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"Faut-il préférer la révolte à la résignation ?"

Publié le 13 Janvier 2019, 17:01pm

Catégories : #Philo (textes - corrigés)

"Faut-il préférer la révolte à la résignation ?"

Analyse du sujet

Les mots du sujet

Les deux mots à souligner sont "révolte" et "résignation"

  • Révolte : se révolter, c'est désobéir à une règle, une loi, une prescription. Le révolté est celui qui dit non, qui refuse, et pas seulement par les mots mais aussi par l'action. On ne confondra pas révolte et révolution. La révolte peut être le fait d'un individu seul ou d'un petit nombre d'individus et peut s'opérer contre n'importe quelle règle. La révolution, elle, est nécessairement le fait d'un groupe et s'oppose au pouvoir politique qu'elle cherche à renverser pour aboutir à une autre forme d'Etat.
  • Résignation : se résigner c'est accepter d'obéir à un ordre, une règle, une loi mais en le faisant à contrecœur. L'homme qui se résigne n'obéit pas de bonne grâce. Il accepte une règle qui lui semble nuisible ou injuste.

On voit donc que les deux notions s'opposent.

Le sens du problème

On entourera "faut-il" et "préférer"
Le verbe falloir à deux sens en français. Il signifie "être nécessaire" ou "avoir le devoir de". Il n'y a aucune raison ici de négliger l'un des deux sens.
Préférer, c'est considérer comme meilleur parce que c'est plus utile ou plus désirable ou plus moral.
Le sujet nous invite donc à chercher des raisons de choisir entre ces deux contraires que sont la révolte et la résignation. Il s'agit de se poser à la fois la question de la nécessité du choix (elle renvoie d'ailleurs plus à la thématique de la résignation qu'à celle de la révolte : si la révolte est impossible, il est nécessaire de préférer la résignation) et celle de son devoir. Y a-t-il non seulement un droit mais même un devoir de révolte ou au contraire mon devoir est-il d'obéir, même à contrecœur ?

Présupposé de la question

Il n'y en a pas.

Réponse spontanée

Elle n'est pas claire et sera sans doute très différente selon sa personnalité. Il y a ici une question qui se présente vraiment comme un problème puisque aucune réponse spontanée ne se présente.

Plan rédigé

Introduction

Si, comme le souligne Freud, tout individu en vertu du principe de plaisir cherche à faire ce qui lui plaît et à éviter toute cause de déplaisir, il n'en reste pas moins vrai que la réalité nous impose des situations contraignantes voire déplaisantes. Face à une situation inacceptable ou du moins désagréable deux attitudes sont possibles : se soumettre c'est à dire se résigner ou, au contraire, refuser c'est à dire se révolter. De ces deux attitudes laquelle est préférable et surtout laquelle est-elle conforme à mon devoir ? L'enjeu de cette question et celui de la liberté humaine dont on peut se demander si elle doit s'affirmer en toutes circonstances ou au contraire s'admettre des limites. La résignation peut d'abord paraître nécessaire voire utile ou même légitime. Cependant, face à l'injustice l'homme n'a-t-il pas le droit, voire le devoir, de se révolter.

I Les raisons de la résignation

1) Nécessité de la résignation
Pour pouvoir se révolter, encore faut-il être libre d'agir, libre de réaliser ses desseins. Que vaudrait une révolte d'avance vouée à l'échec ? A quoi aboutirait-elle sinon à une nécessaire insatisfaction ? Le problème est donc avant tout celui de la possibilité de la révolte. Si la révolte est impossible, la question se résout d'elle-même : il est nécessaire de se résigner.
Quel est donc mon pouvoir d'action face au monde ? A cette question, les stoïciens répondirent : aucun. L'univers, selon eux, serait régi par les lois strictes du déterminisme. Tout est déterminé. L'ordre de la nature est réglé selon les lois strictes de la causalité et l'homme, élément de cette nature, ne peut rien y changer. Il ne lui reste donc plus qu'à accepter. Certes l'homme est libre de penser, libre de son attitude face au monde, mais refuser l'ordre des choses, c'est nécessairement être malheureux, c'est nécessairement voir ses desseins échouer. Il y a là une attitude insensée. La fin de l'homme est le bonheur. La condition de ce bonheur est donc la résignation et, non pas une résignation passive, mais une résignation active, qui se veut. Le sage stoïcien est celui qui s'efforce de connaître l'ordre de la nature, non seulement pour l'accepter mais même pour le vouloir, ayant la satisfaction de voir advenir non seulement ce qu'il a prévu mais ce qu'il a voulu. La révolte est donc condamnable, la résignation bénéfique et même légitime. Le sage est celui qui, non seulement accepte, mais même veut accepter, non pas avec mauvaise volonté mais librement. À la limite, s'agit-il encore d'une simple résignation ? Se résigner, c'est accepter à contrecœur. Le sage stoïcien n'accepte pas à contrecœur. Il veut accepter. Quoi qu'il en soit, dans une telle perspective la révolte est condamnable.
Mais cette position suppose que l'homme n'ait réellement aucune liberté d'action. Or, rien n'est moins sûr. Kant nous a montré que le problème est indécidable et nombre de philosophes ont pensé l'homme comme un être disposant de libre arbitre. Pourtant, même en ce cas, on peut préférer la résignation.

