Dans l’introduction vous devez à la fois introduire le sujet - qui est une question - et un problème (qui oppose 2 réponses) ; le problème n’est pas une question (ce serait répéter le sujet et non pas problématiser) ni une nouvelle question (ce serait courir le risque de changer de sujet) : un problème, c’est l’opposition (une opposition, c’est davantage qu’une simple différence) équilibréede deux réponses (« d’un côté…, d’un autre côté… ») immédiates, crédibles (cultivées et justifiées), mais aporétiques.
Conseils
- Amorçage : S’étonner. La philosophie n'invente pas ses problèmes, elle les dé-couvre : c'est la vie qui est compliquée ; la philosophie discute de ces complications. Amorcer, c'est commencer par la philosophie mondaine pour aller vers la philosophie scolaire. Il ne faut donc surtout pas commencer par des références scolaires (une citation, une définition philosophique, une thèse de philosophe) mais il faut commencer par du simple = de la philosophie mondaine = faits exemplaires interprétés (sans tomber dans le journalisme d'actualités), références cultivées (littérature, mythologie).
- Problématisation : Si possible en se raccrochant encore à l'amorçage, proposer une formulation explicite du problème comme une opposition équilibrée entre deux réponses à la question posée par le sujet. C'est là qu'il faut écrire explicitement le sujet, sans le transformer.
- « Reformuler » avec précaution (pour ne pas sortir du sujet, et transformer le développement en un catalogue de récitations ou de petits exposés) la question du sujet pour multiplier les angles de compréhension ; en particulier, vous pouvez reformuler avec des alternatives (soit… soit…), ou « traduire » les termes du sujet qu’il faudra discuter. Vous pouvez reformuler en conceptualisant le problème (à l'aide en particulier des "repères") ; ou en évoquant quelques conséquences philosophiques de la question : cela revient à dégager un enjeu (l'intérêt du problème philosophique). Cet enjeu peut atteindre tous les champs de la philosophie : la métaphysique, la morale, la politique, l'esthétique, l'épistémologie, l'anthropologie...
Mise en garde n°1.
Après avoir problématisé mais pas avant, il sera toujours possible de multiplier les questions ; pour « cerner » le problème.
Mise en garde n°2.
Etre capable de distinguer entre une question et un problème, c’est s’éviter de confondre entre une réponse (à une question) et une solution (à un problème). Du même coup, on peut mieux comprendre à quoi sert une conclusion : comme le développement a construit (par la discussion) la solution du problème (posé, exposé, proposé) dans l’introduction, la conclusion doit montrer comment cette solution (qui, d’une façon ou d’une autre, s'appuie sur la définition du « terme essentiel ») permet de donner une réponse à la question du sujet.
La conclusion doit d’abord conclure, c’est-à-dire finir votre réflexion. Attention donc à la fameuse « ouverture ». Vous pouvez évoquer la fécondité de votre réponse en montrant que les enjeux du sujet (l'intérêt philosophique du problème) ont été atteints.
Mise en garde n°3.
C’est dans l’introduction que l’on peut « brutalement » opposer deux « positions » ou thèses (plutôt hypothèses) : par une contradiction externe.
Ce qui évitera de le faire dans le développement — dans le plan « pseudo-dialectique » en « oui »/« non » : dans le "vrai" plan dialectique, la progression ne se fait pas par contradiction externe, mais par contradiction interne (ainsi dans la "dialectique du maître et du valet, c'est la contradiction interne à la domination qui amène son renversement).
Ce n’est pas la même chose de commencer par une opposition dogmatique et de continuer dogmatiquement : dans le premier cas, vous commencer réellement la discussion ; dans le second cas, vous faites semblant de discuter.
Exemples
Une introduction n’a pas besoin d’être longue. Du moment que vous proposez une opposition qui lance la discussion à venir, l’essentiel sera accompli.
Puis-je savoir si j’aime ?
Si l’on accepte à la suite de Ferdinand Alquié de distinguer une conscience affective, expression du Moi et de la passion, et une conscience intellectuelle, expression de l’universel et de la Raison, alors il n’y a plus qu’un pas pour refuser d’identifier connaissance et conscience, et pour accorder que les sentiments ne sont pas forcément synonymes d’inconscience : c’est par la conscience affective que je sais que j’aime ; ce n’est pas là une connaissance intellectuelle mais je le sais parce que je le sens.
D’un autre côté, quel est l’amoureux qui n’a jamais attendu, avant d’oser s’avouer qu’il l’est, que l’autre lui déclare d’abord son amour ? C’est cette attente, que l’on devine potentiellement interminable, qui est le ressort de toute histoire d’amour et, au fond, c’est bien cette ignorance de son propre amour qui nous attire chez l’autre. Mais alors, déclarer son amour n’est-ce pas le meilleur moyen d’y mettre fin et ainsi de se libérer pour de « nouvelles aventures », tel serait le secret de tout Don Juanisme.
