Dans ce tableau, Van Gogh met en scène l'évangile de Luc 10, 30-37 qui montre la bonté du voyageur attentif aux besoins de son prochain : un homme souffrant trouvé sur le bord de la route
A l'Evangile de la souffrance appartient aussi — et d'une manière organique — la parabole du bon Samaritain. Dans cette parabole, le Christ a voulu répondre à la question: « Qui est mon prochain? »(90). En effet, des trois passants sur la route de Jérusalem à Jéricho, au bord de laquelle un homme dévalisé et blessé par des brigands gisait à terre à moitié mort, c'est précisément le Samaritain qui se montra en vérité être le «prochain » de ce malheureux: le « prochain » veut dire également celui qui a accompli le commandement de l'amour du prochain. Deux autres voyageurs parcoururent la même route; l'un était prêtre et l'autre lévite; mais chacun d'eux, « le vit et passa outre ». Par contre, le Samaritain « le vit et fut pris de pitié. I1 s'approcha, banda ses plaies », puis « le mena à l'hôtellerie et prit soin de lui »(91). Et, au moment de son départ, il recommanda soigneusement à l'hôtelier l'homme qui souffrait et s'engagea à solder les dépenses nécessaires.
La parabole du bon Samaritain appartient à l'Evangile de la souffrance. Elle indique, en effet, quelle doit être la relation de chacun d'entre nous avec le prochain en état de souffrance. Il nous est interdit de « passer outre », avec indifférence, mais nous devons « nous arrêter » auprès de lui. Le bon Samaritain, c'est toute personne qui s'arrête auprès de la souffrance d'un autre homme, quelle qu'elle soit. S'arrêter ainsi, cela n'est pas faire preuve de curiosité mais de disponibilité. Celle-ci est comme une certaine disposition intérieure du coeur qui s'ouvre et qui est capable d'émotion. Le bon Samaritain est toute personne sensible à la souffrance d'autrui, la personne qui « s'émeut » du malheur de son prochain. Si le Christ, sachant ce qu'il y a dans l'homme, souligne cette capacité émotive, c'est qu'il veut en montrer l'importance dans nos comportements face à la souffrance des autres. Il importe donc de développer en soi cette sensibilité du coeur, qui témoigne de notre compassion pour un être souffrant. Parfois, cette compassion est la seule ou la principale expression possible de notre amour et de notre solidarité avec ceux qui souffrent.
Mais le bon Samaritain de la parabole du Christ ne se contente pas seulement d'émotion et de compassion. Ces mouvements affectifs deviennent pour lui un stimulant qui l'amène à agir concrètement et à porter secours à l'homme blessé. Tout homme qui porte secours à des souffrances, de quelque nature qu'elles soient, est donc un bon Samaritain. Secours efficace, si possible. Ce faisant, il y met tout son coeur, mais il n'épargne pas non plus les moyens d'ordre matériel. On peut même dire qu'il se donne lui-même, qu'il donne son propre « moi » en ouvrant ce « moi » à un autre. Nous touchons ici un des points clés de toute l'anthropologie chrétienne. La personne humaine ne peut « pleinement se reconnaître que par le don désintéressé d'elle-même »(92). Un bon Samaritain, c'est justement l'homme capable d'un tel don de soi.
Jean-Paul II, Lettre Apostolique Savici Doloris, Le sens chrétien de la souffrance humaine, 1983
Que signifie l’énigme du bon samaritain ?
La parabole du Bon Samaritain est une énigme proposée par Jésus en guise de réponse à une question que lui avait posée un spécialiste en morale (un « docteur de la loi »). La question de ce dernier était : « Quel genre d’homme dois-je aider pour aller au paradis ? » Plus exactement, il demandait : « Qui est mon prochain ? » Le terme de « prochain » était un terme théologique désignant l’homme avec lequel tout juif devait se sentir « proche » et avec lequel il fallait être solidaire. Mais la question de ce spécialiste, rapporte le texte évangélique, ne provenait pas d’une authentique recherche de la vérité. Elle n’était qu’un prétexte.
Une question agitait en effet la communauté des spécialistes religieux : le prochain qui faisait l’objet de leur sollicitude devait-il être un compatriote et un coreligionnaire ? ou bien fallait-il entendre par prochain même les non-juifs ? c’est-à-dire les personnes impures et « éloignées » ? En posant sa question, cet homme prouvait qu’il était un spécialiste de la morale, qu’il connaissait et prenait part aux grandes interrogations théologiques de son temps, bref : qu’il était un homme religieux et méritant.
Jésus déplace alors la question et répond par une énigme, obligeant son interlocuteur à trouver lui-même la réponse et s’impliquer à un niveau personnel :
Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands qui, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à demi mort. Un prêtre vint à descendre par ce chemin-là ; il le vit et passa outre. Pareillement un lévite, survenant en ce lieu, le vit et passa outre. Mais un samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de pitié. Il s’approcha, banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l’hôtellerie et prit soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l’hôtelier, en disant : « Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai, moi, à mon retour. » Lequel de ces trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ?
Lc 10:29-37
Au terme de la parabole, la question n’est plus « Qui est mon prochain ? » mais « De qui suis-je proche ? » Le sens général de l’énigme devient clair et paraît n’être plus qu’une question de bon sens : il s’agit de se faire proche de tout homme qui a besoin d’être aidé, non pas seulement nos compatriotes ou nos plus proches relations.
De fait, pour Jésus, la charité fait partie des deux commandements les plus importants de la religion. Mais l’énigme fonctionne aussi à un autre niveau si l’on analyse quels sont les personnages mis en scène :
- Le prêtre et le lévite : s’ils se rendent à Jérusalem, c’est probablement pour participer aux sacrifices du temple. Or, d’après la morale biblique, un prêtre et les lévites (les descendants de Lévi qui servent les prêtres) ne peuvent participer aux sacrifices que s’ils sont en état de pureté rituelle. Toucher du sang ou un cadavre humain les empêcheraient de remplir leur fonction sacrée.
- Le samaritain : s’il se rend à Jérusalem, ce n’est certainement pas pour participer aux sacrifices du temple... Les samaritains, c’est-à-dire les habitants de la région de la Samarie, sont en effet considérés par les juifs comme des métis hérétiques. Ils étaient à ce point haïs des juifs que ceux-ci préférant rallonger leur trajet de plusieurs jours plutôt que de passer par leur région impure.
Avec cet arrière-fond religieux, l’énigme de Jésus devient un pamphlet contre la religion juive, laquelle justifie toutes sortes de situations inhumaines, comme on le voit dans cette histoire. Au légalisme du prêtre et du lévite, les deux représentants de la religion juive, Jésus oppose alors la charité gratuite et surabondante d’un hérétique. Sa parabole fonctionne comme une invitation adressée au spécialiste de la loi pour réfléchir à la logique de sa propre question : a-t-il posé sa question par souci de légalisme et d’érudition ou bien pour de pratiquer la vraie religion ? S’il avait fait preuve de bon sens, il aurait pu répondre lui-même à sa question. La parabole est ainsi une illustration d’une parole de Dieu rapporté par Isaïe le prophète et que Jésus aimait citer : « Ce ne sont pas les sacrifices que je désire, mais la charité. »
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