I. Préparation
Dans le sujet, il faut trouver un paradoxe (une idée étonnante, qui va contre l'opinion commune), ou un présupposé, toujours un problème. Le mauvais réflexe, c'est de chercher dès l'abord une réponse. Il faut au contraire mettre en question l'opinion ou l'évidence première.
2 exemples :
Ex. 1 : Faut-il préférer le bonheur à la vérité ? L'énoncé semble tenir pour acquise l'idée d'une incompatibilité entre bonheur et vérité. Il faudra examiner ce présupposé puis le mettre en question.
Ex. 2 : Peut-on se passionner pour la vérité ? Le problème : apparence d'une contradiction entre les notions de passion et de vérité : la connaissance de la vérité exige de l'objectivité ; la passion, au contraire, est subjective, elle a la réputation de rendre aveugle.
Un sujet doit toujours pouvoir être retraduit sous la forme d'un problème. Ce problème n'est pas explicite, il ne saute pas aux yeux. Il faut donc analyser l'énoncé pour le rendre explicite. Cette analyse du sujet est un moment essentiel, qui permet de délimiter le champ du sujet, définir l'inconnue qui est à chercher. S'il n'est pas fait, cela conduit au hors-sujet, ou à un traitement partiel de la question.
Exemples :
Ex. 1 : L'histoire est-elle tragique ? Si, par tragique, on se contente de comprendre : sanglant, qui finit mal, on va tomber dans un catalogue d'exemples pour montrer que dans l'histoire il y a du mal et que c'est triste, ou essayer de prophétiser la fin de l'histoire. Il faut trouver une analyse féconde du sujet. Féconde, c'est-à-dire qui suscite un problème philosophique intéressant. Or, qu'est-ce que la tragédie ? Ce n'est pas la même chose que le drame. Le tragique renvoie à l'idée de destin. Par conséquent, ce sujet pose la question de la liberté : est-ce l'homme qui fait l'histoire, ou bien se contente-t-il d'en subir le cours?
Ex. 2 : Peut-on se passionner pour la vérité ? Si l'on n'étudie pas sérieusement le sens du mot passion, on ne comprend pas le problème. Si l'on n'envisage pas la passion en son sens le plus fort, on ne prend pas conscience que la passion peut être aveugle et fanatique, ce qui s'accorde mal avec la recherche de la vérité.
Ce travail d'analyse est indispensable et permet seul d'éviter le hors-sujet. Lui seul fournira à la dissertation l'unité d'un problème à résoudre. Il est à refaire à chaque fois, car chaque problème est différent. Il n'y a donc pas de recette a priori. Il sera facilité par la relecture du cours, et par un travail de recherche et de lecture. La première chose à faire, c'est donc de lire pour assembler des matériaux.
On peut consulter les dictionnaires. Analyser l'énoncé consiste à définir chacun de ses éléments, chaque substantif. Il ne faudra pas tout garder : seulement les définitions appropriées au sujet, celles qui permettent de rendre manifeste le problème. Pour découvrir une signification féconde, il est possible d'opérer des distinctions (drame et tragédie), d'étudier l'étymologie (passion vient de pâtir), de penser à des expressions courantes (la passion rend aveugle). Ce travail d'analyse étant essentiel, il faut lui sacrifier du temps (y compris lors d'un devoir en classe).
Exercice : les notions en rapport avec un sujet.
II. L'introduction
C'est un moment essentiel, car elle conditionne la première impression du lecteur. En outre, elle doit contenir l'analyse de l'énoncé. A la lecture de l'introduction, on doit voir si le problème a été saisi ou non. On partira d'une définition de l'une des notions pour aboutir à la formulation du problème. La position du problème doit découler de l'analyse de l'une des notions.
Partir d'une définition provisoire qui sera approfondie dans le développement, d'une opinion commune, d'un préjugé, présenté comme tel.
Un exemple :
La liberté est-elle le pouvoir de refuser ?
Selon l'opinion commune, la liberté est l'absence de toute contrainte et de toute obligation. Par conséquent, elle va s'exprimer de façon privilégiée dans le pouvoir de dire non à tout ce qui pourrait contrarier notre volonté.
