« Qu'est-ce qu'une bonne loi ? Par bonne loi, je n'entends pas une loi juste, car aucune loi ne peut être injuste. La loi est faite par le pouvoir souverain, et tout ce qui est fait par ce pouvoir est sûr, et approuvé par tout un chacun parmi le peuple. Et ce que tout homme veut, nul ne saurait le dire injuste. Il en est des lois de la communauté politique comme des lois du jeu : ce sur quoi les joueurs se sont mis d'accord ne saurait être une injustice pour aucun d'eux. Une bonne loi est celle qui est à la fois nécessaire au bien du peuple et facile à comprendre. En effet, le rôle des lois, qui ne sont que des règles revêtues d'une autorité, n'est pas d'empêcher toute action volontaire, mais de diriger et de contenir les mouvements des gens, de manière qu'ils ne se nuisent pas à eux-mêmes par l'impétuosité de leurs désirs, leur empressement ou leur aveuglement ; comme on dresse des haies, non pas pour arrêter les voyageurs, mais pour les maintenir sur le chemin. C'est pourquoi une loi qui n'est pas nécessaire, c'est-à-dire qui ne satisfait pas à ce à quoi vise une loi, n'est pas bonne. »
Hobbes
Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d'abord étudié dans son ensemble.
1 Formulez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
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Expliquez :
a) « Il en est des lois de la communauté politique comme des lois du jeu ».
b) « Une bonne loi est celle qui est à la fois nécessaire au bien du peuple et facile à comprendre. »
c) « comme on dresse des haies, non pas pour arrêter les voyageurs, mais pour les maintenir sur le chemin. »
3 Le rôle des lois est-il seulement d'empêcher les hommes de se nuire à eux-mêmes ?
Corrigé
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La thèse que Hobbes soutient dans ce texte est la suivante : une loi civile est une bonne loi lorsque celle-ci contribue à instaurer et maintenir la paix entre les hommes. On jugera donc bonne toute loi nécessaire à l'harmonie des désirs qui, naturellement, portent chaque individu à nuire à son semblable et, finalement, à lui-même.
L'argumentation du texte suit la progression suivante :
I) Dans une première partie, qui correspond au premier paragraphe, l'auteur s'efforce de montrer qu'une loi n'est pas bonne parce qu'elle est juste mais parce qu'elle est nécessaire.
Hobbes commence par écarter l'idée répandue mais fausse d'après laquelle une loi est bonne parce qu'elle est juste. En effet, selon notre auteur une loi ne peut pas être injuste. Pourquoi ?
L'argument est le suivant : puisqu'une loi émane par définition d'un « pouvoir souverain », autrement dit d'un Etat reposant sur la reconnaissance de tous, celle-ci exprime nécessairement « ce que tout homme veut » et ne lèse donc jamais personne. Il serait donc absurde et contradictoire de ne pas vouloir d'une loi qui émane d'une autorité qu'on a bien voulu instituer.
Ce qui apparaît alors, c'est le lien qui unit la loi à la volonté humaine. Toute loi est le produit d'une convention consentie entre les hommes d'une même communauté politique, d'un même « peuple ». Il en va donc de la formation des lois comme de celle des règles d'un jeu : aucune connaissance du bien et du mal ou du juste et de l'injuste n'est nécessaire ; il suffit d'établir par convention des règles sur lesquelles tout le monde s'accorde librement.
Hobbes peut dès lors tirer un premier élément de réponse à sa question initiale. Deux critères permettent de comprendre ce qu'est une bonne loi. Celle-ci est d'abord « nécessaire au bien du peuple », ce qui signifie qu'elle doit constituer un moyen indispensable à l'accomplissement du bien « que tout homme veut » et qu'il s'efforce précisément d'exprimer par la convention de la loi. Deuxièmement, et par voie de conséquence, une bonne loi doit aussi être « facile à comprendre » puisqu'il faut que chacun y reconnaisse l'expression de sa propre volonté et puisse y lire son propre bien.
Mais quel est, au juste, ce « bien du peuple » dont parle Hobbes ? Qu'est-ce donc que « tout homme veut » ?
II) C'est là ce qu'on apprend dans le second mouvement du texte (de la ligne 7 à la fin) où l'auteur explique concrètement en quoi consiste le « rôle » des lois, autrement dit le bien qu'elles visent.
Hobbes s'attaque ici à une seconde idée fausse : contrairement à ce qu'on serait tenté de penser, la loi ne se substitue pas à la volonté individuelle, mais se contente de la borner afin qu'elle n'entre pas en conflit avec celle des autres. La distinction est importante : une loi n'« empêche » pas d'agir, elle rend possible au contraire l'action individuelle en la contenant et la dirigeant.
