La responsabilité de la minorité prolongée apparaît partagée : la majorité des hommes restent volontiers (le texte allemand dit même : volontairement) mineurs leur vie durant tandis que les tuteurs flattent leur paresse et cultivent leur lâcheté. Cependant, ces derniers pourraient bien être les seuls responsables de la minorité prolongée. Il faut alors penser à tous les tuteurs : parents, éducateurs… qui se sont chargés d’élever les mineurs avant que la nature ne les affranchisse. Ils n’ont pas ménagé le passage de la minorité intellectuelle et morale à la majorité rationnelle. A leur décharge cependant, nous pouvons considérer qu’ils ont eux aussi été enfants avant que d’être hommes. (Descartes) ce qui repose le problème de la responsabilité ; à qui l’attribuer ? Faudrait-il reconnaître, contre ce qui a été dit que la nature est cause de cette minorité du plus grand nombre ? Ou que la responsabilité est collective, culturelle…ce qui veut dire diluée. Nos sociétés, voire notre culture enfanteraient des mineurs à vie.
La plus grande difficulté que laisse subsister ce texte semble bien être le rapport nature/histoire. Ce dont dépend la thèse même de l’auteur qui repose sur le principe que la nature ne nous détermine pas plus à devenir majeur qu’à rester mineurs : ce qui justifie la possibilité pour tous de devenir majeurs. Kant s’oppose en creux à une typologie naturelle : les uns ne sont pas nés pour dominer, d’autres pour obéir, d’autres encore pour devenir autonomes. Il affirme que chaque individu peut devenir majeur. Chacun peut conduire ses pensées et se conduire de manière rationnelle et autonome. Cependant, l’existence d’un désir de domination est patente chez tous : les tuteurs satisfont réellement ce désir tandis que les mineurs ont l’illusion de dominer, par l’argent essentiellement. Le désir est donc présent chez tous : il se combine chez le mineur à une sorte de désir de soumission tant celle-ci est confortable. La minorité n’est cependant désirée qu’au regard de sa facilité. Adler a essayé de montrer qu’un tel désir de domination est inévitable puisqu’il résulte d’une situation naturelle initiale inévitable elle-même . L’immaturité biologique du jeune enfant qui le place sous l’autorité parentale, le laisse sous la dépendance totale de ses parents, en état d’infériorité. D’où chez tout homme, un sentiment d’infériorité et le besoin de compenser cette infériorité, ce qu’il nomme volonté de puissance universelle. Le désir de puissance est une réaction à une situation initiale d’infériorité et de dépendance. En ce sens il ne serait pas naturel au sens d’inné, de donné, de désirer dominer mais réactionnel. Cependant, la situation initiale et familiale étant elle-même naturelle, on peut dire qu’indirectement la nature induit un désir de domination. La volonté de puissance serait alors indirectement naturelle, c’est-à-dire non historique. Elle serait à l’origine des rapports : dominants/dominés alors que Kant fait relever ces rapports d’autre chose que la nature et les présente comme dépassables. Le sont-ils vraiment ?
Le majeur étant d’autre part celui qui refuse d’être asservi comme il refuse d’asservir à son tour, on peut se demander si celui-ci existe bien tant ce désir de domination, cette soif de pouvoir semble lié à une situation initiale à laquelle nul n’échappe.
On peut répondre à cela que la dépendance de l’enfant est aussi culturelle et historique que naturelle ; elle est en effet très variable selon les sociétés. Une société qui prolonge cet état installe durablement la majorité des hommes dans la minorité qui se prolonge par habitude. D’autre part, l’infériorité objective, organique est moins importante dans les comportements humains que le sentiment subjectif et psychologique d’infériorité. Ainsi le texte de Kant marque sa valeur au sens où l’obstacle majeur de l’accès à la majorité est bien psychologique. Ce qui explique la perduration de ce sentiment révélé par la peur de ne pas être à la hauteur, de chuter, alors même que la situation objective a changé, que les hommes ont atteint la maturité biologique. En résumé, il est juste de penser que le désir de domination réel des tuteurs et des mineurs, le sentiment non avoué d’infériorité de ces derniers ont une origine moins naturelle que culturelle, moins organique que psychologique. Du coup, on peut espérer en débarrasser les individus, ce à quoi ce texte participe en révélant les motifs cachés des uns et des autres, les causes non naturelles du fait de la minorité prolongée, en attirant l’attention sur le fait que l’accès à la majorité est possible pour tous. Pour devenir libre et autonome, il faut en effet croire d’abord qu’on peut l’être. Pour marcher par soi-même, il faut croire aussi qu’on le peut. Ce texte se révèle ainsi n’être pas pessimiste mais démystificateur : il s’agit en effet de démystifier le discours de tuteurs auprès des mineurs tout autant que le discours des mineurs à leur propre adresse. A-t-il cependant une chance d’être entendu par ceux qui en aurait le plus besoin, à savoir les mineurs ?
Conclusion :
Le problème posé était le suivant : la minorité prolongée relève-t-elle d’une nature ou d’une histoire, est-elle une fatalité ou bien peut-on tous la dépasser et devenir majeurs ? Ce texte démystificateur, sondant les causes de la minorité prolongée affirme que tous peuvent devenir autonomes, qu’il n’y a pas de délégation possible de la pensée. Ce qui nous engage à la vigilance à l’égard de nous-mêmes. Cependant, l’existence même du majeur nous étant apparue comme problématique voire douteuse, ne faut-il pas simplement retenir de ce texte son aspect programmatique ? Il s’agirait en effet de considérer que l’accès à la majorité n’est jamais acquis mais quelque chose que nous devons vouloir sans cesse, attentif au désir quasi naturel de dominer l’autre.
source : http://homepages.vub.ac.be/~clvidal/philosophons/corriges/explications/kant2.htm
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