Quelques mots sur l’auteur et son ouvrage
1984 est un célèbre roman dystopique de George Orwell dépeignant une société au régime totalitaire, où « Big Brother » surveille l’ensemble de la population.
Winston, le personnage principal, travaille pour le Ministère de la Vérité. Il est chargé de réécrire les archives du passé pour qu’elles soient cohérentes avec l’idéologie totalitaire du Parti unique. Ainsi, il réécrit l’histoire pour qu’elle corresponde aux prédictions du Parti et pour que le peuple ne puisse pas s’apercevoir que les conditions de vie étaient meilleures avant que Big Brother n’accède au pouvoir.
Cependant, Winston va décider de désobéir et de consigner dans un journal intime l’histoire telle qu’elle est afin de garder une trace de sa mémoire individuelle.
À la fin (spoiler alert), il sera dénoncé. On lui fera un lavage de cerveau pour remodeler sa mémoire conformément aux attentes du parti.
Nous nous sommes appuyés sur un extrait situé Chapitre IV – Première partie, dans lequel Winston modifie des archives dans le cadre de son travail, remodelant ainsi la mémoire collective. L’extrait commence à : « Avec le soupir inconscient et profond » et se termine à : « À la vérité, il n’y avait pas de camarade Ogilvy, mais quelques lignes imprimées et deux photographies maquillées l’amèneraient à exister ». (texte entier ici : https://www.librairal.org/wiki/George_Orwell:1984_-_Première_Partie_-_Chapitre_IV)
La question philosophique posée dans ce texte
La question que pose Orwell dans ce texte est la suivante : En quoi la mémoire collective peut-elle devenir un instrument de manipulation ?
La thèse
L’auteur décrit les dérives du processus de la mémoire collective, qui peut être au service d’une dictature de la pensée. Nous avons affaire à une pathologie du mécanisme de la mémoire collective (cf. article sur Halbwachs). En effet, le passé est tellement reconstruit qu’on aboutit à une réécriture complète de l’histoire !
Il s’agit d’un roman qui montre le danger de l’instrumentalisation de la mémoire collective.
Développement
Préambule : histoire VS mémoire
La mémoire et l’histoire sont toutes deux représentation d’événements révolus.
Voici où se situe la principale différence entre ces deux notions :
L’histoire, au sens scientifique du terme, se constitue selon une norme d’objectivité à vocation universelle.
Cela s’oppose à la mémoire au sens moral, qui est subjective et partiale (qu’elle soit individuelle ou collective).
Ainsi la mémoire serait individuelle, puisque subjective et partiale, et l’histoire, en tant que science, serait objective.
1) La manipulation de la mémoire collective
Rappel : d’après Halbwachs (cf. VOIR L’ARTICLE ), la mémoire collective se forme à partir d’un mécanisme de déformation de la mémoire individuelle, selon une exigence de cohérence et d’unité des mémoires de tous les membres de la société. Ce mécanisme, s’il fonctionne de manière saine, permet la pérennité de la société grâce à cette unité des mémoires. Cela explique pourquoi, dans une société donnée, la mémoire individuelle de chacun est influencée par les cadres sociaux.
Dans la société de 1984, ce mécanisme propre à la mémoire collective fonctionne toutefois de manière pathologique. En effet, le passé des individus est tant transformé qu’il ne correspond plus en rien à l’histoire telle qu’elle s’est réellement produite.
Un tel procédé s’explique par la volonté de Big Brother d’utiliser l’histoire pour légitimer son pouvoir. Ainsi, l’histoire est devenu un instrument pour assoir la crédibilité du pouvoir, ce que Pierre Nora qualifie de « légitimation par le passé ». Le Parti souhaite contrôler la mémoire car, en tant que référence pour comparer présent au passé, elle représente une menace. En effet, la mémoire est dangereuse pour la dictature. Le Parti transforme donc l’histoire afin qu’elle apparaisse cohérente avec l’idéologie du moment. Il fait disparaître les personnes qui deviennent trop encombrantes ou modifie leur passé à l’aide de faux témoignages. Winston parle de « mutabilité du passé ».
« À la vérité, il n’y avait pas de camarade Ogilvy, mais quelques lignes imprimées et deux photographies maquillées l’amèneraient à exister ». Loin de simplement supprimer des éléments de la mémoire collective, Winston va jusqu’à créer de faux souvenirs qui renforcent la crédibilité du Parti.
Le Parti créé ainsi sa propre vérité, prouvée par les documents falsifiés. L’un des slogans du Parti stipule « Qui commande le passé commande l’avenir ; qui commande le présent commande le passé. »
Le Parti peut faire croire tout et son contraire aux individus qui n’ont plus d’ancrage dans le passé. Winston se demande continuellement s’il n’est pas fou car « aujourd’hui, la folie était de croire que le passé était immuable ».
Suite à une fausse prédiction de Big Brother qui n’avait pas anticipé une offensive en Afrique du Nord, Winston est chargé de modifier son discours de la veille pour rétablir la crédibilité du Parti : « Il était donc nécessaire de réécrire le paragraphe erroné du discours de Big Brother afin qu’il prédise ce qui était réellement arrivé ».
Ce passage souligne l’instrumentalisation de la mémoire collective par le Parti afin d’asseoir son pouvoir. La modification de l’histoire permet de rendre la réalité cohérente avec les actions et les assertions du Parti et donc de conserver le soutien du peuple. Ici, la mémoire devient l’instrument d’une propagande intériorisée.