Hobbes dévoile ici sa conception de l'être humain. Tandis que la première partie du texte insistait sur le caractère consensuel de la volonté des hommes dans la loi, la seconde partie souligne quant à elle le caractère conflictuel et immodéré des « désirs » humains. Abandonné à leurs seuls penchants, les individus entrent immanquablement en conflit les uns avec les autres, et dans le climat de violence qui s'ensuit, « se nuisent » finalement « à eux-mêmes ».
Le « bien de l'homme » que l'individu souvent ignore dans l'« aveuglement » de son désir, est donc la concorde (la paix) qui seule peut garantir à chacun une existence vivable. Face à l'outrance, à l'illimitation, à la force brute (l'« impétuosité ») des désirs, il est vital d'opposer le limite de la loi qui, telle une digue, canalise le flot des désirs et les unit harmonieusement en vue de la paix.
En conclusion, une bonne loi est celle qui constitue un moyen nécessaire pour préserver le bien des hommes unis en communauté, à savoir une vie à l'abri de toute violence.
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a) Hobbes fait ici une comparaison audacieuse et polémique. Tandis que la tradition de la philosophie politique traite avec le plus grand sérieux la question du fondement des lois civiles (depuis Platon), Hobbes n'hésite pas à rapprocher la formation des lois et celle des règles d'un jeu. Que signifie cette comparaison ?
Selon Hobbes, les lois civiles et les règles d'un jeu ont ceci de commun qu'elles sont toutes conventionnelles et artificielles. Conventionnelles d'abord, parce qu'elles reposent sur un accord unanime et libre, voire arbitraire, des individus appelés à vivre ensemble. Artificielles ensuite, parce que les lois civiles, comme celles d'un jeu, ne doivent rien à la nature. Davantage même : si la nature des hommes est l'« impétuosité de leurs désirs », la loi civile est anti naturelle et redresse, corrige, « oriente », ce que la nature a de sauvage, de violent et de réfractaire à la vie communautaire. Précisons cependant que si les lois reposent sur une convention, le bien qu'elles visent, lui n'est l'objet d'aucun choix et s'impose au contraire comme « nécessaire ». Si l'homme doit par lui-même inventer des lois (civiles) qui n'existent pas dans la nature, c'est cependant la nécessité naturelle de vivre qui constitue la finalité des conventions humaines.
b) Hobbes fait état ici des deux caractères essentiels d'une bonne loi. Celle-ci est d'abord « nécessaire au bien du peuple ». Par là, il faut entendre qu'une loi est bonne non pas en vertu d'un idéal de justice qu'elle exprimerait plus ou moins bien (hypothèse écartée au début du texte), mais en tant qu'elle constitue un moyen indispensable au bien des individus rassemblés dans une communauté politique, à savoir : l'harmonie de leurs désirs contradictoires et la conjuration de la violence. Parce qu'une bonne loi est celle en laquelle chacun doit apercevoir son propre bien, il importe qu'elle soit en outre « facile à comprendre ». Car une loi qui ne serait pas comprise, faut d'être claire et intelligible, ne serait pas reconnue et approuvée par tout un chacun, si bien qu'elle perdrait toute légitimité et toute efficacité : à défaut de la comprendre, on la contesterait et la transgresserait.
c) Le second paragraphe du texte propose une comparaison riche d'enseignement sur la nature et la fonction des lois civiles. Hobbes y suggère que les lois sont aux citoyens dans les cités ce que les haies sont aux voyageurs parcourant le monde. Les unes comme les autres remplissent en effet une fonction comparable qui consiste non pas à entraver (« arrêter ») les mouvements des uns et des autres, mais au contraire de les rendre plus aisés en leur indiquant de droits chemins. Une loi ne nuit pas aux libertés individuelles, mais les préserve au contraire en ménageant entre elles un ordre qui garantit leur coexistence pacifique.
Mais l'image dit encore davantage. Car les lois que l'on adopte pour la vie civile et les haies que l'on dresse le long des routes ont en commun d'aménager la nature, de domestiquer et de civiliser ce qui de prime abord est sauvage : d'un côté l'homme et « l'impétuosité de ses désirs », de l'autre le nature environnante et son hostilité pour la vie humaine (que représente symboliquement la forêt, de même étymologie que « sauvage »).
Quant aux hommes, ils ont bien de la ressemblance avec des voyageurs. Leurs itinéraires sont souvent hasardeux (aventureux, « aveugles » pour reprendre un mot du texte) et désaccordés. Chaque individu est occupé à suivre une trajectoire propre qui le distingue de tout autre de sorte que rien dans sa nature ne le dispose à la vie sociale. Son désir impétueux et empressé fait de lui un voyageur qui peine à rester en place.
