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"Leave no trace" et la conscience du sujet - exercice (2)

Publié le 17 Novembre 2018, 13:18pm

Catégories : #Philo & Cinéma

"Leave no trace" et la conscience du sujet - exercice (2)

Exercice : Mettre en relation la bande-annonce officielle du film avec les éléments du cours sur le sujet (la conscience, Descartes, Lévinas)

Proposition  de traitement par Julia Manera, lycée Albert-Ier de Monaco, TES1, novembre 2018.

 

Leave no Trace est un film réalisé par Debra Gradnik qui suit l’histoire d’un père et de sa fille qui vivent isolés dans la forêt, à l’écart de la société. Néanmoins, ils sont repérés et contraints par les autorités de retourner à la civilisation en vivant au sein d’une communauté.

Ainsi, on tente de les forcer à vivre une vie « normale » qui peut ne pas correspondre à leur vision des choses. Il est donc question de la remise en cause de leur individualité en tant que sujet car ils doivent s’intégrer à un groupe à cause de la volonté de la société. On peut donc se demander si le sujet peut vraiment être considéré comme une unité indépendante.

 

En effet, les individus sont a priori libres de leur choix puisque la liberté est un des fondements des Droits de l’Homme.

Mais le premier obstacle à cette liberté est tout d’abord amené par le titre du film. Si l’on était libre, alors on pourrait faire ce que l’on veut. Or, ici le titre du film contient clairement un impératif, ce qui est le signe d’un premier interdit. Cette phrase semble être adressée à Tom de la part de son père. S’il ne veut pas qu’ils laissent de traces, cela est pour le maintien de leur liberté afin qu’on ne les retrouve pas dans la forêt. Ils sont censés être libres mais la jeune fille ne peut pas faire ce qu’elle souhaite. Il y a ici un premier paradoxe puisque le père souhaite être libre mais il pourrait entraver la liberté de sa fille. Ils insistent tous deux sur le besoin de garder la « liberté de penser ». Selon le « cogito » de Descartes, penser c’est exister car l’on peut douter de tout sauf du fait que l’on pense. Ainsi, cette volonté de penser ce que l’on souhaite revient à affirmer son existence.Pour autant, si la fille n’a connu que le mode de penser de son père, alors est-elle vraiment libre de penser ce qu’elle souhaite ?

 

La liberté de penser pourrait se définir comme le choix de penser ce que l’on veut. Mais si l’on ne connaît qu’une manière de penser, alors on n’est peut-être pas libre de penser puisque l’on n’a pas le choix entre différentes idées... Par ailleurs, cela s’applique aussi à l’assistante sociale et à la société qui ne sont pas non plus libres de leurs pensées puisqu’ils ont été façonnés par le mode de penser de la société. Mais alors comment Will, le père de Tom, a-t-il pu sortir de ce mode de penser ? Selon Descartes, nos pensées sont une sorte de forteresse, un for intérieur (de « foro interno » en latin). Cela voudrait dire que l’on ne peut pas nous les changer, qu’elles représentent notre intimité, que personne n’y a accès et qu’elles sont donc inviolables. Selon cette thèse, c’est le père tout seul qui a décidé de mener cette vie. Il s’oppose donc à la thèse de Marx qui pense en 1859 que l’on est façonné par ce qui nous entoure, par notre classe sociale : « Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience » (Karl Marx : préface de la Contribution à la critique de l’économie politique, Editions sociales, 1947)

 

Cet individu est donc un véritable mystère puisqu’il est le seul à ne pas suivre le schéma de Marx car il est sorti de sa classe sociale. Et sa fille est d’accord avec lui puisque c’est son père qui l’a influencée (c’est ce qu’on appelle la socialisation primaire). Le père semble vouloir envers et contre tout maintenir sa liberté de penser. On essaye de le changer avec des vêtements et de la nourriture mais ses pensées ne sont pas atteintes. Par ailleurs, on peut se demander si une autre forme de tentative de les faire changer n’aurait pas été plus efficace. Si l’on prend l’exemple de la dystopie 1984 de George Orwell, Wilson qui voulait changer le système et ne pas s’y soumettre coûte que coûte a, sous la torture avec les rats, totalement cédé et s’est finalement conformé tout en trahissant son alliée, Julia, à qui il aurait préféré que l’on applique la torture. Cet exemple s’oppose donc à Descartes puisqu’il existe des moyens de pénétrer la forteresse de l’esprit.

La fille pense que son père est une sorte de repère, qu’il est sa « maison ». Cela s’oppose à la thèse de Levinas qui, dans Totalité et Infini, dit que les hommes ont une « absence de patrie commune », que nous n’avons pas de conscience commune avec autrui alors que, dans le camp du père et de la fille mais aussi dans celui de la société, les idées partagées sont globalement les mêmes. Ici, c’est encore plus fort car la fille et le père n’ont pas une « patrie commune » : la fille considère son père comme sa patrie.  Dans un autre sens, le père peut, lui aussi, être identifié à la thèse de Levinas puisque l’on apprend que c’est un ancien soldat. Il est donc possible qu’il ne s’identifie pas à sa patrie et que ce rejet d’identification à sa patrie l’ait poussé à s’exiler.

 

Après avoir été forcés à rester pendant quelques temps dans la communauté, le père et la fille rejettent une fois de plus la patrie commune car la conformité en apparence ne signifie pas qu’ils partagent les idées des autres individus car ils gardent leur liberté de penser. Néanmoins, ils ont une idée commune et donc une patrie qu’ils partagent tous les deux

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