Dans cet exercice il s'agit d'introduire progressivement les élèves ( de séries générales ou technologiques) à la méthode de l'explication de texte.
"Le mot grec « philosophe » (philosophos) est formé par opposition à sophos. Il désigne celui qui aime le savoir, par différence avec celui qui possédant le savoir, se nomme savant. Ce sens persiste encore aujourd’hui : l’essence de la philosophie c’est la recherche de la vérité non sa possession, même si elle se trahit elle-même, comme il arrive souvent, jusqu’à dégénérer en dogmatisme, en un savoir mis en formules, complet, transmissible par l’enseignement. Faire de la philosophie c’est être en route. Les questions en philosophie sont plus essentielles que les réponses, et chaque réponse devient une nouvelle question".
Karl JASPERS, Introduction à la philosophie,1965.
Questions de compréhension du texte
1) Quel est le thème du texte ?
2) Quelle est la question posée par le texte ?
3) Sur quelle opposition se construit le texte ?
4) Quelle est la thèse du texte ?
5) Comment le texte définit-il le dogmatisme ?
6) Pourquoi le dogmatisme s’oppose-t-il à l’attitude philosophique ? ( la réponse doit être développée, il est conseillé de travailler au brouillon)
Correction de l’exercice
Remarques
1. Certains élèves ont été mis en difficulté dès la lecture du texte qui ne contient pourtant pas de difficulté majeure. Ils ont été tout simplement été déstabilisés par l'usage du mot « dogmatisme », ne se rendant pas compte qu’il était défini dans le texte.
→ Pas de panique : Pour lire un texte , il faut remettre les termes utilisés dans l’extrait proposé qui en éclaire le sens. D’un texte à l’autre la signification d’un terme peut varier, il n’est pas nécessaire de comprendre le sens de chaque mot pris un à un, par contre, il faut toujours remettre les termes utilisés dans leur contexte. Le bon lecteur est capable de passer sur un mot qu'il ne comprend pas au premier abord, il fait confiance à son intuition. Le mauvais lecteur cherche à avoir une maîtrise totale du texte, il veut comprendre chaque élément considéré séparément de l'ensemble, il n' pas confiance en lui.
2. Certains élèves ont eu des difficultés pour distinguer le thème et la thèse du texte.
→ Le thème est l’objet général du texte, autrement dit de quoi ça parle, indépendamment de l’approche choisie par l’auteur et de l’opinion (la thèse) de l’auteur
Le thème du texte proposé ici est « la philosophie », tout simplement.
Méthode : Thème - Être capable de saisir le thème général du texte permettra par la suite lorsque vous aurez acquis une culture philosophique, de mobiliser vos connaissances autour de ce thème pour débattre avec l’auteur du texte
Méthode : Thèse - Chaque texte de philosophie est une réponse à une question ou un problème posé, problème qui s'inscrit dans l'histoire de la philosophie.
La question posée dans ce texte est : « qu’est-ce que la philosophie » ?
→ La réponse à cette question sera la thèse du texte.
La philosophie est définie dans ce texte comme l’amour du savoir et la recherche de la vérité.
Guillaume C. nous propose une bonne réponse car il ne paraphrase pas le texte, ce qui montre qu’il a compris le texte et se l’est approprié :« Ce texte soutient la thèse selon laquelle la philosophie contrairement au dogmatisme, doit chercher le savoir sans prétendre jamais l’avoir[définitivement] trouvé. Le philosophe se doit de n’avoir aucune certitude et « d’être sans cesse en route » vers le savoir. Attention cependant de ne pas résumer le texte.
Méthode : Pour pouvoir évaluer son travail il est important de comprendre la relation entre le thème/la question posée/ la thèse du texte.
- La question posée se rapporte au thème.
- La thèse du texte est une réponse à cette question.
Si ces trois éléments ne peuvent pas être mis en relation, cela signifie qu’il y a une erreur de compréhension du texte.
→ La thèse d’un texte est généralement le résultat d’une démonstration ou d’une argumentation. Il sera donc important ensuite d’affiner la compréhension de la thèse en repérant les différentes étapes de l’argumentation.
Dans cet exemple, comme le texte est très court, il était difficile de dégager véritablement un plan. On pouvait relever que l’exposé de la thèse se construit autour d’une double opposition philosophe / le savant, philosophie /dogmatisme.
Il y a trois moments dans le texte :
I. Karl Jaspers définit négativement la philosophie à l'aide de l'opposition philosophos/sophos.
II. Il définit positivement la philosophie comme "recherche de la vérité".
IIl insiste sur l'importance du questionnement en philosophie.
