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"Peut-on vouloir la justice au mépris du droit ?"

Publié le 21 Janvier 2019, 09:53am

Catégories : #Philo (textes - corrigés)

"Peut-on vouloir la justice au mépris du droit ?"

Corrigé

Définir les termes du sujet

LE DROIT

Ce terme vient du latin directus qui signifie « en ligne droite ». Cette image possède une valeur morale en tant qu’elle s’oppose à tout ce qui est courbe ou tordu. Le droit a pour nous une connotation essentiellement juridique. Il existe à travers un corps de lois écrites au nom desquelles la justice est rendue.

 

LA JUSTICE
Ce mot est lié à celui de droit. Justitia renvoie à jus qui a donné juridique. La justice est ce que le droit cherche à faire appliquer lorsqu’il faut juger une affaire en attribuant à chacun la part qui lui revient. Mais la justice est aussi une vertu, une qualité de l’âme qui se manifeste dans une conduite. Dans ce cas, elle est liée à l’idée d’une vie bonne et réussie. Nous voyons également que les hommes sont sensibles à l’injustice même quand ils ne connaissent pas le droit.

PEUT-ON
Le verbe pouvoir a toujours deux sens : ce qui est possible et ce qui est légitime. C’est ce dernier sens qui est en jeu ici.

VOULOIR
Vouloir la justice signifie désirer sa réalisation.

MÉPRIS
Mépriser le droit signifie l’ignorer, ne pas en tenir compte alors qu’on le connaît. C’est une violation délibérée plus que le résultat d’une ignorance.

Dégager la problématique et construire un plan
LA PROBLÉMATIQUE
La formulation de la question sous-entend que le droit puisse ne pas être juste. Le transgresser ne serait pas blâmable mais, au contraire, une façon de réaliser la justice. Comment cela est-il envisageable puisque la fonction du droit est précisément de permettre de distinguer le juste de l’injuste ? En quoi pourrait consister cette insuffisance du droit ? Est-il possible qu’il soit imparfait ? Ces difficultés demandent que soient éclaircis en priorité les termes du sujet.

LE PLAN
Nous définirons d’abord le droit à travers les thèmes de la loi juridique et du droit positif.
Ceci permettra d’interroger ensuite le sens de la volonté de justice.
Puis nous conclurons en examinant le caractère nécessairement problématique de la relation entre justice et droit et en proposant une réponse.

 

Introduction


Le droit occupe une fonction centrale dans nos sociétés. Il a pour charge de donner des critères clairs et constants, en vertu desquels il est possible de dire si nos actions sont justes ou injustes. Les affaires des hommes sont complexes et parfois conflictuelles. Il importe qu’elles soient encadrées par des lois afin de prévenir les abus ou de fournir un recours contre eux.
Il existe pourtant des doutes sur la justice du droit. Les législateurs et les juges ne peuvent être parfaits. De plus, la rigidité des lois risque de leur faire méconnaître la particularité des cas. C’est pourquoi, il est tentant de penser que vouloir la justice pourrait aller jusqu’au mépris du droit. Nous devons cependant nous demander si ce jugement est fondé. Ne risquons-nous pas de confondre volonté de justice et désir de vengeance ?

1. Le droit positif

A. La loi juridique

L’idée du droit est inséparable de celle de loi. L’adjectif directus renvoie à l’image de la ligne droite, symbole de droiture et de rigueur. Cette valeur morale est importante mais il est dangereux de compter sur la seule droiture d’un homme pour dire ce qui est juste. Les passions, les intérêts, les relations d’amitié peuvent corrompre un juge et fausser sa sentence.

Il faut donc qu’un corps de règles écrites serve de référence stable. La fonction de la loi est d’abord d’encadrerl’ensemble des situations qui composent la vie des hommes. Elles tracent des frontières entre le permis et le défendu.

Pour les Romains, auxquels nous devons une partie de notre droit, la loi est perçue comme une norme et ce mot désigne d’abord l’équerre. Ce symbole indique bien que le droit met en forme la matière mobile et conflictuelle des intérêts humains. Il normalise la société en imposant des limites nettes et strictes aux désirs des hommes et en punissant leur franchissement.