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Introduction
I. La loi comme protection de l'individu
a) L'homme est un être de désir
Pour prendre conscience du rôle des lois, il suffit d'imaginer ce que serait la vie des hommes si les lois n'existaient pas. À l'évidence, chacun poursuivrait son intérêt sans se soucier de celui des autres. Si tel n'était pas le cas, il ne fait pas de doute que les lois n'auraient aucune raison d'être. L'existence des lois nous renseigne donc sur la nature de l'homme : il est, comme l'a bien vu Hobbes, un être de désir. La seule « loi » que l'individu laissé à lui-même connaisse est donc ce mouvement « impétueux » qui le porte à satisfaire son intérêt propre au mépris de celui des autres.
b) La société n'est pas naturelle à l'homme
Dès lors, l'homme n'est pas naturellement sociable. Seuls existent des individus recherchant chacun pour soi-même ce qu'il juge être son bien. Il est donc inévitable que ces désirs par nature égoïstes et illimités s'entrechoquent, rivalisent et entrent en lutte. Le cours de l'histoire, jalonné de guerres et de luttes de pouvoir, n'en offre-t-il pas d'ailleurs la preuve ?
c) La loi s'oppose aux rivalités naturelles des désirs illimités
La logique naturelle du désir engendre donc nécessairement un climat de guerre de chacun contre chacun qui menace la survie de l'homme. Pour sortir de l'impasse où la nature l'a placé, l'homme n'a alors pas d'autre choix que de rompre avec la logique infernale des rivalités. Face à la violence, chaque individu comprend aisément qu'il est de son intérêt d'adopter des règles communes (lois) qui limitent les désirs et encadrent les libertés en vue d'instaurer une existence sociale vivable.
Les lois ne sont que des « cordons de sécurité » que les individus doivent veiller à ne pas franchir. Le rôle des lois semble donc bien de faire barrage à la violence des désirs égoïstes. Cependant, en traçant des frontières entre les libertés, les lois ne risquent-elles pas d'isoler les individus et fragmenter ainsi l'humanité que l'instauration des sociétés politiques avait tenté de réunir ?
Bref, les lois ainsi comprises semblent davantage résoudre le problème de la violence en séparant les hommes qu'en les reliant. Chacun est alors renvoyé à la sphère privée de sa liberté individuelle et reste, au fond, un être égoïste.
II. La loi comme condition de la socialisation
a) La loi pacifie les rapports humains en apaisant la peur de l'autre
Il serait absurde de considérer que les lois ont pour seul rôle d'empêcher que les hommes se nuisent à eux-mêmes. Car le rôle des lois n'est pas seulement d'éviter la violence, mais d'arracher l'homme aux désirs qui le conduisent à la rivalité en le guérissant de son égoïsme. Une loi a pour principal effet de garantir la sécurité des biens et des personnes. Dès lors, rassuré par la présence visible de lois bien faites, nul n'a plus à craindre pour son bien et pour sa vie. Chacun peut alors relâcher sa crispation égoïste et s'ouvrir aux autres. Parce que des lois existent qui répriment toute violence, je peux tourner le dos à mon semblable sans craindre qu'il me nuise.
b) La loi rapproche les hommes que le désir égoïste tendait à opposer
Les lois semblent donc remplir un rôle de socialisation et de moralisation des individus, naturellement sauvages, farouches, renfermés. Chacun peut alors employer sa vie à autre chose qu'à préserver ou augmenter la somme de son bien personnel puisque la loi se charge de sa sécurité. Loin de maintenir chacun dans l'espace privé de sa liberté individuelle, les lois favorisent la communication des libertés et l'échange entre des êtres qui n'ont plus peur les uns des autres. Les lois ont donc un rôle positif d'éducation morale et sociale des hommes.
c) La loi construit la société où l'homme accomplit le meilleur de lui-même
C'est ainsi que le rôle des lois s'accomplit pleinement. En s'ouvrant aux autres, chaque homme apprend à cultiver les vertus de la vie sociale : l'amitié, la convivialité que la crainte de la violence de l'autre lui rendait inaccessibles. Ce faisant, l'homme s'arrache à son existence purement animale pour goûter les fruits d'une vie proprement humaine. Car, comme l'a bien vu Rousseau, l'homme est perfectible : il importe donc qu'il s'emploie à épanouir ses talents en menant une existence sociale délivrée de toute conflictualité et de tout égoïsme. Or, cela n'est possible que grâce aux lois.
Conclusion
La loi protège l'individu en le socialisant. Par conséquent, si les lois empêchent les individus de se nuire les uns aux autres, elles possèdent aussi un rôle plus positif : elles construisent un espace public et invitent les hommes à mener une existence plus ouverte et plus libre. Il faut donc tenir ensemble les deux aspects de la loi qui s'articulent en un cercle vertueux : en décourageant la violence, les lois encouragent les échanges entre les hommes et instaurent un climat de paix propice à l'épanouissement de tous.
source : https://www.assistancescolaire.com/eleve/TSTMG/philosophie/travailler-sur-des-sujets-du-bac/texte-de-hobbes-juin-2012-tt_phi_rde95#
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