Bilan. On ne commence pas par répéter le sujet. On ne part pas du sujet, mais on y arrive; bref, on l'introduit. On ne parle pas du sujet. Autrement dit, il faut éviter toute expression du type "ce sujet" qui laisse entendre qu'il y a déjà un sujet prédéfini. Il n'y a qu'un énoncé ambigu. Le sujet, lui, n'existe pas tant que vous n'avez pas analysé l'énoncé. Le problème n'existe pas tant que vous ne l'avez pas défini. Vous devez introduire la question comme une question que vous vous posez. Introduire le problème, c'est dire pourquoi le problème se pose.
Ex. : Qu'est-ce qu'un événement historique ?
Pourquoi se poser une telle question ? Parce que l'on observe une tendance à tout qualifier d'historique. Il faut donc commencer par une définition ou une opinion, sans baratin, pour arriver à une reformulation du problème - il ne s'agit pas de répéter l'énoncé, mais d'en extraire le problème. Il faut donc le formuler d'une façon plus claire et plus développée.
Deuxièmement, on va mettre en question l'opinion de départ, pour en faire apparaître la dimension problématique.
Pour finir, on peut annoncer de manière interrogative les issues possibles du problème. Il ne faut pas parler de ce que l'on fait, il faut le faire.
Pour rédiger l'introduction, il est nécessaire de savoir où l'on va. Il est donc mieux de la rédiger à la fin, une fois que l'on a élaboré un plan, et même quand tout le reste est fini.
III. Le développement
Le sujet pose un problème. Le problème découle de la mise en relation de plusieurs notions. C'est donc sur la relation entre ces idées qu'il faut travailler. Il ne faut pas les étudier successivement et séparément. Le plan : 1) Qu'est-ce qu'une excuse ? 2) qu'est-ce qu'une passion ? ne traite pas le sujet.
Ex. 2 : Peut-on avoir des droits sans avoir des devoirs ? Plan : 1) Qu'est-ce qu'un droit ? 2) Qu'est-ce qu'un devoir ? 3) On ne peut pas avoir de droits sans devoirs. Mauvais. 1) et 2) sont hors sujet. On n'a qu'une thèse non mise en question.
La solution de ce problème n'est pas unique. Un problème mathématique ne tolère qu'une seule solution. Il doit toujours être possible d'imaginer plusieurs issues à un problème philosophique. La matière de la dissertation sera l'examen de ces différentes solutions possibles. Par conséquent, le devoir comportera nécessairement plusieurs parties. Une copie dans laquelle s'expose une seule thèse, un seul point de vue, n'est pas une discussion, donc pas une dissertation, parce qu'elle n'est pas problématique.
Ex. : L'art est-il un moyen d'évasion?
On ne peut pas se contenter de répondre par l'affirmative sans mettre en question cette opinion. Il n'est pas interdit de penser que l'art nous permet de nous échapper. Mais il faut mettre cette idée en question : si l'art permet l'évasion, cela signifie-t-il qu'il n'est qu'un divertissement, une simple distraction, qui peut être mis sur le même plan que les divertissements télévisés ?
Au-delà de trois parties, la copie risque de manquer d'unité. On choisira donc un plan en deux ou trois parties, elles-mêmes organisées en deux ou trois paragraphes. Il faut éviter l'éparpillement, la multiplication de paragraphes trop brefs, regrouper les idées, en respectant le principe : une idée par paragraphe, et un paragraphe par idée.
1. Le plan minimal
consiste dans l'examen de deux thèses opposées. On ne peut pas se contenter d'exposer une thèse sans envisager les arguments adverses, sans envisager qu'elle soit fausse, sans la mettre en doute. Mais le danger d'un plan en deux parties, c'est de procéder par simple juxtaposition de deux opinions. Alors, le devoir est la succession de deux opinions contraires et incompatibles. Un tel développement ne permettra pas de parvenir à une conclusion satisfaisante. Schématiquement, la juxtaposition de deux thèses donne ceci : 1) oui ; 2) non ; conclusion : plusieurs options : a) la conclusion contradictoire, impossible, absurde, du type oui et non, la thèse est vraie mais elle est fausse ; b) la conclusion de type normand.