2) Utilité de la résignation.
Même si l'homme est libre de décider, s'il a en lui une volonté qui lui permet de faire des choix et d'agir en fonction de ces choix, il est clair que des contraintes extérieures s'opposent à la réalisation de nos projets. Sans aller dans le sens d'un déterminisme strict de la nature à la manière stoïcienne, il est clair que des obstacles s'opposent à nos actions.
De ce point de vue, il existe bien des situations où la révolte est impossible. C'est le cas des États totalitaires où le pouvoir est fort et où toute tentative de soulèvement est immédiatement réprimée. Dans ces conditions, la révolte est vouée à l'échec. Si le rapport de force est en faveur du pouvoir et non de celui qui subit que vaut la révolte ? Certes, cela ne signifie pas que la résignation soit nécessaire. Elle peut ne pas être. Il peut exister des individus candidats au martyre qui se soulèvent. Mais il n'en reste pas moins vrai que la prudence est alors de se résigner. Comme le souligne Rousseau, qui n'était pourtant pas un adepte de la résignation, se soumettre au plus fort n'est pas tout à fait un acte de nécessité mais n'est pas non plus un acte de volonté. C'est un acte de prudence. J'accepte parce que je n'ai pas vraiment le choix ou plutôt parce que les possibilités ne sont pas équivalentes. Si je me révolte, je risque l'emprisonnement, la torture, la mort. Si je me résigne, je survis. La résignation m'est effectivement plus utile. On concèdera qu'il ne s'agit pas non plus d'une légitimation de la résignation. Il n'y a rien de moral à accepter l'arbitraire. Simplement, nous n'avons pas le choix. Il n'est d'acte moral que libre (où est le mérite à faire ce qu'on nous force à faire ?) mais il n'est aussi d'acte immoral que libre (où est le blâme à faire ce qu'on nous force à faire ?)
Galilée connut cette situation. Sommé par l'inquisition de renoncer à ses idées coperniciennes, il sait ce qu'il risque à se révolter contre l'autorité religieuse. Giordano Bruno a payé de sa vie une telle attitude. Galilée se résigne. Sa résignation est utile parce que la révolte ne lui rapporterait rien, ne ferait pas avancer ses idées d'un pouce. Peut-être est-il plus utile pour elles qu'il survive pour témoigner. Aujourd'hui nous savons bien qui avait raison et qui avait tort.
La plupart des gens se résignent par peur des conséquences, parce qu'il leur est plus utile d'accepter que d'être emprisonné ou tuer. Lâcheté ? Il n'est pas si facile de juger. Après tout nulle valeur n'existe si l'on est mort.
Mais peut-on aller plus loin ? Peut-on considérer la résignation non seulement comme utile mais même comme légitime ?

3) Légitimité de la résignation.
Qu'est-ce qui peut légitimer la résignation sinon la légitimité de la situation contraignante elle-même ? Si une contrainte, même désagréable, voire oppressante, est légitime (et pas seulement légale), alors s'y soumettre devient un devoir. Aller contre la morale, c'est être immoral.
Mais qu'est-ce qui peut légitimer une situation désagréable ? Deux solutions se présentent :

