Partie intégrante d’un film, le générique suscite pourtant peu d’intérêt, autant de la part du spectateur que de certains cinéastes. Il est vrai que voir s’afficher les crédits sur des images insignifiantes car n’ayant qu’un rapport lointain avec le film qui suivra peut avoir tendance à ennuyer.
Pourtant, le générique de film ou de séries peut présenter, par bien des aspects, un attrait en tant que séquence à part entière de l’œuvre – celui remarquable de la série Dexter permet de s’introduire subrepticement dans l’intimité ritualisée de ce tueur en série servant dans la police de Miami et nous révéler de façon fragmentée le fonctionnement comme la nature de la bête – et en tant que véritable forme d’art.
Le plus célèbre créateur d’art-générique est sans conteste Saul Bass. Graphiste génial, il a une vision et une façon de concevoir le générique en totale contradiction avec les habitudes prises car pour lui « un film commence dès la première image ». C’est sa rencontre en 1954 avec Otto Preminger pour qui il dessine l’affiche de la comédie musicale Carmen Jones qui s’avèrera décisive. Séduit, ce dernier lui demandera de créer l’affiche et le générique de son Homme au bras d’or et par la suite il collaborera avec des cinéastes de la trempe de Kubrick, Scorsese et surtout Hitchcock dont les magnifiques génériques de Sueurs froides, La Mort aux trousses et Psychose resteront dans les mémoires (et participant à faire de ces chefs-d’œuvre du 7ème art, des classiques indémodables). Le style inimitable de Bass s’attache à retranscrire de manière très graphique (animation, photos…) la thématique principale du film ou procède déjà à une certaine forme de caractérisation des personnages. Ses créations constituent ainsi de véritables œuvres que l’on peut qualifier de pop art, donnant aux génériques qu’il crée une fantastique dimension narrative et artistique. Le générique de Attrape moi si tu peux de Spielberg constitue ainsi un véritable hommage au travail de Bass.
De même, on peut relever l’incroyable générique de Seven qui bien qu’éloigné de l’abstraction caractérisant Bass n’en demeure pas moins un maillon essentiel du chef-d’œuvre noir et poisseux de David Fincher puisqu’il déstabilise d’emblée en montrant l’univers dérangé de celui qui se nommera John Doe. L’importance des premières images, la belle Kathryn Bigelow en a une conscience aigüe puisque chacun de ses films se déterminera par rapport au générique et/ou à la première séquence qui serviront de répétition et de mises en situation de ce que les héros auront à subir par la suite. Introduire l’action de manière explosive ou excitante, définir précisément les enjeux et/ou les liens qui vont unir les personnages, tels sont les objectifs poursuivis par la cinéaste dans les premières images débutant Blue Steel, Aux Frontières de l’aube, K19 ou Démineurs.
Dans cette veine, le générique de Point Break est sans aucun doute le plus signifiant et le plus significatif.
Point Break peut être perçu a priori comme un énième actioner tel que les ninetiesen ont délivré des tombereaux, excitant mais sans cervelle. En effet, son pitch est des plus classique voire même basique.
Un jeune agent du F.B.I, Johnny Utah (Keanu Reeves) intègre le bureau fédéral de Los Angeles et aura comme première mission (baptême du feu) de démasquer un gang de braqueurs de banques portant les masques d’ex-présidents américains (Carter, Johnson, Nixon et Reagan). Son équipier l’agent Pappas (Gary Busey) pense qu’il s’agit d’un groupe de surfeurs. Et voilà notre recrue tentant d’infiltrer ce milieu aux codes bien particuliers, à mille lieues de ceux régissant le bon côté du badge. Seulement, Utah va peu à peu s’enticher de la belle Tyler (Lori Petty), ex-copine de Bodhi (Patrick Swayze dans son meilleur rôle), leader charismatique et gourou mystique de cette communauté de surfeurs vivants de et par l’adrénaline sous toutes ses formes : surfer des vagues gigantesques de jour comme de nuit, figures aériennes lors de chutes libres (braquage de banques ?)… C’est d’ailleurs dans la relation entre Bodhi et Utah, en plus des incroyables talents formels et narratifs de la grande Kathryn, que le film gagne ses lettres de noblesse. À noter que si James Cameron, mari de Bigelow à la ville, a participé au scénario (sans être crédité) et à l’élaboration du film, Point Break est en premier lieu une œuvre de Bigelow. Ce n’est pas parce que Johnny s’écrie qu’il est le « roi du monde » alors qu’il vient d’effectuer un ride en plein nuit, que les personnages munis d’un fusil à pompe le rechargent d’une main comme le Terminator, que le personnage de Tyler renvoie à l’archétype cameronien de la femme forte isolée en milieu masculin ou que l’élément principal du film est l’eau qu’il faut en conclure à la mainmise de Cameron et incidemment lui prêter tous les mérites. Fin de la parenthèse.