Pour éviter une telle situation, deux solutions. Soit on tranche en faveur de l'une des thèses. On exposera alors celle que l'on a l'intention de retenir en dernier. On conclut sur la dernière partie. Il faut, pour que l'on soit autorisé à trancher, que les arguments en faveur de la seconde thèse, soient plus convaincants que les premiers, que les premiers aient été réfutés. Soit on distingue deux niveaux d'analyse dans le sujet. Les deux parties ne sont pas alors simplement le contraire l'une de l'autre, mais on répond à deux niveaux différents. La conclusion sera du type : en un sens oui, mais en un second sens, non. Ce qu'il faut éviter, comme une faute majeure, c'est la contradiction. Il faut examiner l'antithèse, mais ne pas se contredire. Si l'on dit une chose, puis son contraire dans une seconde partie, on se contredit. Il faut soit montrer que, après examen, le contraire a plus de chances d'être vrai, et pourquoi ; soit développer deux thèses opposées qui ne soient cependant pas incompatibles, c'est-à-dire qui puissent être vraies en même temps.
Exemples:
La passion est-elle une excuse ?
Ce qu'il ne faut pas faire:
Ex. 1 : 1° Oui, elle en est une: elle est plus forte que moi, le passionné donc n'est pas responsable de ses actes. 2° Non, elle n'en est pas une, car l'homme est libre donc responsable. Conclusion : la passion est une excuse, mais elle n'en est pas une. Comprenne qui pourra...
Mieux:
Ex. 2 : 1° Oui, elle semble en être une, car elle est plus forte que moi. 2° En réalité, elle n'est plutôt qu'une circonstance atténuante. J'ai le pouvoir, grâce à ma volonté, de lui résister. Donc elle m'influence sans me déterminer.
Ex. 3 : L'artiste sait-il ce qu'il fait ?
1° Oui, car il faut bien, quand il crée, qu'il ait conscience d'une idée, c'est-à-dire d'un projet. 2° Cependant, cette conscience n'a pas la valeur d'une claire représentation de ce que sera l'œuvre une fois achevée. Conclusion : Tout dépend de ce que l'on entend par savoir. L'artiste a conscience d'un projet. Mais ce projet n'est pas la connaissance claire et définitive, par avance, de ce que sera l'œuvre.
2. La construction dialectique
devra être préférée chaque fois que c'est possible. Montrer qu'à un premier niveau d'analyse, une contradiction apparaît. On dépasse l'opposition dans une troisième partie, en approfondissant l'analyse du sujet, en montrant qu'une analyse insuffisante a fait surgir un faux problème. Les deux premières parties ont pour but de poser un problème, sous forme d'une opposition. La troisième est la solution. Elle ne doit pas être une conclusion normande développée, où l'on explique que la vérité se trouve probablement dans un juste milieu. Elle n'est pas une reprise des deux premières, mais l'expression d'une thèse nouvelle. Exemple : lâcheté et témérité sont des contraires qui s'opposent. Le courage n'est pas un moyen terme entre les deux, ni un mixte des deux, mais une réalité qui les dépasse - être courageux, ce n'est pas être un peu lâche, mais pas trop, et un peu téméraire : c'est autre chose.
Ex. 1 : La passion est-elle une excuse ?
1° La passion, plus forte que moi, m'entraîne à des actes dont je ne suis pas responsable. 2° Affirmation de la liberté humaine. Je suis capable, par ma volonté, de résister à la passion. 3° Il faut résoudre cette contradiction entre deux points de vue antinomiques. La passion ne me détermine pas, cependant la difficulté de lui résister indique qu'elle m'influence. Conclusion : la passion m'influence sans me déterminer. Elle n'est pas une excuse, mais une circonstance atténuante.
Ex. 2 : L'artiste sait-il ce qu'il fait ?
1° L'artiste est inspiré. Ses idées lui viennent des Muses, ou bien lui sont fournies par le hasard. 2° Cette première thèse est inacceptable, car elle nie le mérite de l'artiste, qui ne crée pas dans un état d'inconscience. Il a conscience d'une idée. 3° Cette seconde thèse permet de restituer le mérite du créateur, mais elle n'explique pas pourquoi l'artiste est parfois incapable d'expliquer son œuvre. C'est que, s'il a bien conscience d'une idée, celle-ci n'est cependant pas le savoir de ce que sera l'œuvre, la prévision du résultat.