B. La réalisation de la justice

Jus vient du verbe jubere qui signifie ordonner. Les lois sont des dispositions qui imposent des façons de se comporter. C’est pourquoi nous parlons de droit positif. Les hommes ne sont pas naturellement portés à respecter entre eux des principes d’égalité. Leurs désirs de pouvoir, de richesse ou d’honneur les rendent souvent rivaux : la sympathie ou l’antipathie peuvent fausser un jugement.

Face à cela, le droitréalise la justice en lui donnant une triple dimension. Un corps de lois écrites auxquelles se référer, la garantie d’un arbitre impartial, et l’assurance que le verdict ne sera prononcé qu’après que chacun a pu exposer ses arguments. Le caractère codifié des formules est encore une façon de contraindre les passions à se maîtriser. Le droit est donc une manifestation de la raison. Ses procédures sont parfois jugées pesantes mais elles ont pour fonction d’empêcher qu’un verdict soit rendu sous le coup de l’émotion. Il est donc indispensable à l’existence de la justice. Au nom de quoi pourrions-nous être autorisés à le mépriser ? Ces reproches risquent fort d’être le fruit d’une pensée hâtive qui rêve d’une justice qui n’existe pas. Nier le droit, c’est tomber dans l’illégalité, préférer son intérêt à celui de la communauté. Vouloir la justice c’est vouloir l’application du droit.

[Transition]  Les rapports de la justice et du droit so nt-ils entièrement définis par le droit positif ? L’idée de justice va se révéler être plus complexe.

2. La volonté de justice

A. Les situations injustes

Comment découvrons-nous l’idée de justice ? L’expérience montre que nous y sommes sensibilisés par la découverte de son contraire. La perception de l’injustice est celle d’une inégalité criante. Toute inégalité n’est pas injuste. Certaines obéissent à une règle de proportionnalité. Nous parlons de rémunération au mérite et nous ne sommes pas choqués que certains aient un salaire plus élevé compte tenu du nombre d’heures qu’ils fournissent. L’injustice est donc synonyme de disproportion ou d’une différence que rien ne vient fonder. On parle alors de discrimination. Lorsqu’un emploi est refusé à une personne sur la seule base de son accent ou de son nom de famille, nous percevons nettement l’existence d’une injustice quelles que soient nos connaissances en matière juridique.

Ces situations ont été résumées et éclairées par le philosophe contemporain Paul Ricœur, qui distingue trois cas fondamentaux. Les partages inégaux que nous jugeons inacceptables, les punitions ou les récompenses excessives et les promesses non tenues. Dans le premier cas, l’injustice concerne un mode de distribution ou de répartition ; dans le deuxième, la rétribution et, dans le troisième, elle surgit avec la trahison de la confiance accordée par autrui car une société ne peut exister sans un minimum de confiance partagée. Si les paroles ne valent rien, le lien social est ruiné.

B. La plainte de la conscience

Ces réflexions permettent de donner sens à l’idée d’une volonté de justice. Le sentiment d’injustice est une donnée importante de l’expérience humaine. Il s’exprime dans des textes très anciens et appartenant à des contextes culturels différents. Les Travaux et les Jours d’Hésiode, au viie siècle av. J.-C., expriment la plainte de l’homme victime des rois corrompus, « mangeurs de présents », qui rendent des jugements iniques. Dans la Bible, des prophètes juifs, comme Amos, clament leur colère en voyant les riches mépriser les pauvres et les puissants écraser les faibles.

La plainte de la conscience blessée par le spectacle de l’injustice a une double valeur. Elle exprime une souffrance et elle accuse en son nom. On comprend alors que vouloir la justice ait un sens. Les règles existantes sont accusées de légaliser une situation inadmissible. La volonté de justice est donc une critique violente du pouvoir qui crée des lois afin de faire croire qu’il est juste.

[Transition] Vouloir la justice est une attitude fondée mais comment être sûr que nous n’allons pas commettre l’injustice ?