  • Certains ont considéré que toute autorité, si féroce soit-elle, était sacrée. C'est la théorie de l'autorité de droit divin. Elle naît au XVII° s. et est illustrée par le De Legibus de Suarez et par la Politique tirée des propres paroles de l'Écriture Sainte de Bossuet. Ces deux auteurs entendent justifier l'absolutisme de Philippe II d'Espagne et de Louis XIV c'est à dire un pouvoir sans borne que le Souverain n'a à partager ni avec son peuple, ni avec des corps intermédiaires (noblesse, parlement etc.) puisqu'il est censé le tenir directement de Dieu. Cette théorie s'appuie sur l'autorité des textes sacrés qui sont considérés comme la source unique de toute connaissance. Tous les théoriciens du droit divin prennent pour point de départ de l'élaboration de leur doctrine le passage de L'Epître aux Romains où Saint Paul prêche la soumission totale aux autorités établies. On y trouve la thèse fondamentale selon laquelle les princes sont des ministres de Dieu sur la terre, ce qui signifie qu'on leur doit obéissance comme à Dieu lui-même, fussent-ils les pires despotes. Saint Paul écrit : " Il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu ; si bien que celui qui résiste à l'autorité se rebelle contre l'ordre établi par Dieu "(Epitre aux Romains, XIII, 1).
    Bossuet développe la théorie de droit divin en définissant les quatre caractéristiques de l'autorité royale : elle est sacrée (puisque d'origine divine), elle est paternelle en ce que les sujets sont d'éternels mineurs incapables de se gouverner eux-mêmes, elle est absolue, elle est soumise à la raison. Ce dernier point semble en contradiction avec les précédents. En réalité il n'y a pas contradiction car, si effectivement il est souhaitable que le roi suive la raison, rien ne l'y oblige. Bossuet écrit un manuel d'éducation pour le Dauphin et donne des conseils de sagesse, de modération, de prudence. Mais libre à lui de les suivre ou non. Ces recommandations constituent le devoir moral du prince que Bossuet appelle soumission à la raison mais le prince en fait l'usage qu'il veut. S'il ne les suit pas il compromet son salut mais cela ne dispense nullement les sujets d'obéir. Bossuet défend l'absolutisme jusque dans ses ultimes conséquences. Tout droit de révolte est condamné au nom de l'ordre public même si la cause de ceux qui tenteraient de résister semble juste. Si l'autorité est sacrée, il est clair que la révolte est sacrilège. Nous avons donc le devoir de nous résigner.
    Cependant la notion de droit divin suppose l'existence de Dieu, ce qui est déjà loin d'être prouvé, comme l'a montré Kant. Du reste, même en admettant cette existence de Dieu, une réfutation est possible, réfutation menée par Rousseau dans le Contrat Social, Livre I, chapitre 3, en quelques lignes : l'origine divine de la puissance ne constitue pas une raison suffisante pour instituer un devoir d'obéissance. La maladie aussi vient de Dieu (si Dieu a tout créé), faut-il pour autant ne pas se soigner ? Le brigand qui me menace au coin d'un bois tient dans les mains un pistolet qui constitue bien une puissance. Dois-je le considérer comme sacré et, en conscience, y obéir alors même que j'ai possibilité de me défendre ? Certes, non. Le droit à la légitime défense est partout reconnu. Il faut donc en conclure que l'argument de droit divin est insuffisant pour légitimer la résignation.
  • Il existe cependant une seconde thèse qui légitime la résignation parce qu'elle légitime toute autorité politique, fut-elle déplaisante, c'est celle de Hobbes. Hobbes s'oppose à la thèse du droit divin car il considère que l'entrée en société est un choix volontaire et non le produit d'une providence divine. Il faut distinguer l'état de nature (qui serait l'état des hommes tels qu'ils ont été créés par Dieu) et l'état de société qui suppose, en plus, la création par l'homme du lien social. Rappelons que l'état de nature est une pure construction de l'esprit, inventée en enlevant tout ce que la société apporte à l'homme. Selon Hobbes, l'état de nature est un état de guerre (" A l'état de nature, l'homme est un loup pour l'homme ") et, par conséquent, à cet état tout est préférable. On ne saurait payer trop cher pour mettre fin à la guerre (même s'il faut renoncer pour cela à la liberté). L'état de nature chez Hobbes repose sur un paradoxe. C'est un état égalitaire puisque les hommes y ont les mêmes besoins et une volonté égale de les satisfaire. Chacun peut revendiquer sur les autres une supériorité. L'égalité conduit donc à la guerre de chacun contre tous. L'homme le plus faible pourrait l'emporter grâce à la ruse sur le plus fort. La guerre est si féroce que la possibilité de la disparition même de l'espèce humaine existe. Ainsi pour subsister, l'homme n'a d'autre solution que d'essayer d'en sortir. C'est là qu'intervient la théorie du contrat : ce qui va permettre le passage de l'état de nature à l'état social, le passage de la guerre à la paix, est un contrat passé entre les sujets et un souverain. C'est librement et volontairement que les hommes échangent leur liberté naturelle contre la paix et la sécurité. Les sujets tirent de cet échange un avantage (ils sauvent leur vie, ils gagnent la paix). Le roi tire l'avantage du pouvoir mais ce n'est pas sans contrepartie : il se doit d'assurer le bonheur de ses sujets. Le souverain reste alors le seul homme (ou le seul groupe d'homme s'il s'agit d'une assemblée) à vivre encore à l'état de nature : il est entièrement libre. Il est à la fois acteur (il agit seul à ma place de ses sujets) et auteur (il est la source du pouvoir).
    Dans une telle perspective, la révolte ne saurait être légitime. Il n'y a aucun droit pour le peuple de renverser le souverain en cas d'abus de pouvoir. Le souverain, par le fait même qu'il est l'auteur des actes des sujets ne peut rien faire même s'il use de la dernière violence de contraire à l'intérêt de son peuple. La résignation est donc bien un devoir. Elle l'est parce que la révolte, en renversant le pouvoir, risquerait de faire renaître l'état de nature. Mieux vaut un État même injuste que pas d'État du tout. Mieux valent la tyrannie et l'arbitraire qu'un retour à l'état de guerre qui met l'existence humaine en péril. Même dans la pire des sociétés l'humanité survit. Mieux vaut l'ordre que la guerre.

