SYNOPSIS
Sous le soleil brûlant de Los Angeles, un Américain transpire à grosses gouttes dans sa voiture, engluée au coeur d’un énorme embouteillage. C’est fini, il sera en retard pour l’anniversaire de sa fille. Il abandonne alors son véhicule, immatriculé « D-Fens », et sombre dans la folie. Tout à son obsession d’arriver à temps pour embrasser sa fille, il dévaste une épicerie, rosse des voyous, s’empare d’un arsenal, saccage un fast-food et tire au bazooka sur un chantier, un oeil hagard, l’autre rivé sur sa montre. L’officier de police Prendergast oublie qu’il fête le jour même son départ à la retraite et décide de prendre le dément en chasse…
Soyons honnêtes : la carrière cinématographique de l’américain Joel Schumacher est franchement en dents de scie, pour ne pas dire insatisfaisante. Le cinéaste a commis le pire (Batman Forever et sa suite ultra kitsch, Batman & Robin, Bad Company, Le nombre 23, Blood Creek, Twelve, Effraction), le pas terrible incroyablement daté (L’Expérience interdite, Génération Perdue, Personne n’est parfait(e), Le fantôme de l’opéra), le franchement moyen idéologiquement douteux tendance réac’ (Le Client, Le droit de tuer ?, 8 millimètres, Veronica Guerin), comme le bon (le teen-movie St Elmo’s Fire et le film de guerre Tigerland), et (même) le très bon (l’excellent film-concept Phone Game et le solide thriller psychologique Chute Libre). C’est de Chute Libre (Falling Down en version originale) dont on va parler aujourd’hui, sans doute son œuvre la plus accomplie – dans le fond surtout, la forme laisse peut-être plus à désirer.
Sorti au cinéma en 1993 après avoir été sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes de la même année, Chute Libre, produit par Michael Douglas et shooté par Andrzej Bartkowiak (devenu depuis metteur en scène d’abominations telles que Hors Limites et En Sursis), met en vedette le célèbre comédien américain dans la peau de William Foster (crédité « D-FENS » au générique, soit les quelques lettres inscrites sur la plaque d’immatriculation personnalisée de son véhicule), un ex-ingénieur de la défense, divorcé et maintenant au chômage, qui, en essayant d’atteindre à temps la maison de son ex-femme pour fêter l’anniversaire de leur fille, se laisse aller à un déchaînement de violence tout au long de son parcours dans la ville de Los Angeles. Parallèlement, le sergent Prendergast (campé par Robert Duvall), un inspecteur de police vieillissant du L.A.P.D., à un jour de son départ à la retraite, fait face à ses propres frustrations alors qu’il traque Foster pour l’empêcher de nuire.
Ce n’est certainement pas un hasard si Chute Libre a laissé une (petite) empreinte dans la pop culture. Des Foo Fighters (la parodie du film dans le vidéo-clip Walk) à Rammstein (les photos promotionnelles de l’album Reise), en passant par Iron Maiden (la chanson Man on the Edge), voire même le Palmashow (un clin d’œil au film dans un sketch du format court Very Bad Blagues), certains lui ont rendu hommage au fil des ans. Sans doute parce que Chute Libre part d’une idée simple mais diablement efficace car présente partout et tout le temps: le « craquage de nerfs » d’un citoyen en apparence modèle, poussé à bout un jour de grande chaleur poisseuse, de blocage dans un embouteillage inextricable et de nuisances sonores insupportables (en l’occurrence, un mélange de bruits de marteaux piqueurs et de klaxons de voitures). A travers ce personnage de travailleur américain de la classe moyenne, sombrant malgré lui dans une spirale de violence et d’auto destruction radicale de son existence, Joel Schumacher travaille ainsi l’identification du spectateur-lambda à un Monsieur Tout-le-Monde à la dérive en appelant à la conscience collective, celle-là même qui en a ras-le-bol d’être exploitée depuis trop longtemps et sur tous les lieux par la haute sphère sociétale, mensongère et matérialiste.
Michael Douglas, excellent dans la peau de cet homme modeste abusé par le système, incarne ce postulat à la perfection, pétant littéralement un câble au fur et à mesure que la bobine progresse pour exhaler sa bile et sa fureur contre tout le monde. Ainsi, après avoir abandonné sa voiture et empoigné son attaché-case afin de rentrer chez lui pour retrouver sa femme et sa fille – qu’il n’a, en théorie, pas le droit d’approcher selon le jugement du divorce – D-FENS « craque » et se laisse aller à un déferlement de violence au gré de ses rencontres. Une colère déployée sous forme d’agressivité contre un épicier coréen qui refuse de lui faire de la monnaie (pour qu’il puisse passer un coup de téléphone) et souhaite lui vendre un soda hors de prix, contre deux voyous qui veulent lui dérober ses biens, contre les clients et les employés d’un fast-food qui refusent de lui servir un petit déjeuner sous prétexte que l’horaire est dépassé de quelques minutes, contre le tenancier raciste et homophobe d’un surplus militaire, contre un golfeur dédaignant, et ainsi de suite. Presque tout le monde en prend pour son grade, Schumacher fait feu de tout bois en combattant frontalement un à un les rouages emblématiques, à la fois injustes et immoraux, du quotidien pour enfoncer le clou d’une réflexion socio-économique à la portée saisissante et voulue exhaustive avec, à la clé, une dénonciation de l’exploitation violente des citoyens par les dirigeants et les puissants du pays.Chute Libre permet ainsi à Joel Schumacher de dresser une parabole au vitriol de la société américaine contemporaine, qui, de sa perspective, pâtit indéniablement de « petits riens du quotidien » et d’une lutte sociale silencieuse et sans merci.