Peut-on avoir peur de soi-même ?
On sait que J-P Sartre finit Huis-clos en écrivant que « l’enfer, c’est les autres » ; mais ce qu’il veut montrer n’est pas qu’il faut tenter de fuir autrui mais au contraire que ce n’est que dans la reconnaissance de l’altérité d’autrui que chacun peut assumer la responsabilité de son identité ; autrement dit, autrui c’est toujours un peu moi. Mais alors, ne faut-il pas en déduire que l’enfer, c’est... moi ? Et que celui que je fuis, ce n’est pas l’autre comme une mauvaise foi me le suggère, mais moi-même, moi comme un autre, moi dans la liberté de mon altérité ? Peur de soi, angoisse de sa liberté.
Dans un autre côté, puis-je craindre l’ami, celui à qui je confie mon intimité et à qui je sais demander conseil ? Car l’ami est, suivant la définition qu’en propose Aristote dans l’Ethique à Nicomaque, un « autre soi-même ». Mais il remarque aussitôt que mon meilleur ami, c’est peut-être tout simplement moi. Chacun ne sait-il pas qu’il se parle, s’interroge comme un autre, et que c’est cela réfléchir, méditer. Il ne semble donc pas que je puisse avoir peur de moi-même ; à moins que la lucidité de la compréhension de soi n’aboutisse à la découverte que je ne suis jamais réellement celui que je me raconte être. Au fond de moi, la connaissance de soi ne risque-t-elle pas de dévoiler sinon un étranger au moins un moi étrange. La peur de soi ne serait-elle pas alors la forme narcissique de la xénophobie ?
[caption id="attachment_773" align="alignleft" width="300"] Gilbert Garcin - L'égoïste - 1998[/caption]
Au nom de quoi reprocher à autrui d'être égoïste ?
Le bon sens humoriste définit l’égoïste comme cet autrui qui ne pense qu’à lui et qui ne pense pas à moi. La condition de réciprocité qui est la condition même de l’altruisme se retourne contre celui qui reproche ; et cela pour une raison fondamentale, c’est que du point de vue de l’autre, l’autre c’est moi. Pour que la critique soit totalement désintéressée, faudrait-il que je m’exclus totalement d’un éventuel bienfait de l’altruisme d’autrui ?
D’un autre côté, si je comprends qu’autrui est un autre moi-même, comme Aristote définit l’ami ou qu’il faut se penser soi-même comme un autre, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Paul Ricoeur, j’en arrive à comprendre que c’est bien toujours de mon point de vue que j’en arrive à justifier un reproche d’égoïsme, car l’égoïsme bien compris n’est jamais qu’un altruisme différé, exactement comme mon intérêt bien compris converge toujours à long terme vers l’intérêt général.
(Ce qu’il est légitime de rapprocher à l’égoïste c’est de préférer l’immédiat : qu’il prenne son temps, et il se retrouvera d’autant plus accompli qu’il aura su faire le détour par l’autre).
Peut-on dire que la perception est une connaissance ?
D’un côté, la perception est source d’illusion et non pas de connaissance ; elle n’est au mieux qu’un élément qui doit être en quelque sorte « encadré » par les concepts de l’entendement, si l’on adopte la théorie kantienne de la connaissance comme synthèse d’une intuition de la sensibilité et d’un concept de l’entendement.
D’un autre côté, la perception n’est-elle pas phénoménologiquement la première connaissance, celle qui, avant toute élaboration conceptuelle, m’apprend l’évidence de ma présence au monde ? La perception n’est-elle pas la naissance de la connaissance ?
Y a-t-il une vertu de l’oubli ?
Si le Surhomme essaie d’aller Par delà le Bien et le Mal, c’est parce qu’en deçà les hommes du ressentiment ont inventé une morale pour permettre aux inactifs sans volonté de puissance mais majoritaires de légitimer leur domination sur l’aristocratie véritable des individus actifs. Comment atteindre cet au-delà se demande F. Nietzsche tout au long de son oeuvre ? En vivant dans l’instant ou en affirmant le Retour éternel, afin de couper toute possibilité au passé de revenir et d’interdire au futur d’anticiper sa présence. Il y a alors une vertu de l’oubli pour celui qui pleinement engagé dans ce qu’il accomplit ne prend même pas le temps de regarder derrière soi, ne voulant pas s’encombrer de souvenirs qui alourdirait son élan.