Ainsi, l'homme a le devoir de se résigner, d'accepter les lois même si elles lui semblent arbitraires. Socrate, certes dans une toute autre perspective, ne disait pas autre chose. Condamné à mort par un jugement inique, il accepte de se soumettre alors même qu'il a la possibilité de fuir. Il le fait par fidélité à lui-même, lui qui défendait les lois durant toute sa vie. La légalité vaut mieux que la violence. Le droit est sacré car l'homme a besoin des lois. Le sage refuse la violence même contre un ordre injuste car désobéir une fois à la loi, c'est créer un précèdent qui met toutes les lois en péril, c'est, par son exemple, ouvrir la voie à l'anarchie, au désordre, au chaos social.
Néanmoins, pour accepter cette thèse, encore faut-il admettre une certaine nécessité de la légitimité de la légalité, ce qui ne va pas de soi. Rousseau critique Hobbes en faisant remarquer que sa description de l'état de nature attribue à l'homme des vices qui sont en réalité ceux de l'homme social. L'homme naturel vit isolé et a très peu de contacts, sinon pour les besoins de la perpétuation de l'espèce, avec ses semblables puisque des contacts impliquent une existence sociale. Comment alors faire la guerre ? Il n'a aucune raison de guerroyer. L'état de nature n'est possible que si les hommes sont peu nombreux et les ressources naturelles suffisent alors à leurs besoins. Nulle rivalité n'existe car les besoins naturels sont peu nombreux (seule la société crée l'infini du désir). Mais dans ses conditions, l'ordre social ne se justifie plus absolument. Ne pourrait-on pas alors concevoir un droit à la révolte ?

II Les raisons de la révolte.

1) Les apologistes de la révolte comme refus de la légalité.
La position la plus extrême en faveur de la révolte, nous la trouverons chez Sade, ce romancier philosophe. Sade est contre toute légalité. Sa théorie se fonde sur la volonté d'enfreindre la loi selon le principe qu'il vaut mieux être emprisonné voire tué que de vivre pauvre, que de vivre en limitant la satisfaction de ses désirs. La résignation est à ses yeux le fait des imbéciles. Il s'agit de s'enrichir, de satisfaire ses désirs aux dépens des autres. Le crime lui-même, dans une telle perspective, devient légitime. C'est l'apologie de la loi du plus fort.
Cette thèse est évidemment critiquable et ce pour deux raisons :

  • D'abord Sade fait l'apologie de la violence et défend l'immoralisme. Il ne légitime pas la révolte. Il nie toute légitimation. La morale se doit d'être universelle et la loi du plus fort est l'exemple type d'une " règle " non universelle, relative. Si le plus fort a le droit de tout faire, qui sera le plus fort (on est toujours plus fort que l'un mais plus faible qu'un autre) et quel sera le droit des autres ?
  • De plus la loi est, contrairement à ce que dit Sade, nécessaire : " Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère ", écrit Lacordaire. Autrement dit, la loi n'a pas que des effets négatifs mais elle a aussi des effets bénéfiques. Elle protège l'individu contre les excès des autres. Se révolter contre une telle loi c'est vouloir son propre malheur. Il est impossible de légitimer la révolte à tout coup.

