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« Harry Potter » vu à travers le prisme de la philosophie

Publié le 30 Novembre 2018, 11:58am

Catégories : #Philo (Notions)

« Harry Potter » vu à travers le prisme de la philosophie

 Harry Potter pose en effet deux questions à ses lecteurs :

  • Harry Potter aura-t-il un jour une sexualité de son âge ?
  • C’est quoi, faire le bon choix ?

Et ça tombe bien parce que tout un pan de la philosophie s’est déjà interrogé sur ce que c’est, faire le bon choix. On la nomme philosophie éthique ou philosophie morale, selon le courant à la mode du moment, et nous allons voir comment cette philosophie nous permet de mieux comprendre Harry Potter.

Cet article spoile allègrement la saga Harry Potter, si vous ne l’avez pas encore lue, allez le faire, que diable !

A-t-on vraiment le choix ?

  • Face au Choixpeau magique

Vous êtes dans une situation délicate : face au Choixpeau magique, pour votre première soirée à Poudlard. La Grande Salle a les yeux braqués sur vous alors que vous traversez la salle. Bref, vous y êtes : le Choixpeau va vous désigner votre maison, votre future famille. C’est ce qui rend Harry Potter si problématique : d’un coté Dumbledore n’a de cesse d’affirmer que ce sont ses choix qui ont fait de Harry Potter un héros… De l’autre c’est une prophétie qui en fait l’Élu. Il y est pour rien, lui.

Oui mais lorsque Voldemort prend connaissance de la prophétie, c’est lui qui choisit de désigner Harry comme l’Élu plutôt que Neville, enfant qui correspondait lui aussi parfaitement à la description de la prophétie.

Rowling laisse-t-elle le choix d’agir à ses personnages ? Dans son univers nous sommes bien forcé d’hésiter constamment entre liberté d’agir et conséquence de son destin.

  • Le déterminisme

Les philosophes, eux aussi, se sont longtemps heurtés à cette question a priori insondable : nous voudrions avoir toujours le choix, après tout ne sommes nous pas libres ? Et pourtant la vie quotidienne semble nous rappeler à notre condition d’êtres… déterminés. 

Le déterminisme en philosophie est un courant de pensée qui considère que nous ne sommes, pris au sens le plus strict, pas libres. Nous sommes le simple effet d’une chaîne de cause à conséquence débutée bien avant nous, infinie.

Chez Spinoza par exemple, une pierre n’a qu’une seule liberté : rouler en subissant la pente qui se déroule sous elle. Il parle même de « la liberté de la pierre qui tombe » pour qualifier ce que nous pensons à tort être notre capacité à faire ce que l’on souhaite :

« Les hommes se trompent quand ils se croient libres ; cette opinion consiste en cela seul qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés »

 

Harry se croit donc libre lorsqu’en réalité, il n’est que le résultat de son histoire : la mort de ses parents qui le pousse à se venger ? L’amour de ses amis qui le pousse à se sacrifier ? Le choix premier de Voldemort ? Pour comprendre l’oeuvre de J.K. Rowling, il est très important de comprendre la place qu’elle laisse au libre arbitre, malgré cette apparente « destinée ».

D’ailleurs la thématique du choix est également centrale dans l’histoire des personnages secondaires : à la fin du tome 1, au moment de partir à la recherche de la Pierre Philosophale – ne jamais sous-estimer le pouvoir de la philosophie – Ron et Hermione prennent la décision de suivre Harry dans ses aventures, décisions qu’ils réaffirmeront… jusqu’au tome 7 où ils suivront Harry lorsqu’il décide de ne pas retourner à Poudlard.

J.K. Rowling semble placée dans une étrange situation : elle sait que le monde impose un contexte et ses conséquences, et pourtant elle réaffirme chaque fois la nécessité de faire ses propres choix. Serait-elle existentialiste ?

  • L’existentialisme

L’existentialisme est un autre courant philosophique complètement opposé au déterminisme. Pour un existentialiste, mettons Sartre, nous sommes le résultat de nos actions, des valeurs que nous décidons d’adopter. La question du contexte ne compte pas : nous avons le choix de mentir pour protéger ou non des juifs cachés dans notre cave des nazis, même avec un fusil braqué sur la tempe de nos enfants.

Cette radicalité n’a pas été sans conséquence par la suite puisque Sartre a gentiment été renvoyé à ses pénates pour sa faible implication dans la Résistance…

 
 

"L'existence précède l'essence" dit -il. C’est à dire que ce que l’on fait, durant notre existence, est première sur ce que l’on est, notre essence. Nous sommes nos actions qui ensuite déterminent ce que nous sommes. En langage Harry Potter ça donne quoi cela signifie qu’Harry Potter n’est pas vraiment un Griffondor quand le Choixpeau dit qu’il est Griffondor. Il est Griffondor quand il adopte la Griffondor-attitude par ses actes courageux.