→ La définition du dogmatisme :
Le dogmatisme désigne une attitude par rapport au savoir. Le « savant » dogmatique se contente d’apprendre des connaissances toutes faites, qu’il tient pour vraies. Ici le terme « savant » est synonyme d’érudition (l'accumulation de connaissances).
Dans ce texte le mot dogmatisme a une valeur péjorative soulignée par l’utilisation du verbe « dégénérer ». Le dogmatisme renvoie à une attitude inadéquate face au savoir. Le savant est dogmatique, il tient ses connaissances pour vraies et n’est pas prêt à les remettre en question.
Pour reprendre l'excellente définition de Sébastien : « Tout d’abord le dogmatisme et l’attitude philosophique ont pour but de répondre à des questions. Cependant l’intérêt n’est pas le même ; En effet le dogmatisme s’attache d’abord à la réponse. Il veut un résultat unique, définitif, [Charlotte rajoute : universel], clair, net et précis qui réponde à son questionnement. Alors que la philosophie s’intéresse non au résultat, mais à la recherche du résultat ».
Timothée : « le savoir dogmatique est un savoir composé d'idées arrêtées et de questions définitivement résolues. »
Le dogmatisme s’oppose à l’attitude philosophique : alors que le savant reste figé dans un savoir qu’il considère comme achevé, le philosophe, lui est toujours en mouvement, "en route". Il ne se satisfait jamais des réponses apportées à ses questions, chaque réponse appelant une nouvelle question. Alors que le savant est persuadé savoir avec certitude, le philosophe cultive l'incertitude et considére qu'aucune réponse n’est définitivement acquise. Cependant Karl Jaspers remarque que le dogmatisme reste toujours une tentation pour les philosophes.
Remarques :
On pouvait comme Mounir ou Pierre utiliser l’exemple du dogme religieux pour expliquer le sens du mot dogmatisme. Un dogme religieux est une vérité qui repose sur l’autorité d’un texte religieux. Il s’affirme comme une vérité unique et exclusive de toute autre. Il ne peut être discuté ou remis en question.
Il est intéressant de remarquer que certains élèves n’ont pas pu définir le mot dogmatisme dans la question 5, certainement parce que le mot leur semblait trop effrayant. Mais qu’ils ont, en quelque sorte malgré eux, fait ce travail de définition pour répondre à la question 6, qui reprenait la question 5 mais était formulée différemment. Il aurait été constructif de revenir alors sur la question 5 pour effectuer des corrections.
● Des élèves ont fait des remarques très intéressantes sur le texte qui peuvent ouvrir le débat :
Yassine remarque que le dogmatisme qui fige la pensée s’oppose à la liberté de pensée. Pierre souligne lui, la liberté de la recherche philosophique.
Pierre remarque qu’il n’y a pas nécessairement une opposition radicale entre le philosophe et le savant, puisque le philosophe a besoin d’accumuler des connaissances, pour ensuite s’en écarter.
Mathieu remarque que l’attitude philosophique ne va pas de soi et demandera certainement un effort contre nature à l’homme qui préfèrera toujours la facilité des idées préconçues. Il s’étonne d’ailleurs que certains puissent préférer la difficulté de la réflexion. Le constat fait par Mathieu rejoint celui que faisait déjà Descartes au XVII° siècle, qui développe la même idée dans ses Méditations.
Maylis remarque que le dogmatisme conduit inévitablement à une uniformisation de la pensée tandis que l’attitude philosophique permet de construire une réflexion personnelle.
Kevin remarque qu’apprendre ce n’est pas synonyme de raisonner. Le savant apprend. Le philosophe raisonne et construit des connaissances.
Doriane et Alix font le parallèle entre le dogmatisme et l’attitude « scolaire ».
REDIGER L'INTRODUCTION D'UNE EXPLICATION DE TEXTE
L'objectif de l'introduction est de présenter les grandes lignes du travail à venir. Sur quel thème porte l'extrait à expliquer ? Quel problème l'auteur se propose-t-il de résoudre ? Quelle thèse sera défendue ? Quelles sont les étapes de l'argumentation ? Sur quelle question ou quel problème ce texte ouvre-t- il une discussion ?
Ce travail a déjà été préparé au brouillon. Rédiger l'introduction c'est donc faire une synthèse d'éléments déjà identifiés lors des lectures préparatoires à l'explication du texte. Ainsi la rédaction de l'introduction n'offre aucune difficulté particulière si le travail préparatoire a été fait méthodiquement. La seule difficulté peut consister dans l'annonce de la discussion du texte, puisqu'il vaut mieux trouver un problème qui soit stimulant pour la réflexion et qui permette à l'élève de mettre en valeur ses connaissances philosophiques.
