Quelle ne fut pas ma surprise de réaliser que je ne pensais pas ce que je disais ! Pire, je disais ce que je ne pensais pas. Ceci me semble plus évident depuis que j'écris. Je dois relire et corriger vingt fois pour me reconnaître dans mon texte. Si je parle comme j'écris, on doit me percevoir très différemment de l'image que je me fais de moi-même.
Voici un exercice simple qui examine en détail tout ce qu'on peut faire dire à cette phrase anodine qui exprime une opinion entendue parfois ici et là.
« La valeur d'une civilisation se juge au développement de sa technique. »
Cette petite phrase toute naïve contient pourtant en elle-même huit opinions supplémentaires. Et il en est ainsi pour chaque phrase de tout discours.
Examinons-la.
Présupposés
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Les civilisations ont une valeur plus ou moins grande.
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On peut juger de la valeur d'une civilisation.
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La technique peut être plus ou moins développée dépendamment des civilisations.
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On peut juger du développement d'une civilisation.
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a. Une civilisation peut être jugée par le développement de sa technique.
b. Le seul critère de la valeur d'une civilisation, c'est le développement de sa technique.
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Le développement des techniques est un indice de la valeur d'une civilisation.
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Une civilisation peut se développer.
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Les techniques ont différentes valeurs.
Mais quelles sont donc les questions auxquelles cette opinion était censée répondre ?
Questions
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Qu'est-ce qui fait la valeur d'une civilisation ?
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Le développement technique est-il le seul critère de la valeur d'une civilisation ?
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Doit-on juger ?
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Est-ce que le développement technique ajoute de la valeur à une civilisation ?
Et dans quelle mesure ? -
Les civilisations sont-elles inégales en valeur ?
Socrate ne s'arrêterait pas là. Il ajouterait certainement les questions suivantes, plus fondamentales encore :
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Qu'est-ce qu'une civilisation ?
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Qu'est-ce que le jugement ?
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Qu'est-ce que la valeur en soi ?
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À quoi reconnaît-on le développement ?
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Quelle est l'utilité de la technique ?
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Quelle technique ?
Développer la puissance...
La philosophie nous invite à penser par soi-même, c'est-à-dire sortir des opinions toutes faites, les déconstruire pour les examiner en profondeur. On peut bien sûr continuer à opiner favorablement ou non pour cette idée affirmant que « la valeur d'une civilisation se juge au développement de sa technique », mais vous distinguerez le philosophe de celui qui répète pour la commodité de se convaincre lui-même à ce que le premier est prêt à s'étonner de nouveau en examinant chacune de ces questions, chaque fois que cette affirmation est formulée, et à la nuancer selon le contexte où elle apparaîtra. Le second se contentera d'opinions toutes faites, commodes et attrayantes. Mais, comme le marathonien voulant augmenter ses capacités physiques ne compte pas ses pas à l'entraînement, le penseur développera la puissance de sa propre pensée en s'exerçant sans relâche au questionnement.
... et la force de notre pensée
À la lumière de cet exercice appliqué à mes opinions, je me rends compte que celles-ci relèvent souvent du lieu commun éculé que j'entretiens par démagogie, pour ne pas déplaire. C'est tellement plus facile de dire comme tout le monde, d'être gentil. Amélie Nothomb, dans son roman Hygiène de l'assassin, faisait dire à son personnage principal : « Dans l'immense majorité des cas, quand les humains sont gentils, c'est pour qu'on leur fiche la paix. » Ainsi, je porte en moi de nombreuses personnalités qui vont parfois se contredire dépendamment des mes fréquentations. Ne pas déplaire, être aimé, n'est-ce pas un objectif noble même s'il me porte parfois à trahir le fond de ma pensée ? Mais qui suis-je ? Suis-je cet individu incohérent fabriqué par les autres à force de compromis ou puis-je me construire une personnalité intègre au risque de déplaire ? Quelle est la force de ma propre pensée ?
source :
http://www.philo5.com/Penser%20par%20soi-meme/Degager%20les%20presupposes%20de%20mes%20opinions.htm
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