Platon par Raphaël (détail)
D’abord, faut-il préférer la sécurité à la liberté? Décréter un « état d’urgence » comme une exception dans un Etat de droit, n’est-ce pas la porte ouverte à toutes les fenêtres? Disons tout de suite qu’il n’y a rien d’évident à cela. Tout dépend de ce qu’on attend de la politique et du rôle de l’Etat. Dans son fameux discours – et un peu après – Palpatine promet la « sécurité » à la société, et devant Anakin, il se félicite d’avoir ramené « la paix et la justice » dans la galaxie. Ben Kenobi ne dit pas autre chose quand il regrette la vielle République qui n’est pas très démocratique, puisqu’elle est plus ou moins « éclairée » par un conseil de Jedi. Personne, en fait, ne semble être attaché à la liberté, pas même Platon. Quand on lit laRépublique, on découvre que sa « Cité Idéale » doit plutôt assurer l’ordre et la justice, aussi bien dans l’individu que dans la société. Et chez Platon, la justice ne signifie pas du tout l’égalité, au contraire: il faut que les plus sages (les philosophes) commandent, que les plus courageux (les gardiens) protègent, et que les autres (le peuple) obéissent. Pour Platon qui n’est pas spécialement démocrate, la justice consiste en ce que la partie « inférieure » soit soumise à la partie « supérieure »: et de même que les passions et les désirs doivent être soumises à la raison – il faut être raisonnable – de même, la majorité de la population qui ne cherche qu’à satisfaire ses désirs, doit être soumise à la minorité sage. Donc, pour les leçons de démocratie on repassera! Mais bien sûr, on peut être choqué par ce discours « élitiste » ou « aristocratique ». Bien sûr, on peut répondre que la sécurité, la paix ou même la « justice » (que chacun définit à sa manière ), importent moins que la liberté. Que la liberté est le plus grand bien. Et que tout ce qui la menace ou lui porte atteinte est un mal. Et que rien ne saurait justifier un état d’urgence.
le conseil des Jedi (ou Philosophes-rois »)
Alors, Platon étudie justement le devenir (ou le Destin) d’une « cité démocratique » où « le plus beau de tous les biens », c’est « la liberté »:
« Mais n’est-ce pas le désir insatiable de ce que la démocratie regarde comme son bien suprême qui perd cette dernière? »
Et il rappelle cette mauvaise humeur du peuple démocratique qui rappelle assez l’attitude des « électeurs » qui s’habituent peu à peu à lancer du « tous pourris », bonnets blancs et blancs bonnets:
« Or, vois-tu le résultat de tous ces abus accumulés ? Conçois-tu bien qu’ils rendent l’âme des citoyens tellement ombrageuse qu’à la moindre apparence de contrainte ceux-ci s’indignent et se révoltent? Et ils en viennent à la fin, tu le sais, à ne plus s’inquiéter des lois écrites ou non écrites, afin de n’avoir absolument aucun maître. »
L’ironie de l’histoire, c’est que la démocratie est tellement attachée à la liberté que c’est, par nature, le régime qui conduit nécessairement à la tyrannie. Pour plusieurs raisons: d’abord, parce que
Affiche de mai 68
trop de libertés tue la liberté. Pour Platon, comme pour beaucoup de philosophes d’ailleurs, plus ou moins répressifs, voire policiers, la société tombe dans le désordre et l’anarchie s’il n’y a pas assez de lois pour limiter la liberté. Et bien sûr, pour sortir de ce désordre, on va chercher un tyran – comme dans Star Wars. Mais c’est aussi que le peuple – plutôt considéré comme la « populace » par Platon – est plus sensible à ses désirs qu’à l’intérêt général. La « majorité » n’a pas toujours raison, et il est assez étonnant de lui demander de se prononcer pour savoir quel peut être le meilleur gouvernant. D’autant que le peuple écoutera forcément celui qui lui promettra de satisfaire ses désirs – ou ses peurs. Le tyran est donc celui qui tire le mieux parti de cette cité démocratique, sa chant que le peuple libre aime à se jeter dans les bras du leader charismatique. Pour Platon, au contraire, la cité idéale ne doit pas traiter les citoyens comme des enfants se contentant de satisfaire leurs désirs pour les maintenir asservis, mais au contraire, elle doit « éduquer » ses citoyens, les détourner de leurs désirs pour les rendre vertueux.
Alors, on est d’accord ou pas avec Platon, on est choqué ou pas par ses positions. Ce qui est sûr, c’est que « les temps obscurs » actuels lui donnent raison:
« voyons sous quels traits se présente la tyrannie, car, quant à son origine, il est presque évident qu’elle vient de la démocratie. »
gilles vervisch
source :
http://blog.letudiant.fr/gilles-vervisch/2015/12/07/letat-durgence-de-palpatine-securite-ou-liberte/
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