Pour quelqu’un comme pour Sartre et peut-être comme J.K Rowling, nous avons toujours le choix. 

Finissons cette réflexion sur une nuance car Rowling est loin de céder aux sirènes de la facilité. En effet, si nos protagonistes se distinguent par leurs choix, leurs actes, ce n’est pas le cas de tout le monde… Pour avoir le choix d’être un bon sorcier encore faut-il… Être un sorcier ! Un cracmol n’a pas le choix de réussir ou de rater son sortilège.

C’est que Rowling s’intéresse à un type de choix bien précis : les choix moraux.

Il ne s’agit en effet pas de faire le choix ou non d’une salade à midi, ou d’être ou non doué•e en Quidditch, dure réalité à laquelle Hermione doit se faire, mais bien la liberté de choix éthiques. Faire le bon choix, c’est faire un choix moralement justifiable. C’est ça, le libre arbitre.

Comment faire le bon choix moral ?

  • Déontologisme ou conséquentialisme ?

Pour faire un bon choix moral vous avez deux possibilités.

  • Prendre en compte ce qui doit être fait selon des règles immuables et appliquer une morale dite déontologique
  • Prendre en compte les conséquences et appliquer une morale dite conséquentialiste

En effet, si vous décidez d’appliquer une morale déontologique, alors le moindre accroc à vos principes deviendra d’un immoral affirmé ! Harry par exemple tente d’appliquer cette morale déontologique : il fait ce qu’il doit faire, aidé en cela par le sentiment de sa destinée qui le guide. Il ne tue jamais, Voldemort meurt de son propre sortilège retourné contre lui tandis que Harry refuse farouchement d’utiliser le sortilège interdit : Avada Kedavra.

Nul homme n’étant parfait, Harry utilise pourtant les sortilèges de Doloris et d’Imperium. Peut être… Peut être parce que ce sont les conséquences qui comptent, finalement ? Parce que la fin justifie les moyens ? Nous nous plaçons ici dans une perspective dite conséquentialiste : ce qui compte, ce sont les conséquences, le but que l’on vise : le plus souvent dans le cas d’Harry Potter il s’agit du retour à l’ordre, à la paix et au bien.

Dans notre vie de tous les jours, nous sommes sans arrêt tenaillé•es entre ces deux morales.  Prenons un cas concret : tu te balades dans la rue et tu vois un de tes amis embrasser quelqu’un qui est tout sauf son-sa petit-e ami-e officiel-le. Dois-tu l’en informer ? Si tu es déontologique alors oui bien sûr : on ne doit pas mentir. Mais si tu es conséquentialiste alors peut être vaut-il mieux se taire si cela peut améliorer les chances de survie du-dit couple…

  • Harry Potter est une oeuvre de fiction. Cela va vous sembler simpliste mais : dans Harry Potter… les gentils gagnent à la fin ! En effet, que vous soyez pour une morale du devoir ou pour une morale de la conséquence, les conclusions seront les mêmes : le bien triomphe. 

Harry Potter, par exemple, sent bien qu’il lui faut épouser son devoir, jusqu’au sacrifie ultime, thématique qui n’est pas sans rappeler un certain « Jésus », de la Bible. Or la Bible, avec ses commandements, c’est l’exemple type d’une morale déontologique.

Mais souvent ce sont les conséquences qui, dans le feu de l’action, orientent ses actes. Même Dumbledore, sage d’entre les sages, ment à Harry pour préserver l’accomplissement de la Prophétie en vu du bien, quitte à déroger à ses principes d’honnêteté morale, et à s’en repentir par la suite.

Donc Rowling a choisi de ne pas prendre parti. Peu importe pour quelle raison vous faites un acte, par habitude, par devoir ou par intelligence, ce qui compte c’est que le bien triomphe, mais pourquoi ça marche ? Parce qu’elle se trouve dans le cadre d’une oeuvre de fiction, ce qui n’est pas notre cas ! Si comme les héros de Harry Potter nous adoptions une morale différente tous les deux jours, alors ce ne serait tout simplement plus une morale du tout, mais tout simplement… ce qui nous arrange.