2) Manipulation de la mémoire individuelle
À cause de la falsification des archives par le Parti, les habitants de l’Océania en viennent à croire que le passé n’existe pas en soi. En effet, le passé est sans cesse modifié, il ne semble donc n’être plus qu’une histoire que l’on se raconte à soi même. Il n’est plus qu’un souvenir dans les esprits humains. Ainsi, si Winston est le seul à se souvenir que l’Océania a été en guerre contre l’Eurasia et non contre l’Estasia, c’est lui qui est fou et non les autres. Pourtant, le fait est réel, mais seulement dans la mémoire de Winston.
« Jour par jour, et presque minute par minute, le passé était mis à jour ». Cette constatation montre l’angoisse de Winston qui fait face au paradoxe d’un passé qui n’est plus figé. « L’Histoire tout entière était un palimpseste gratté et réécrit aussi souvent que c’était nécessaire ».
Chaque individu doit « oublier qu’il oublie ». En effet, la réalité est remodelée selon les besoins du Parti, mais il faut aussi que chacun ait la conviction qu’il s’agisse de la vérité. Ce n’est donc pas seulement la mémoire collective qui est modelée par le Parti, mais aussi la mémoire individuelle de chaque personnage. La falsification d’une mémoire collective entraîne donc une destruction de la mémoire individuelle par la Police de la Pensée.
Winston, après avoir modifié un fait historique, doit jeter ses propres notes dans le trou de mémoire, « d’un geste autant que possible inconscient ». Il doit donc se dissocier de ses actes. Il efface toute trace de son action : « Il chiffonnait le message et les notes qu’il avait lui-même faites et les jetait dans le trou de mémoire ». Ainsi, Winston doit lui-même oublier qu’il a modifié l’histoire.
Cela souligne que le processus de falsification de la mémoire collective provoque une tension chez le personnage, qui est déchiré entre la mémoire collective et sa mémoire individuelle. Pour résoudre ce paradoxe, le Parti force ses employés à oublier leurs actes. Ainsi, Winston est obligé « d’oublier qu’il a oublié ».
Si le Parti agit ainsi, c’est pour détruire une « mémoire des possibles ». En effet, le passé est un « principe d’action pour le présent », comme le dit Todorov. Dès lors, en détruisant la mémoire, on s’assure de la passivité de l’individu. « Qui détient le passé détient l’avenir » souligne ainsi l’un des slogans du Parti.
Winston explique que « lorsqu’un document devait être détruit (…), on soulevait le clapet du plus proche trou de mémoire, l’action était automatique ». L’oubli est donc matérialisé par un processus « automatique » : les archives sont jetées dans une fournaise qui représente l’abîme de l’oubli. Le caractère mécanique de ce processus souligne qu’au lieu d’être un processus individuel, l’oubli devient le produit d’une machine. Il s’agit bien là d’une sorte « d’oubli collectif » au travers duquel les individus sont aliénés, c’est-à-dire dépossédés de leur propre mémoire.
3) Libération grâce à la mémoire individuelle
Winston résiste contre cette uniformisation des mémoires en écrivant dans son journal ses souvenirs. De cette manière, il tente de conserver sa mémoire individuelle. Ainsi, Kundera souligne dans L’Art du roman que « la lutte de l’homme contre le pouvoir est la lutte de la mémoire contre l’oubli ».
La mémoire individuelle permet ici de se rappeler d’un passé qui permettra de formuler une critique du totalitarisme et d’élaborer d’un monde meilleur. C’est donc grâce à la réappropriation d’une mémoire qu’on peut construire un avenir.
Comment utiliser cette référence en dissertation ?
Comprendre le raisonnement
La mémoire collective peut être manipulée à grande échelle, ce qui réduit le peuple à l’état agentique et permet au régime autoritaire d’asseoir son pouvoir.
Plus encore, c’est en allant jusqu’à annihiler les mémoires individuelles que Big Brother parvient à avoir un contrôle absolu de la pensée des citoyens.
Dès lors, pour retrouver sa liberté, il faut conserver sa mémoire individuelle. Ici, la mémoire devient une arme de résistance nécessaire à la conquête de sa liberté.
En dissertation, il faut que tu insistes sur un de ces trois aspects en fonction de celui qui correspond le mieux au sujet.
Apprendre 5 citations qui t’ont marquées
En dissertation, tu en utiliseras seulement trois, en choisissant celles qui correspondent le mieux au sujet.
Savoir utiliser ces citations dans un seul et même paragraphe
Savoir utiliser la même référence pour différent argument (SANS APPRENDRE UN PARAGRAPHE PAR COEUR).
Arguments pouvant être illustrés par 1984 :
La mémoire est un instrument de manipulation du pouvoir
L’oubli est un danger pour la société et la liberté individuelle
La mémoire permet une conquête de sa liberté individuelle
La mémoire collective peut représenter une menace
En dissertation, toutes les autres phrases du paragraphe doivent être modifiées pour que chaque mot corresponde au sujet en question.
Attention : le mécanisme de mémoire collective est sain et normal pour une société. Ici, dans la société d’Orwell, il s’agit d’une dérive de ce mécanisme. Il est important d’insister sur cette nuance en dissertation : le mécanisme de mémoire collective est nécessaire à toute société, mais il peut être instrumentalisé et devenir dangereux.
À toi de savoir utiliser de manière différente 1984, qui peut être placé en fin de I ou en début de II de nombreuses dissertations, quel que soit le sujet. Il serait dommage de s’en priver !
source : https://major-prepa.com/culture-generale/manipulation-memoire-collective-1984/
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