Exemples d'introduction :
Marianne : " Dans ce texte de 1965, extrait de l'ouvrage "introduction à la philosophie", Karl Jaspers s'interroge sur la nature de la philosophie qu'il définit comme "l'amour du savoir" et "la recherche de la vérité". Son point de vue s'appuie sur une double opposition du savant au philosophe, de la philosophie au dogmatisme. Mais on peut cependant se demander si le dogmatisme n'est pas un moment nécessaire de la recherche de la vérité ?"
Rouh : " Dans son texte de 1965, "Introduction à la philosophie", Karl Jaspers définit le philosophe comme "l'amoureux du savoir" et l'oppose au savant qui "possède la vérité. Mais quel est donc l'intérêt de rechercher ce que l'on ne devra jamais posséder ?"
Julie : " Introduction à la philosophie" est un texte de Karl Jaspers qui tente de nous faire comprendre la nature de la philosophie. Pour l'auteur la philosophie est avant tout une démarche : "philosopher c'est être en route". Elle s'oppose ainsi au dogmatisme. On peut cependant se demander si le savant et le philosophe sont si éloignés l'un de l'autre ? Le philosophe n'a-t-il pas besoin de connaissances pour ensuite les remettre en question?"
Thibault : "Le texte de Karl Jaspers, " Introduction à la philososophie", paru en 1965 a pour thème la philosophie. L'auteur s'interroge sur la définition de la philosophie qui est pour lui, avant tout, "amour du savoir" et "recherche de la vérité". Pour cela il oppose les philosophes aux savants. La question que nous pose plus généralement ce texte est la suivante : face au savoir vaut-il mieux se comporter en savant ou en philosophe ?
Morgane : "ce texte, "introduction à la philosophie" de karl Jaspers a pour thème la philosophie. En effet l'auteur s'interroge sur ce qu'est la philosophie. La philosophie est l'amour du savoir et la recherche de la vérité. Pour cela Karl Jasper oppose la philosophie et le dogmatisme. Mais l'opposition entre le philosophe et le savant est-elle aussi radicale ?"
Jéremy : " Dans ce texte écrit en 1965, Karl Jaspers nous présente la démarche philosophique. Pour lui la philosophie est amour du savoir et recherche de la vérité, elle s'oppose au dogmatisme. Ce texte nous interroge plus largement sur la frontière qui sépare savoir et ignorance, fontière qui est loin d'être évidente".
Corrigé
K. Jaspers « L’essence de la philosophie, c’est la recherche de la vérité »
[Introduction]
Dans ce texte Karl Jaspers s’interroge sur ce qui définit la philosophie (1) (2). Selon lui l’essence de la philosophie c’est la recherche de la vérité (3). Son argumentation se divise en trois parties (4) : Dans la première partie (lignes 1 à 3) Karl Jaspers oppose le philosophe au savant, pour en déduire dans la deuxième partie (lignes 3 à 7) la thèse du texte : « la philosophie c’est la recherche de la vérité ». Cette définition nous permettra alors de comprendre dans une troisième partie (lignes 7 à 10) l’importance du questionnement en philosophie. Si la philosophie est quête et non possession de la vérité il nous faudra alors nous demander si cette vérité n’est pas un idéal inaccessible à atteindre et s’il n’y a pas un risque pour le philosophe de se retrouver condamné au scepticisme ? (5)
Thème
Question
Thèse
Etapes de l’argumentation
Annonce de la discussion
[Explication détaillée du texte]
Dans cet extrait Karl Jaspers répond à la question « Qu’est-ce que la philosophie ? ». Pour ce faire il pose dès la première phrase, une opposition entre deux termes d’origine grecque, philosophos et sophos. Pourquoi a-t-il besoin de recourir à l’étymologie de ces deux mots ? Ce n’est pas par pédanterie[1], mais il s’agit pour lui de construire un paradoxe. En effet ces deux termes sont de la même famille et nous aurions tendance à penser (doxa) qu’ils ont plus ou moins le même sens ou qu’il n’existe qu’une différence de degré entre les réalités qu’ils désignent. Or pour Karl Jaspers ces termes désignent deux réalités distinctes, que séparent une différence de nature.
