Sévère (mais juste) retour à la source
Tout amateur éclairé du corpus jacobsien attend avec la même impatience, parfois déçue, parfois récompensée, la sortie d’un nouvel opus devant s’inscrire dans la droite lignée de l’héritage du Maître. Si certains essais précédents, avec des auteurs divers aux commandes, n’ont pas toujours été plébiscités, nul doute que ce tome 25 ne remporte la mise, tant il joue en tout point la carte de la conformité et du respect des prérequis.
Peut-être, pour commencer, parce que, outre le cadre qui se prête particulièrement bien à une évocation très exotique et old school du colonialisme et de ses affres supposés, les péripéties de notre duo britannique se situent sous l’angle chronologique juste après Le secret de l’Espadon (soit la première trilogie des aventures de Blake et Mortimer) et juste avant le diptyque Le mystère de la grande pyramide.
Ainsi, tandis qu’à Lhassa un raid éclair des Espadon détruit le palais de Basam-Damdu, la Chine s’éveille, plus à l’Est, les Communistes de Mao initiant leur « grande marche » (contraignant Tchang-Kaî-Chek à se replier sur Taïwan). C’est pour tirer profit du chaos généralisé qui en découle que Xi-Li, un seigneur de la guerre atteint de la même mégalomanie que tous ceux qui apparaissent dans la série, cherche à prendre le contrôle du monde – notamment en voulant s’appuyer à titre de légitimité sur des documents historiques qui attesteraient de son ascendance impériale.
Débarqués à Hongkong pour participer, chacun à sa façon, à la défense de la Colonie, Blake et Mortimer se retrouvent une fois de plus face à leur sempiternel adversaire, le colonel Olrik, dans l’œil du cyclone…
Tous les ingrédients sont donc réunis dans ce tome d’installation – y compris les nombreux clins d’œil à l’univers de la bande dessinée essaimés par le facétieux Yves Sente (l’on songe à l’évident hommage à Tintin et au Lotus bleu dès la page de couverture) – pour que le public soit conquis. Dans les pas de Ted Benoît, les deux nouveaux dessinateurs à intervenir ici au service du septième scénario de Sente dédié à la série, les néerlandais Teun Berserik et Peter Van Dongen, excellent dans la restitution de cette ligne claire si chère à E.P. Jacobs : leur maîtrise du sujet et des exigences graphiques qui lui sont inhérentes est telle qu’on n’y voit que du feu.
Certes, comme le veut ce genre ultra codifié, les phylactères sont fort chargés, et les palabres des personnages envahissantes au point qu’il a fallu adapter une police adéquate et un cadrage général des plus serrés mais la magie opère bel et bien. On retrouve même le personnage du Ahmed Nasir du Secret de l’Espadon qui verra son parcours explicité dans la suite de cet album.
Une fois n’est pas coutume, les éditions Blake et Mortimer font de la belle ouvrage (comme le confirment le dossier de presse envoyés aux journalistes et la version bibliophilique de ce titre et ses pleines planches - version numérotée et limitée à 7000 exemplaires). N’était la faute de page 22 (5ème case : « vous pourrez m’expliquer ce que [au lieu de ce qui] nous vaut l’honneur de votre visite ») pour nous rappeler que nous sommes en présence d’une production contemporaine – donc faillible, nous serions transportés en un tournemain dans ce chronographe rétro-livresque, qui mixte avec brio espionnage, archéologie, géopolitique et inventions technologiques (il faudra attendre la suite du dyptique pour savoir ce que va devenir l’« Aile rouge III » et être plus éclairés sur le « skylantern » de Mortimer). Le tout saupoudré de l’immarcescible flegme so british qui fait le succès depuis toujours de nos deux héros.
D'ici-là, le tome 1 de cette "Vallée des Immortels" produit son effet madeleine de Proust et ravira sans conteste plus d'un lecteur.
frederic grolleau
Yves Sente (scénariste),Teun Berserik & Peter Van Dongen (dessinateurs), Blake et Mortimer tome 25 : « La Vallée des Immortels » - tome 1 : Menace sur Hong Kong, Éditions Blake et Mortimer, novembre 2018, 56 p. -15,95 €.
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