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"Prendre conscience de soi est-ce devenir étranger à soi ?"

Publié le 19 Février 2019, 14:46pm

Catégories : #Philo (textes - corrigés)

"Prendre conscience de soi est-ce devenir étranger à soi ?"
INTRODUCTION :

Quand je dis j'ai conscience de moi, il semble bien que je dise deux choses, je sais que je suis et je sais qui je suis. Le moi paraît être ce dont je suis le plus proche et pourtant il ne m'est pas simple de répondre à la question « qui es-tu ?» comme si ce moi que j'affirme m'était inconnu ou du moins mal connu. Alors, prendre conscience de soi est-ce devenir étranger à soi ? C'est bien dans le développement de cette conscience que je m'éveille à moi-même, mais s'éveiller à soi-même, ne suppose-t-il pas une distance entre ce qui a conscience et ce dont je prends conscience, entre moi et moi, et qui est ce moi qui a conscience ? Cette distance, si elle est condition de connaissance, n'est-elle pas aussi source d'erreur et d'illusion ?
Nous verrons ce que peut signifier d'abord, pour le sujet, prendre conscience de soi, avant de préciser ce que cela implique en terme de distance à soi avant de nous demander s'il y aurait un soi sans la conscience de soi.
 
A-CONSCIENCE DE SOI ET EVEIL à SOI.
H1-On peut penser que prendre conscience de soi c'est se découvrir soi-même :
 En effet, la conscience de soi désigne le niveau de conscience atteint lorsque le sujet est capable de dire « je », il se perçoit comme un individu unique, distinct du monde et des autres, il s'affirme comme un être singulier. Ainsi, même si l'homme n'est qu'un être vivant fragile, un roseau, comme le dit Pascal, c'est un roseau pensant, il sait qu'il existe et il sait qu'il est un roseau. Il se sépare de tout ce qui n'est pas lui et affirme ce qu'il est.

 
 On peut noter plus précisément qu'à ce stade de la conscience, on s'attribue des pensées, des volontés, des désirs, des besoins, des actes, un corps, il se constitue une intériorité qui définit le sujet. Cette vie intérieure caractérise le sujet, c'est la vie de la conscience, propre à chacun et à laquelle chaque sujet a un rapport intime. Ce vécu est également caractérisé par la subjectivité dans la mesure où il est unique, propre à chacun.
 
 Au-delà, prendre conscience de soi, signifie non seulement, que le je s'affirme, qu'il s'attribue des pensées... mais aussi que, il peut se prendre pour objet de réflexion, et que dans cette distance il peut se connaître. Ainsi, Hegel note, que l'être qui est pour lui-même « se contemple, se représente, se pense » par la conscience qu'il prend de lui-même. Il est capable de se faire une idée de lui-même, de produire un concept, une connaissance de son existence et de ce qu'il est, soit par introspection, soit par la production d'œuvre qui vont exprimer objectivement cette intériorité. Il se connaît comme être pensant, comme homme.
Donc, il semble impossible d'affirmer que prendre conscience de soi c'est devenir étranger à soi, puisque c'est s'éveiller à soi, se découvrir comme exister et être capable de se représenter à soi-même comme étant une personne et une personne qui a tel corps et tels états d'âme. Mais, la conscience de soi est-elle véritablement une connaissance de soi ? Se prendre soi-même pour objet de réflexion est-ce possible ? Pour reprendre les mots d'Auguste Comte : Peut-on se mettre à la fenêtre et se regarder passer dans la rue ?


B- CONSCIENCE DE SOI ET DISTANCE PAR RAPPORT à SOI :
H2-Il n'y aurait pas de conscience de soi sans étrangeté à soi :

 
 Prendre conscience de soi implique que le « je » devient pour lui-même un objet de réflexion, il est et il est pour lui-même un objet de réflexion, ceci implique une dualité, une distance entre soi et soi, un soi qui est et un soi qui contemple. C'est cette distance qui fait se poser la question : qui suis-je ? Ainsi, le je qui prend conscience de lui-même devient pour lui-même un inconnu mystérieux, un étranger en ce sens car il perçoit bien le fait qu'un point aveugle (sorte d'angle mort) l'empêche de prendre complètement conscience de lui-même. Il est étranger et même étrange à lui-même en ce sens qu'il se prend pour objet d'étude mais il reste en même temps tout empli de l'intuition qu'il possède de sa propre existence. Dès lors, on peut se demander si une distance objective est possible entre moi et moi, et si bien loin d'être capable d'avoir une idée de moi-même cette conscience n'est pas synonyme d'illusion sur soi.
 