3. Volonté légitime et illégitime

A. Le risque de la vengeance

Ressentir l’injustice et y réagir en violant le droit peut conduire à une négation globale de la justice. Kleist l’illustre de façon romanesque dans Michel Kohlhaas, l’histoire d’un petit propriétaire qui met l’Allemagne à feu et à sang pour se venger du dommage qu’un seigneur lui a causé en maltraitant ses chevaux. La violence de son sentiment le conduit à causer des injustices bien plus grandes que celle qu’il a subie. La victime devient criminelle en cédant au désir de vengeance. Elle bafoue le droit et la morale en se faisant justice. Nul ne doit être juge et partie car l’évaluation du tort ne saurait être objective ni rencontrer l’accord de l’autre camp. C’est pourquoi on dit que la violence appelle la violence.

Cependant si M. Kohlhaas n’aurait pas dû agir ainsi, il reste qu’il devint violent car le droit féodal ne voulut pas reconnaître le bien-fondé de sa plainte. Sa prise en compte aurait permis une amélioration du droit. Alain déclare en ce sens que « la justice est le doute sur le droit qui sauve le droit ». Il faut que les législateurs et les gouvernants s’interrogent sur l’idée de la justice qu’ils définissent par leurs lois.

En dépit de ses abus possibles, la force du sentiment d’injustice vient donc du fait qu’il conduit à questionner la justice de la loi établie. Les lois positives sont des créations humaines et la volonté qui les crée peut être mauvaise. Ceux qui résistèrent aux lois imposées par les nazis combattirent un droit inique au nom d’une volonté de justice. Leur mépris du droit n’était pas le fait d’un désir égoïste mais, au contraire, la défense, au mépris de la mort, de l’intérêt de l’humanité.

B. Le caractère perfectible de la loi juridique

Ce dernier point fait ressortir la figure du législateur, que les Romains comparent à un architecte traçant les plans en fonction desquels la communauté devra vivre. Le législateur réfléchit en essayant de prévoir toutes les situations susceptibles de se produire. C’est ici que le droit trouve sa limite.

Les affaires humaines sont animées en permanence par des intérêts, qui poussent les hommes à s’affronter, ou par des inventions qui produisent des situations nouvelles. Or, il existe nécessairement un écart entre la généralité des lois et la particularité des cas sur lesquels elles sont appelées à juger. Le rôle du juge est de combler cette distance en sachant moduler les principes sans les rompre. Ceci nous montre que la justice est liée à l’idée d’ajustement. La loi doit être écrite pour éviter l’arbitraire mais les textes sont généraux, ils ne peuvent toujours saisir la complexité du réel dans tous ses détails, et chaque cas est unique.

Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote réfléchit à ce problème. Que faire lorsque la loi est muette ? Comment pourrait-elle dire ce qui est juste puisque le cas est inédit ? Il s’agit de faire preuve d’équité, cette vertu par laquelle le juge corrige les imperfections de la justice légale mais sans la détruire. Le travail est délicat car il s’agit de « se faire l’interprète de ce qu’eût dit le législateur lui-même s’il avait été présent à ce moment, et de ce qu’il aurait porté dans sa loi s’il avait connu le cas en question ».

Aristote en déduit l’existence de plusieurs formes de justice. Le juste absolu, qui serait l’ajustement toujours parfait des principes et du cas, la justice légale, qui règle les situations les plus fréquentes, et l’équitable, qui est supérieur au droit positif dans la mesure où ce dernier risque d’être injuste du fait de la généralité de ses lois. Nous devons donc travailler à avoir les meilleures lois possibles tout en sachant que la justice rendue ne sera pas parfaite. La volonté de justice trouve dans le progrès du droit le moyen de se réaliser.

Conclusion

Nous nous sommes efforcés de montrer pourquoi le droit et la volonté de justice ont des relations problématiques. Les lois sont indispensables mais cette nécessité ne les rend pas parfaites.

Mépriser le droit positif au nom de la justice n’est légitime que dans des situations limites, lorsque les lois sont violemment discriminatoires. Un droit de résistance est alors fondé.

Dans les autres cas, cette volonté doit prendre la forme d’une protestation qui vise à améliorer le droit. C’est la force de la critique.

source : https://www.annabac.com/annales-bac/peut-vouloir-la-justice-au-mepris-du-droit

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