Schumacher est épaulé dans sa lourde tâche par l’immense talent de Michael Douglas, dont la performance mémorable et presque touchante doit aussi beaucoup à ses choix vestimentaires, ou plus généralement à sa dégaine : costard-cravate parfaitement taillé, lunettes carrées plaquées sur ses yeux et coupe en brosse affichée, D-FENS a en effet vraiment le look typique du bon américain ordinaire et obéissant, prêt à faire tout ce qu’on lui demande ; cela ajoute indubitablement à l’emphase du spectateur avec le personnage, du moins à la compréhension de ses actes, même s’ils demeurent inexcusables. En face de lui, Robert Duvall ne démérite pas et livre, avec métier, une prestation convaincante en incarnant l’autre facette du film : l’honnête citoyen qui souhaite simplement achever sa dernière journée de travail avant de partir paisiblement à la retraite. Confronté à la même situation, à la même journée de chaleur pesante, aux divergences conjugales sensiblement similaires (enfin pas tout à fait quand même !), le sergent Prendergast, seul personnage qui s’intéresse véritablement à D-FENS, conserve son calme et gère la crise autrement, grâce à son sang-froid, sa conscience altruiste et ses intuitions implacables qui lui permettent de comprendre rapidement ce qu’il se passe. Le scénario, rigoureusement écrit par Ebbe Roe Smith (aussi crédité producteur associé), permet d’observer, avec une certaine acuité et pertinence, les comportements humains de ces deux personnages liés et plongés dans les mêmes conditions de stress intense, et c’est nul doute ce point précis qui a intéressé le cinéaste Joel Schumacher, dont on devine aisément qu’il a cherché à comprendre l’absurdité de la société en captant les agissements de ses habitants les plus défavorisés.
D’aucuns critiqueront l’opposition poussive et caricaturale entre les deux protagonistes, et on peut en effet difficilement leur donner tort, mais cela permet probablement à Schumacher de mieux avancer son discours édifiant sur les USA. De même qu’on peut regretter le manque de subtilité du métrage, Schumacher n’y allant en effet pas avec le dos de la cuillère lorsqu’il pointe, assez frontalement, ses jugements pour condamner l’état fédéral et qu’il cherche à gagner le regard du sergent Prendergast pour (tenter de) comprendre D-FENS. Comme on l’a mentionné plus haut, le cinéma de Schumacher a souvent été, à raison, taxé d’être réactionnaire (la glorification des vigilantes et le droit à l’auto-justice prôné à travers des œuvres comme Le droit de tuer?, 8 millimètres et même ses Batman), mais ce n’est heureusement pas le cas ici. D-FENS échoue dans son projet (de réconciliation familiale à travers des mises à mort), est condamné pour ses actes, et mieux encore, est dépeint presque dès le départ comme un (ex)époux violent et harceleur envers son ex-femme. La morale reste saine, et le spectateur maintient une certaine distance avec la barbarie du personnage. Dans les défauts, on pourrait aussi se lamenter sur la relative fixité de la mise en scène là où il aurait peut-être fallu du dynamisme (mais rassurez-vous, la réalisation reste propre et sèche) et sur le choix de Schumacher de ne jamais montrer le visage des privilégiés et responsables de cette crise (on ne voit jamais à l’écran les patrons de la boîte de D-FENS ou les propriétaires des villas dans lesquels il s’engouffre pour fuir la police), comme si le réalisateur se contentait finalement de laisser les déclassés sociaux régler leurs comptes entre eux. Mais cela n’aurait-il pas renforcé la caricature ? Pamphlet bien couillu et vénère contre les aspects de fond de la société US, Chute Libre est, sans forcer, l’œuvre la plus marquante et inspirée du cinéaste Joel Schumacher, qui doit sans doute aussi énormément à la composition magistrale de Michael Douglas en anti-héros terrassé par certaines aberrations du système.
Titre Original: FALLING DOWN
Réalisé par: Joel Schumacher
Casting : Michael Douglas, Robert Duvall, Barbara Hershey …
Genre: Drame
Sortie le : 26 mai 1993
Distribué par: Warner Bros. France
source :
https://leschroniquesdecliffhanger.com/2018/02/21/chute-libre-critique/
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