 On découvre bien vite qu'on ne se connaît pas, où qu'on n'est pas ce que l'on croit être. Nous avons conscience d'être et d'être untel (fonctionnaire de police, marié...) et de faire telles choses, mais ce sont là des caractéristiques communes à bien d'autres et quand on nous demande qui nous sommes, il paraît impossible de définir ce « je ». L'expérience du rapport à l'autre nous montre que bien souvent nous nous trompons sur nous –mêmes et, même, nous nous faisons des illusions sur nous-mêmes que les autres essaient de nous dévoiler. La conscience génère l'illusion de la connaissance de soi, aussi, dès qu'on nous demande de nous définir on se heurte à l'inconnu: qui suis-je ?
 
Ainsi, il semblerait bien que prendre conscience de soi ce n'est pas se découvrir soi-même, même si c'est peut-être découvrir qu'il y a quelque chose qui existe. On pourrait même aller plus loin et affirmer que celui qui prend conscience de lui-même est toujours en avant de soi. (en quelque sorte penché sur lui-même de la même manière que la conscience peut être penchée vers le futur comme le montre Bergson).
En effet, si je suis et en même temps je suis pour moi-même un quelque chose qui, je ne suis plus dans la coïncidence avec moi-même, je suis toujours à distance, et en ce sens libre de me faire autre que ce que je me dévoile à moi-même. L'existence de l'être pour soi est absolument indéterminée. L'être pour soi peut toujours se choisir différent et pour échapper à l'angoisse que procure cette découverte je vais essayer d'être quelqu'un de déterminé. Je vais jouer à. Je vais me mentir à moi-même refusant d'assumer cette liberté du pour soi, voilà ce que Sartre appelle la mauvaise foi. Cette mauvaise foi est propre au sujet conscient de lui-même qui se prend définitivement pour, alors qu'il aurait pu se choisir autre et assumer totalement cette capacité de se choisir. Ainsi en est-il lorsque je m'enferme dans un statut (le garçon de café par exemple) en refusant de dévoiler au-delà de ce statut ma personnalité et ma liberté (je ne veux pas m'exposer au regard d'autrui).
Ainsi, on peut affirmer que prendre conscience de soi c'est créer une distance entre soi et soi, une distance synonyme d'erreur sur soi et même d'illusion, et de mauvaise foi. Alors prendre conscience de soi, n'est-ce pas devenir étranger à soi-même ? Pour autant, on pourrait encore dire que sans cette prise de conscience de soi il n'y aurait pas même de soi. Le soi et l'affirmation du soi ne supposent-ils pas la conscience ?

B- CONSCIENCE DE SOI ET DISTANCE PAR RAPPORT à SOI (VERSION II)

 
 Prendre conscience de soi implique que « je » devient pour lui-même un objet de réflexion, il est et il est pour lui-même un objet de réflexion, ceci implique une dualité, une distance entre soi et soi, un soi qui est et un soi qui contemple. C'est cette distance qui fait se poser la question : qui suis-je ? Ainsi, le je qui prend conscience de lui-même devient pour lui-même un inconnu mystérieux, un étranger en ce sens. Par ailleurs, on peut se demander si une distance objective est possible entre moi et moi, et si bien loin d'être capable d'avoir une idée de moi-même cette conscience n'est pas synonyme d'illusion sur soi.