La deuxième phrase précise le contenu de cette opposition[2]. Le philosophos c’est « celui qui aime le savoir ». Karl Jaspers se réfère ici à la définition platonicienne du philosophe dans Le Banquet : le philosophe, c’est étymologiquement celui qui « aime (philo-) le savoir (sophia) », plus précisément celui qui désire le savoir parce qu’il ne le « possède » pas. Ce qui le distingue du savant. Cela veut-il dire alors que le philosophe serait un ignorant ? car l’ignorant c’est bien celui ne possède aucun savoir, celui qui ne sait pas. Or si le philosophe ne possède pas le savoir puisqu’il le recherche, il n’est pas pour autant ignorant. Car pour désirer savoir, il faut d’une part qu’il reconnaisse qu’il ne sait pas, et d’autre part qu’il ait eu connaissance de ce qu’il ne possède pas. Car nul ne désire ce qu’il ne connait pas. Par conséquent si le philosophe n’est pas un savant il n’est donc pas pour autant un ignorant. Il est, comme le montre Platon dans Le Banquet, à mi-chemin entre les deux. Le philosophe se définit donc dans un rapport particulier au savoir. De même que Socrate, il sait qu’il ne sait pas. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il se satisfasse de cet état. Cela veut surtout dire qu’il est celui qui accepte de n’avoir aucune certitude, de ne rien considérer, comme évident, comme donné ou comme vrai. Comme l’écrivait Aristote « philosopher, c’est s’étonner » et c’est de cet étonnement premier que peut naître le désir de savoir, que peut naître la philosophie.
La philosophie se définit donc comme « la recherche de la vérité et non comme sa possession » [phrase 3]. Si Karl Jaspers éprouve le besoin de nous le rappeler (« ce sens persiste encore aujourd’hui ») c’est qu’aujourd’hui, rien n’est moins évident. Aujourd’hui, la philosophie est pour une très large part, une pratique institutionnelle, qu’il s’agisse de l’enseignement délivré au lycée ou des recherches menées les universités. Cette critique nous rappelle celle de H. D. Thoreau qui écrivait au XIX° siècle, dans Walden « Aujourd’hui il n’y a plus de philosophes, il n’y a que des professeurs de philosophie ». Dans sa forme institutionnelle, la philosophie se présente à nous sous la forme d’un savoir « dogmatique, un savoir mis en formule, définitif, complet figé, transmissible », que l’on se contente de transmettre, d’apprendre ou de posséder. C’est là pour Karl Jasper une véritable trahison, une négation de l’essence même de la philosophie. Il utilise le verbe « dégénérer » pour condamner cette pratique. Si la philosophie se définit comme une « recherche », elle n’est jamais définitive, ni achevée. Elle ne peut prétendre atteindre LA vérité. Aussi elle ne saurait être transmissible comme n’importe quel autre savoir. Il faut se rappeler ici la critique que fait Platon dans le Banquet du modèle traditionnel de l’instruction lorsqu’il compare le professeur à un vase plein, l’élève à un vase vide qu’il s’agirait alors de remplir. Philosopher c’est penser par soi-même, c’est construire le savoir en faisant usage de sa raison. Ce n’est pas se contenter d’apprendre un savoir déjà constitué par d’autres. Karl Jaspers nous inviter donc à revenir au sens originel de l’activité philosophique. Il nous inviter à nous étonner. Il nous invite à nous mettre à penser.
Si l’inachèvement caractérise la philosophie. Philosopher c’est être en mouvement, c’est « être en route » [phrase 4]. Par cette métaphore, nous comprenons que pour Karl Jaspers, la philosophie possède une dimension existentielle : elle ne se limite pas à n’être qu’une pure spéculation théorique, elle est aussi une pratique qui engage le philosophe dans son tout être. De la même façon que tout voyage possède une dimension initiatique qui transforme le voyageur au plus profond de lui-même, le travail de la pensée transforme le regard que nous portons sur nous-même, ce qui affecte notre manière d’être au monde. Philosopher c’est avant tout vivre en philosophe. On retrouve à nouveau le sens originel grec de la philosophie.
Nous pouvons alors mesurer l’importance du questionnement dans le travail de la pensée [phrase 5]. Philosopher c’est accepter de ne pas savoir. Le philosophe sera donc d’abord dans le questionnement de ce qu’il pense savoir (Ce qu’il philosophe met en question c’est d’abord le contenu de ses propres pensées). Il refuse ce qui lui est donné : les opinions, les certitudes, les évidences, les préjugés. Philosopher c’est d’abord questionner, c’est d’abord se questionner.
[Conclusion]
La philosophie se définit ainsi non pas par sa capacité de répondre, de produire des connaissances achevées et définitives, mais par un certain un rapport au savoir qui consiste dans une mise en question permanente de tout savoir.
[1] Ce n’est pas pour faire étalage de son érudition.
[2] Je veille à construire des liens entre les différentes phrases ou les différentes parties du texte. Il est très important de ne pas oublier de mettre en lumière la cohérence d’ensemble du texte.
A. Louangvannasy
source : http://www.aline-louangvannasy.org/article-l-explication-d-un-texte-philosophique-karl-jaspers-qu-est-ce-que-la-philosophie-107776051.html
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