Est-ce à dire que nous n'avons nul droit à la révolte ? Certes non !

2) Révolte et liberté - Légitimité de la révolte.
Il ne saurait y avoir un droit de se révolter contre les lois légitimes. Aller contre la justice, c'est être injuste. Mais toutes les lois sont-elles justes ? Se révolter contre l'injustice, n'est-ce pas rétablir la justice ? Mais alors, à quoi reconnaît-on qu'une autorité est injuste ? Comment légitimer la révolte ?
C'est Rousseau qui nous donne la solution de ce problème. Rousseau part du principe suivant : l'homme est libre. La liberté est ce qui définit notre essence, ce qui nous distingue de l'animal. L'animal, régi par l'instinct, n'a aucun choix. Dans une situation donnée, il ne peut réagir que d'une seule façon, celle qu'a prévu la nature et c'est ainsi qu'un pigeon mourrait de faim devant un tas de viande et un chat devant un tas de grain. L'homme, lui, a le choix.
Or, la liberté est inaliénable c'est à dire qu'on ne peut ni la donner ni la vendre. Tout contrat suppose la liberté et la liberté elle-même ne saurait s'échanger dans un contrat. Comme le fait remarquer Rousseau, si j'échange ma liberté contre autre chose (richesse, sécurité, etc.) qui me garantira que l'autre me donnera effectivement ce qu'il m'a promis en échange ? N'étant plus libre, je ne saurais le forcer à le faire. Voilà donc un étrange contrat où je me donne tout entier sans avoir aucune garantie d'obtenir quoi que ce soit en échange !
Renoncer à sa liberté, c'est cesser d'être un homme, c'est rétrograder à l'état animal. L'esclave est mort à l'humanité. Mais alors, si on m'enlève ma liberté, j'ai le droit de résister, de me révolter simplement pour récupérer ma dignité d'homme.
On remarquera que la révolte se justifie chez Rousseau par sa fin. J'ai le droit de me révolter parce qu'on n'avait pas le droit de m'asservir. J'ai le droit de me révolter parce que je vise une société plus juste parce que plus libre. Cela ne signifie nullement qu'on ait le droit de se révolter contre n'importe quoi et dans n'importe quelle condition. Il nous reste donc à déterminer précisément les conditions d'un droit à la révolte.

 

  • D'abord la révolte doit porter contre un ordre réellement injuste. Il n'y a nul droit à la révolte dans une démocratie où chacun garde ses droits. Lutter contre un ordre légitime n'est pas moral.
  • Ensuite la révolte n'a de sens, surtout lorsqu'elle est violente, que si tout moyen légal, toute discussion est impossible. Si je peux utiliser des moyens raisonnables, non violents il faut les préférer.
  • Ensuite la révolte n'est légitimable que si elle aboutit réellement à une amélioration de la situation, à plus de justice. Il faut distinguer la révolte légitime du terrorisme qui tue aveuglément sans que rien de positif n'en sorte. Kant nous indique que la moralité consiste à prendre l'homme comme fin et jamais seulement comme moyen. Travailler à plus de justice et de liberté, c'est prendre l'homme comme fin. Tuer pour y parvenir, c'est prendre l'homme comme moyen. La fin doit l'emporter sur le moyen c'est à dire qu'il faut travailler pour l'humanité en évitant au maximum de sacrifier autrui. Le terrorisme fait tout le contraire. Il augmente la violence quand la révolte légitime vise au contraire à l'éliminer. Le but d'une révolte doit être de faire advenir un ordre où la révolte cessera d'être nécessaire, où l'homme pourra s'exprimer par d'autres voies car il sera libre.
  • Enfin la révolte suppose un minimum de chance de réussite, bien qu'ici le propos mérite d'être nuancé. Certes aucune révolte n'est absolument certaine d'aboutir. Il y a toujours un risque et ce n'est pas pour autant qu'il faille toujours s'interdire d'agir surtout lorsqu'on n'est pas sûr de l'échec. Du reste, même en cas d'échec prévisible, il est des circonstances où la révolte peut être légitimée. Prenons l'exemple de la révolte du Ghetto de Varsovie. Les juifs du Ghetto se savaient promis à la mort puisque, les uns après les autres, ils étaient acheminés vers les camps d'extermination. Ils savaient aussi qu'ils n'avaient aucune chance de survivre en se révoltant : l'armée nazie avait le rapport de force en sa faveur, davantage d'armes et surtout des soldats en bonne santé quand les habitants du Ghetto étaient affamés depuis des mois. Pourtant ils choisirent de se révolter et leur révolte était légitime car elle était l'ultime affirmation d'eux-mêmes, de leur liberté et de leur dignité. Ils avaient décidé de mourir debout plutôt que de se laisser passivement conduire à l'abattoir. Leur motivation était l'affirmation de leur liberté, la revendication du droit à l'humanité. On remarquera qu'ils choisissaient leur propre mort et non celle des autres. Dans les camps de concentration, l'attitude fut souvent différente et les prisonniers comprirent bien qu'il était plus utile de se résigner et même de collaborer sans zèle pour sauver des vies humaines que de se révolter et risquer la vie de tous. C'est qu'ici, il y avait encore une issue. Une révolte vouée à l'échec ne trouve donc sa légitimité que lorsque la résignation elle-même est sans issue.