Ex. 3 : Peut-on se passionner pour la vérité ?
1° La vérité est digne de passion. 2° La passion exclut le doute et le sens de la nuance. Elle conduit au dogmatisme, si ce n'est au fanatisme. 3° Ce qui est dangereux, c'est de se passionner pour une idée que l'on croit vraie. En effet, qu'est-ce que la vérité ? En revanche, on peut et l'on doit se passionner pour la recherche de la vérité.
Sur ce sujet, comme tous ceux qui commencent de la même manière, par "peut-on...", il est possible, pour distinguer deux niveaux, de jouer sur le double sens du verbe pouvoir : 1)A-t-on le pouvoir, est-ce possible? 2) A-t-on le droit, est-ce légitime ?
Une solution pour inventer la troisième partie, c'est de mettre en question le présupposé.
Exemple : Faut-il préférer le bonheur à la vérité ?
1) Arguments en faveur du choix du bonheur ; 2) arguments des partisans de la vérité ; 3) après tout, faut-il vraiment choisir ? Ne peut-on pas avoir les deux ?
3. La transition
C'est de la qualité du lien entre les parties que dépend la cohérence du devoir. C'est la charnière logique qui assure le lien entre les parties. Il faut la soigner. Quelques lignes suffisent. Elle remplit un double rôle. Elle sert à faire le bilan sur ce qui précède, à faire le point - où en sommes-nous ? Elle est donc une conclusion provisoire ou partielle. Elle sert aussi à introduire ce qui suit. Elle comportera donc obligatoirement ces deux moments : rappel de la question et bilan de l'argumentation ; relancer la discussion, par exemple grâce à des formules interrogatives. Elle pose et résout la question : qu'est-ce que j'ai démontré ? Est-ce satisfaisant ? La première partie n'est précédée par aucune autre, il faut cependant l'introduire brièvement, de façon à annoncer l'idée générale qui va être développée. On doit savoir quelle est votre intention.
IV. La conclusion
Elle doit être la réponse à la question. Etapes : reprendre la question posée en introduction ; faire un bref bilan de l'argumentation (ne pas résumer : seulement retenir les arguments décisifs); répondre à la question posée. Il s'agit d'une réponse, par conséquent il ne faut pas introduire d'idée nouvelle qui aurait dû être développée.
V. Remarques sur la rédaction
Une dissertation est une démonstration. Donc, se demander si ce que l'on dit est vrai. Ne rien affirmer sans l'avoir argumenté. Eviter les allusions.
Se demander si ce que l'on dit est clair et cohérent.
Usage des références. Pas de montage de citations, ni de récitation du cours. Ce n'est pas la quantité des citations qui compte, mais leur qualité, c'est-à-dire leur à propos. Les citations doivent s'intégrer harmonieusement dans votre discours, être accompagnées de la référence et expliquées. Reformuler les idées des textes que l'on a lus, reprendre les concepts des auteurs, mais en les expliquant soi-même. Montaigne, Essais, I, 26 : comparaison avec une abeille qui butine à différentes fleurs ; mais le miel est sien. Dissertation doit rester un exercice de réflexion personnelle. Exemples sont souhaitables - que sera une copie sur l'art sans exemple d'œuvres d'art ? A emprunter à tous les domaines de la culture - science, histoire, littérature...Mais éviter les exemples personnels, subjectifs, anecdotiques, qui expriment des lieux communs sans les mettre en question.
Si le prof n'a pas les mêmes opinions, on sera saqué. Celui qui affirme cela n'a pas compris l'esprit de la dissertation, puisqu'il ne s'agit justement pas d'exprimer une opinion personnelle, mais plutôt de montrer la capacité à la mettre en question, de se mettre à la place d'autrui pour envisager d'autres solutions. Ce que le correcteur peut reprocher à un candidat, c'est plutôt d'avoir affirmé une opinion sans l'examiner, sans la mettre en doute.
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