fredericgrolleau.com


Le lien père - fils et dans « Apocalypse Now »

Publié le 21 Décembre 2018, 06:32am

Catégories : #Philo & Cinéma

Le lien père - fils  et dans « Apocalypse Now »

Après « Les braises » de S. Marai et « Les noces de Figaro » de Mozart, notre Vecteur a orienté sa nouvelle recherche sur la question de la jouissance qui va du père au pire. Le  film de F. Coppola « Apocalypse Now » et le roman de J. Conrad « Le cœur des ténèbres » (1898) en sont les représentations artistiques choisies.

En 1979, F. Coppola ouvre à nouveau la question du lien du père et du fils  et réalise « Apocalypse Now ». Dés 1972, avec son film emblématique « Le Parrain »,  il inaugure ce thème avec la figure  d’un père tyrannique qui a deux fils rivaux. L’ambition, la jalousie, la trahison et la création y reflètent les « démons intimes » de Coppola. Chef d’œuvre incontesté, « Le Parrain »  est et reste une tragédie moderne et atemporelle des affrontements cruels entre un père tel que Freud en a dressé la figure toute-puissante dans « Totem et Tabou » et un fils « bon » contraint de devenir « mauvais ». Ce duo mortifère, éclairé par un travail superbe de lumières et d’ombres, mène inexorablement l’un et l’autre à l’enfer de la déchéance, du crime et de la solitude délétère. Sept ans plus tard, avec « Apocalypse Now », F. Coppola donne à ce thème mythique de la loi, de la jouissance et de la castration, des accents tragiques de fin du monde. La guerre du Vietnam en est le cadre historique sur fond de remise en question radicale des idéaux paternels qui secoue l’Amérique des années 70-80. De ce film, qu’il réalise 3 ans après la fin de la guerre des américains au Vietnam qui a duré de 1954 à 1975, F. Coppola affirme avoir voulu en faire  une parabole édifiante sur « la morale et l’humanité et sur la manière dont on perd les deux. ».

« Apocalypse Now » se situe en 1969 au moment où l’armée américaine commence à douter de sa victoire. L’histoire en est simple : le capitaine Willard (will-hard),  joué par M. Sheen au visage impassible, a l’ordre de mission de remonter le Fleuve jusqu’au camp retranché du colonel Kurz (curse), joué par M. Brando devenu obèse, et de tuer celui-ci puis de détruire toutes traces de l’armée qu’il a constituée et avec laquelle il mène dans la terreur sa propre guerre contre le Vietnam. Sa remontée du Fleuve jusqu’à Kurz est une suite de rencontres avec les excès de la guerre et avec ses propres abimes intérieures. Construit comme un voyage initiatique, cette traversée est ponctuée de 7 étapes de plus en plus cauchemardesques et ironiques. Les références évidentes aux textes mythiques et religieux de l’enfer de « La divine comédie » de Dante avec son célèbre « Toi qui entre ici abandonne toute espérance » et des 7 sceaux de « L’Apocalypse de Saint-Jean », donnent toute sa portée métaphysique à ce film de F. Coppola sur le Réel de la guerre.

Avant d’aboutir au 7° sceau de la « Révélation » et du « Jugement », le capitaine Willard est confronté à 6 épreuves qu’accompagne en voix-off un enregistrement de la Voix douce du colonel Kurz, objet de cette Autre-Jouissance menant Willard à travers les folies guerrières de plus en plus radicales jusqu’aux frontières de « l’horreur ».

Le 1° Sceau : L’ordre de mission est donné par l’armée au capitaine Willard. Il doit effacer le corps et le Nom du colonel Kurz dont la guérilla marginale  menace le discours Maitre des généraux et renverse leur usage des nouvelles technologies de « la guerre totale » issues du discours de la Science. Mis à mal dans les fondements de son pouvoir par « l’extra-vagance » du colonel Kurz, le Maitre pousse jusqu’au bout sa logique d’effacement du Sujet, qu’il soit sujet vietnamien ou sujet américain. Après avoir donné son ordre de mission au capitaine Willard, le Maitre-Armée lui dit : « Vous comprendrez capitaine que cette mission n’existe pas, qu’elle n’a jamais existée et qu’elle n’existera jamais. »

Le 2° Sceau : Le capitaine Kilgore (kill-gore) détruit le village de pécheurs vietnamiens « Haut-Phat » (how fat) avec des hélicoptères et du napalm au son de « La chevauchée fantastique » de Wagner, dans le seul but de pouvoir surfer sur des vagues. Menée par la figure américaine increvable du père-cow-boy-qui-aime-ses-hommes, l’obscénité de la guerre a les couleurs des flammes de l’enfer du napalm et l’ampleur d’un décor d’opéra. L’absurdité outrancière et la démesure burlesque des scènes de guerre orchestrées par Killgore rendent déjà compte de l’impossibilité de raconter et de montrer tel quel le Réel de la pulsion de mort.

Après ces deux premiers Sceaux, le capitaine Willard et ses 4 hommes, embarqués sur un frêle bateau de guerre, s’enfoncent encore plus dans la jungle vietnamienne. A chacun des prochains Sceaux, chacun de ces hommes perdra toujours plus son innocence et sa croyance au père fondateur. Si F. Coppola dit n’avoir jamais su, en faisant son film, quelle fin il lui donnerait, la musique des Doors « The End » qui ouvre le film laisse entendre qu’un réel mortifère et obscène habite le cœur de l’homme et que le pire n’a pas de fin.

« Apocalypse Now » est un voyage métaphysique qui nous conduit étape après étape jusqu’au cœur des questions éthiques qui ont déchirées le 20° Siècle et continuent d’ébranler notre 21° Siècle.

Marie-Christine Baillehache

source : 

http://enversdeparis.org/2014/02/18/compte-rendu-du-vecteur-psychanalyse-et-litterature-du-5022014/

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article