 On ne se voit pas tel qu'on est parce que :
-La conscience que nous avons de nous-mêmes est déterminée par nos conditions sociales d'existence. Un ouvrier du XIXème n'a pas la même conscience de lui-même qu'un ouvrier du XXème siècle (développer la référence à Marx- ci-dessous)
"Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience."
(Karl Marx / 1818–1883 / Oeuvres économiques)
-La conscience que nous prenons de nous-mêmes est déterminée de l'intérieur par des tendances non conscientes qui font qu'on se voit tel que l'on a envie de se voir et non pas tel qu'on est (référence : Freud ou Spinoza). Il est d'ailleurs nécessaire d'en passer par un tiers pour évoluer vers une véritable connaissance de soi.

Il semblerait donc que prendre conscience de soi c'est devenir inconnu de soi, étranger à soi, puisque c'est nourrir et développer sans cesse des illusions sur soi. Pour autant, on pourrait encore dire que sans cette prise de conscience de soi il n'y aurait pas même de soi. Le soi et l'affirmation du soi ne supposent-ils pas la conscience ?

C- SANS CONSCIENCE DE SOI PAS DE SOI :

 
H3- Il n'y aurait pas de soi et d'identité du soi sans conscience de soi :
 
Le soi naît dans et par la conscience, sans conscience pas de soi et pas de continuité de soi dans le temps et l'espace (développer la référence à Kant (p : 31 Ed Hatier extrait de « anthropologie du point de vue pragmatique » ou Bergson p : 26 Ed Hatier extrait de « la conscience et la vie »).
®S'il n'y a pas de soi sans la conscience de soi, et si le soi s'endort avec la conscience, alors, le soi n'est-il pas une illusion de la conscience ? Y a-t-il quelque chose qui serait soi ? N'y a-t-il pas que la conscience mémoire et anticipation qui relie les pensées ? Ce qui est saisi, quand "j'entre en moi-même", ce n'est pas le moi en tant que tel, mais telle ou telle impression par exemple: je perçois, non pas que mon moi a faim, mais simplement, je prends conscience que j'ai faim."Entrer en soi-même", pour Hume, c'est simplement prendre conscience de quelque chose, et non pas s'apercevoir que l'on est une conscience. Il n'y a pas perception d'un moi accompagnée d'une affection de ce moi, mais seulement perception d'une impression. Ce que je perçois par introspection, ce n'est pas un moi mais un flux d'impressions qui sont discernables et donc différentes les unes des autres. Que se passe-t-il donc quand nous n'avons aucune perception particulière? Bien loin de ne plus avoir conscience que de notre "moi", nous n'avons plus aucune conscience. Donc, l'absence (ou la diminution en nombre et en intensité) de toutes les impressions, équivaut au néant de la conscience. C'est pourquoi, dans le sommeil, je n'ai pas conscience de moi. « Toute conscience est toujours conscience de quelque chose » comme le dit Husserl, toute conscience est tournée vers autre chose qu'elle-même, il n'y a pas de dedans et donc peut-être pas de moi.
S'il n'y a pas de soi et même une illusion de soi sans conscience de soi, peut-on réellement affirmer que prendre conscience de soi c'est devenir étranger à soi ? N'est-ce pas de venir soi, cet être qui est pour lui-même un quelque chose d'insaisissable ?

Cependant lorsque la conscience en tant que processus psychologique caractérisé par la puissance de synthèse et l'intentionnalité tente de se poser elle-même comme objet, n'est elle pas confrontée à un objet différent d'elle-même au sens ou l'intuition qu'elle a d'elle-même ne correspond qu'au résultat, à la conséquence des innombrables facteurs la déterminant (corps, milieu social, Inconscient ?). La conscience serait donc cette faculté indispensable à la manifestation du Monde et plus particulièrement de soi à soi (sans que l'on sache s'il ne s'agit au fond que d'une illusion) 

CONCLUSION :
On ne peut pas dire que prendre conscience de soi c'est devenir étranger à soi, sauf dans le cas d'un effort, sans doute vain, de connaissance exhaustive de soi par soi, car ce fameux soi n'existe que dans et par la conscience et peut-être même qu'il n'est qu'une illusion de la conscience. Affirmer que le soi ou le sujet n'est qu'une illusion pose, néanmoins le problème de la responsabilité juridique et morale.
source : https://bruno02042010es.skyrock.com/2940085629-prendre-conscience-de-soi-est-ce-devenir-etranger-a-soi.html
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