tant qu'art "total" superposant une multitude d'influences, la pop culture est métisse. Mais, et c'est l'un de ses paradoxes, ses icônes, hier "alternatives", ont aussi désormais quelque chose de "normatif". Les œuvres qu'elle a produites sont, de la même manière, ambivalentes. Elles sont à la fois des témoignages des mutations de l'époque mais elles sont aussi devenues des valeurs marchandes, adoptées par l'élite économique. Le mouvement pop reste pour autant un mouvement "contre-culturel" et "militant" qui cracke tous les codes. Et c'est peut-être pour ça qu'elle nous fait encore vibrer.

Quel est l'avenir de ce mouvement culturel ? 

Il est immense, car la pop a irradié tous les champs de notre existence. À la manière des personnages de Pokemon qui ont investi nos vies, la "pop culture" est partout. Les super-héros sont désormais à l'affiche des blockbusters. La pop musique est omniprésente : dans les meetings politiques comme dans les grands magasins. Les "comics" ont laissé leur empreinte dans la manière dont on "construit" les téléfilms. Le succès des séries en témoigne. Même en journalisme, on s'amuse à feuilletonner. Son influence se retouve jusque dans les clips de Daech, truffés d'allusion à la pop culture occidentale ! 

 

source : https://www.lepoint.fr/pop-culture/livres/de-quoi-la-culture-pop-est-elle-le-nom-13-02-2017-2104333_2945.php

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