En fin de compte, la légitimation de la révolte tourne autour du concept de liberté. J'ai le droit de me révolter si on touche illégitimement à ma liberté et si, par ma révolte, je peux reconquérir cette liberté, soit par le résultat de ma révolte si elle réussit, soit par la révolte elle-même dans le cas extrême où la résignation conduit quand même à la mort. Insistons sur ce fait : Il faut d'abord qu'on touche illégitimement à ma liberté. Le criminel qu'on emprisonne pour le punir de ses forfaits n'a bien sûr pas de droit à la révolte car sa privation de liberté est légitime. Au fond, le droit à la révolte, c'est finalement le droit à la légitime défense.
Mais ne peut-on aller plus loin ? N'y a-t-il pas parfois même un devoir de révolte ?

3) Le devoir de révolte.
Il peut exister des cas où la révolte n'est plus un droit mais un devoir. Parfois ne rien faire, accepter, se résigner, c'est être complice du crime.
Le problème s'est posé lors des procès intentés contre les criminels nazis. L'argument de nombres d'entre eux fut de dire : " J'obéissais aux ordres. " Certes, effectivement, l'ordre de torturer, d'exterminer ne venait pas toujours d'eux et peut-être (encore que ce n'est pas si sûr) auraient-ils pris quelques risques à désobéir. Ils furent pourtant condamnés et ceci légitimement. Comme le montre très bien Sartre, ordre ou pas ordre, l'homme reste libre et c'est une manifestation typique de ce qu'on appelle la mauvaise foi que de se cacher derrière cette phrase : " c'était les ordres ". On est toujours libre d'obéir ou non. Or suivre les ordres, lorsque ceux-ci sont légitimes est bien sûr légitime mais lorsque les ordres sont manifestement iniques, quand il s'agit de crime contre l'humanité, obéir est cesser d'être humain. L'homme qui se livre au crime contre l'humanité nie non seulement l'homme qu'il torture ou tue mais aussi l'homme qu'il est lui-même c'est à dire, en lui, l'être qui se doit d'être raisonnable et moral. Obéir et se résigner, c'est alors être complice d'autant plus qu'on peut toujours désobéir. Pensons au problème de la collaboration sous la seconde guerre mondiale : entre le résistant qui se révolte et le collaborateur, on voit bien quel est celui qui fait son devoir.
Sans considérer des cas aussi extrêmes, rappelons que le droit condamne le délit de non-assistance à personne en danger. Autrement dit, si on est témoin d'un crime, d'une agression et qu'on laisse faire, on devient complice. Ici, il y a bien un devoir de révolte.

Conclusion

Le choix entre la révolte et la résignation dépend largement des circonstances. S'il est clair qu'il faut parfois se résigner, il existe un droit voire un devoir de révolte dont nous avons précisé les conditions. On ne peut pas se révolter contre n'importe quoi ni à n'importe quel prix. Le critère reste la lutte contre l'injustice à condition que les moyens employés ne soient pas plus injustes encore. Lutter contre la violation du droit, c'est rétablir le droit à condition d'en prendre les moyens. Mais quand la révolte est vouée à l'échec, nul ne peut reprocher à celui qui se résigne de le faire. Le problème est donc plus large : dans quelle mesure sommes-nous libres d'agir et quelles sont les limites mais aussi les conditions morales de l'exercice de notre liberté ?

source : http://sos.philosophie.free.fr/liberte.htm

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