D’un autre côté, n’y a-t-il pas, comme l’affirme Hannah Arendt dans La condition de l’homme moderne, quelque grandeur, quelque élévation ou rédemption à sauver la fragilité de l’interaction « politique » par la promesse et le pardon ? Or, le pardon ne peut pas être l’oubli et, tout au contraire, en est à l’opposé : c’est parce que je n’oublie pas que je dois pardonner. Il n’y aurait alors aucune vertu de l’oubli et au contraire une vertu de la mémoire.
Le présent n’est-il qu’un futur passé ?
« Les voyants voient dans le futur ce qui sera présent et considèrent donc comme présent ce qu’ils avaient prévu. Mais pouvons-nous interpréter le temps comme une simple suite de conjugaisons où le présent n’est qu’un futur passé ? Peut-on ne voir dans le présent qu’une simple représentation du futur ?
Si le présent n’est qu’un futur passé, il est toujours la réalisation, la représentation d’un projet. Mais comment expliquer alors que nous puissions être surpris ou étonnés par ce qui nous arrive ? Le présent serait donc une rupture par rapport au futur, par rapport à ce qui avait été projeté. Cependant cette rupture présente le risque d’être perpétuelle puisque nous sommes perpétuellement dans le présent. N’y a-t-il pas là le risque de rompre avec la réalité et la responsabilité que présente le futur ? Si le présent est la rupture d’un contrat avec ce qui avait été projeté, ne doit-il pas être également et paradoxalement la signature d’un contrat, d’un défi avec le futur ? »
Peut-on triompher de la mort ?
Quand Hegel écrit que la mort est « le maître absolu », ne faut-il pas en déduire que toutes les tentatives pour échapper à la mort ne seront que des illusions acceptables jusqu’au moment de... mourir. C’est la mort qui triomphera, finalement, à la fin, de mes diversions et divertissements, comme tout le monde, comme « on » meurt.
Néanmoins, n’est-il pas possible, sinon de vaincre la mort, au moins de triompher d’elle en faisant de ma vie l’ensemble des actes qui ne luttent pas contre la mort mais qui ne s’en préoccupent pas ; donner un sens à chacune de mes actions, n’est-ce pas agir comme si j’étais un immortel ? Mais dans ce cas, mon engagement n’est-il qu’une ruse du divertissement, autrement dit une banale fuite pour ne pas penser la mort, ou un réel détachement devant ce qui ne menace que mon être charnel (zoé) mais qui, bien compris, est impuissante à atteindre ce qu’il peut y avoir de spirituel dans ma vie (bios) ? N’est-ce pas par l’esprit que je peux triompher de la mort ?
La pluralité des cultures est-elle un obstacle à l’unité du genre humain ?
A quelles conditions y a-t-il un dialogue véritable ? A condition qu’aucun des participants ne tombe ni dans le danger du dogmatisme intolérant qui ne discute que pour imposer son idée fixe ni dans le danger plus subtil du pseudo-tolérant qui ne défend un scepticisme relativiste que pour éviter que l’autre ne cherche à le faire changer d’avis. Dans ces deux cas, la pluralité des « discuteurs » signifie l’impossibilité du dialogue et son remplacement par la juxtaposition de deux monologues, sans échange parce qu’aucun des deux n’est prêt à risquer le jeu des différences, n’est prêt à changer.
N’en va-t-il pas de même dans les échanges entre cultures ? Et alors c’est seulement à condition que chaque culture respecte la différence culturelle de l’autre qu’il peut y avoir ce dialogue entre les cultures qui permettra à chacune de découvrir que le terrain d’entente n’est rien d’autre que cette Humanité en train de se réaliser par le dialogue fructueux des échanges et des différences ? (Leibniz définissait l’harmonie comme l’unité dans la diversité et selon lui cette Harmonie était préétablie : ne peut-on penser la pluralité des cultures comme la promesse, pour l’Humanité, d’une harmonie non pas préétablie mais à venir, à réaliser dans l’Histoire ?)
Pourtant, pour échanger des différences, ne faut-il pas que chaque culture continue de cultiver sa différence, sa référence ; mais alors ne serait-il pas plus tolérant ou respectueux d’admettre comme O. Spengler qu’il n’y a pas une humanité mais des humanités ? Penser une unité du genre humain, n’est-ce pas, même de bonne foi, chercher à imposer la vision particulière d’une culture particulière, la culture européenne qui, dés l’Antiquité grecque comme nous l’apprend J. De Romilly dans Pourquoi la Grèce ?, s’est caractérisée par la poursuite de l’Universel ? Dans ce cas, il serait heureux que la pluralité des culture soit un obstacle à l’unité du genre humain.
source : http://www.philosisyphe.net/faq-foires-aux-questions/faq-methodes/
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