Progressivement, Johnny va être séduit par ce mentor et sa philosophie, l’amenant à s’interroger sur son engagement dans les forces de l’ordre. L’enquête, d’abord pragmatique, va peu à peu laisser place au doute et à la crise identitaire. Car Point Break ne se réduit pas à une simple opposition entre deux conceptions de la vie comme les noms des personnages pouvaient le présager : Bodhi rappelant l’essence spirituelle de Boudha tandis que Utah renvoie au côté terre à terre personnifiant l’état mormon.
Transgression des limites, fluctuations des frontières morales, indétermination des personnalités tels sont les enjeux qui vont animer ce petit classique de l’action et que le générique va magistralement illustrer et mettre en place.
Point Break peut être traduit par point de rupture, soit le point où Johnny Utah, à l’instar des personnages de Johnnie To, sera déchiré entre sa loyauté envers sa profession, sa fonction, et son amour et amitié pour Bodhi et sa petite amie. Une rupture avec son environnement institutionnel qui intervient au moment où il est parfaitement intégré au milieu des surfeurs. Autrement dit, Point Break désigne aussi un point de jonction entre deux individus que tout sépare a priori. Ainsi, les premières images du générique font défiler horizontalement les noms des deux principaux interprètes jusqu’à ce qu’ils s’entrelacent, figurant d’emblée un rapprochement qui structurera tout le métrage. Entrelacement qui s’opère également sur les deux mots composant le titre du film et marquant la confusion qui sera à l’œuvre.
Nous passons ensuite à la présentation des personnages principaux ou plutôt à celle de Johnny Utah dont le film retrace le parcours initiatique. La succession de mini-séquences alternant la vision d’un surfeur glissant sur les vagues avec Utah canardant au fusil à pompe des cibles mouvantes, semble appuyer des différences qui conduiront à la confrontation violente. Scènes baignées de la lumière du soleil couchant contre scènes aux tonalités ternes car se déroulant sous une pluie battante, chaleur contre froideur, horizon dégagé contre plans serrés sur l’action évacuant tout arrière-plan, communion avec une nature élémentaire (l’eau) contre instincts et célérité mortifères. Oui, tout ne paraît être que pure opposition. Mais le mélange des noms au début aiguille vers une signification plus pertinente. En effet, le surfeur filmé en contre-jour a le visage dans l’ombre (un simple corps, donc. Bodhi ?), soulignant le questionnement auquel sera soumis l’agent du F.B.I : Qui est-il réellement ?
L’alternance se poursuit entre ce surfeur sans visage évoluant avec grâce et Johnny se mouvant et jouant de la gâchette de plus en plus rapidement. La vitesse et la précision avec laquelle chacun se déplace dans son élément accentuent leur proximité comme leur différence. L’enjeu du film à venir consistera à tenter de faire co-exister sur le même plan ces deux mondes. Et l’on sent déjà que cela ne se fera pas sans heurts.
Enfin, le générique dans son final s’attarde sur le visage souriant de Johnny. Il vient de boucler le parcours dans un temps satisfaisant son instructeur. L’agent peut être fier de lui. Il a l’air heureux et rien ne semble pouvoir altérer cet état. Sauf que le générique se conclue sur un ultime ride du surfeur recouvrant l’écran d’eau, la caméra ayant plongé dans le rouleau. Johnny Utah est prêt d’être submergé
Ce générique, que l’on peut aisément qualifier de première séquence du film, est d’autant plus remarquable que la séquence finale où Johnny retrouve un Bodhi prêt à s’élancer vers la mère de toutes les vagues en offre un parfait contrechamp ou plutôt un contrepoint de vue. Nous avons également une ambiance dépressive due à la pluie et à la grisaille qu’elle génère mais elle traduit visuellement l’état d’esprit de l’agent qui malgré ses efforts ne peut se résoudre à enfermer son « ami » épris de liberté. Un contraste saisissant puisque c’en est fini des sourires. Johnny laisse Bodhi rejoindre son destin funeste, se retrouvant seul et plus indéterminé que jamais : il a totalement adopté un look de surfeur et en s’éloignant de la plage, il balance son insigne dans l’eau.
Point Break est bien plus qu’un film culte dont les séquences les plus énergiques nourrissent les conversations de geeks (comme les partenaires de l’excellent Hot Fuzz d’Edgar Wright) ou sujet à pastiche (lors de la séquence d’anthologie de poursuite à pied sur la croisette de La Cité de la peur des Nuls). Sa profondeur se révèle en partie au long d’un générique admirable de précision et concision et qui rappelle au passage l’importance qu’il peut revêtir dans le récit.
Nicolas Zugasti
source : https://blog.revueversus.com/2010/06/09/analyse-du-generique-de-point-break-de-kathryn-bigelow/
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