Qu’elle est facile, au fond, la vie des personnages de roman qui ne se doutent pas que l’auteur-e veille sur eux…

  • Soyons audacieux, et si le plus réglo d’entre eux… c’était encore… Voldemort ! Voldemort est le seul personnage de Harry Potter dont les principes éthiques restent fixes tout au long du roman. Voldemort a en effet un principe. Il le déclare à la fin du tome 1 : « Il n’y a ni bien ni mal, il y a juste le pouvoir et ceux qui sont trop faibles pour le posséder. ».

Comme c’est… Nietzschéen. Nietzsche, en écrivant son oeuvre Par delà bien et mal est le premier à poser cette théorie audacieuse que des siècles de catholicisme avaient rendue impensable : le bien et le mal n’existent pas, il n’y a que la puissance. Pour lui, tout notre belle morale n’est que le reflet d’une histoire platonicienne et chrétienne ennuyeuse, castratrice. Il faut libérer le Dyonisos, dieu des excès, qui est en nous, libérer cette créature humaine qui meurt d’envie de devenir… le sur-homme.

Cela ne vous rappelle pas un certain génie du mal désireux de devenir un sur-sorcier immortel ? Voldemort n’est pas tant mû par le sadisme que par l’assurance d’être un être à part, supérieur face à des inférieurs. Comme un enfant ne se sent pas cruel en écrasant un scarabée.

Le danger moral des gens normaux

  • Nous ne sommes pas des héros

Harry Potter se passe dans un contexte bien particulier :

  • Nous sommes en crise
  • Le bien doit triompher

Ces deux éléments sont dûs à la structure du roman, ils sont donc inamovibles et vont en créer la dynamique. Tout part de la crise et aboutit à sa résolution.

Or nous-mêmes, dans une situation de crise, aspirons à un dénouement heureux. Qu’est ce qui nous manque par rapport à un univers romanesque ? L’héroisme.

Le héros, typiquement, est différent de nous parce qu’il retombe toujours sur ses pattes. Sinon c’est un antihéros et c’est autre chose. Or nous ne sommes pas des héros.Nous sommes des gens banals. Désespérément banals.

 
  • La banalité du mal : le danger qui nous guette. 

Hannah Arendt est une philosophe d’origine juive, qui en 1963 assiste au procès du criminel nazi Eichmann, qui a pour particularité de se dérouler à Jérusalem.

Hannah Arendt est frappée par la consternante banalité du personnage : un petit bureaucrate aux idées courtes, répétant inlassablement les mêmes poncifs… Elle décrit cette réalité et le scandale éclate : qui est donc cette auteure, juive de surcroit, qui se permet de trouver des excuses à un des plus grands criminels de tout les temps, en terre d’Israël qui plus est !

Le film Hannah Arendt revient sur cette période clef de la carrière de la meilleure philosophe de tous les temps. 

Pour s’expliquer, elle sort un livre : La banalité du mal. Le scandale éclate à nouveau, mais l’oeuvre philosophique est posée et la philosophie morale ne sera plus jamais la même : désormais, il ne sera plus possible de se contenter de faire le dos rond, discrètement. Hannah Arendt affirme la responsabilité des petits exécutants de bureau, des faibles, tout autant capable de faire le mal que les leaders, et qui leur donnent les moyens de leur puissance.

Le libre arbitre n’est pas un acquis, c’est un bien qu’il faut défendre et pas seulement contre les leaders despotes, mais aussi, surtout, contre notre propre tendance à la paresse intellectuelle et la couardise…

Cette réflexion a longuement mûri dans nos esprits jusqu’à devenir assez banale pour que J.K. Rowling l’exploite à travers la figure du ministère de la magie et le personnage secondaire de Percy, qui hésite entre la respectabilité ministérielle et les valeurs familiales.

  • Alors c’est quoi, faire le bon choix ?

Qu’il est étrange, le singulier de cette question ! C’est lui qui nous oblige à tant d’extrémisme, comme si un seul choix pouvait être le bon, alors que nous avons vu que tant de voies mènent à la résolution d’un problème moral : le choix qui tient compte des conséquences, celui qui tient compte des principes, celui des gens hors-normes ou des gens normaux, qu’on soit ou non l’objet d’une prophétie… Ce qui compte c’est l’effort d’auto-critique. On n’est pas bon par naissance ni mauvais par destin, et un bon acte ne nous met pas à l’abri d’une vie de débauche…

Le libre arbitre, ça se travaille, c’est un exercice qui consiste… à arbitrer, pas à regarder les balles passer. Ce sont nos choix qui construisent peu à peu un historique dont on pourra juger à la fin de la valeur morale. Nos actes. Ainsi de Rogue qui semble constamment faire le mauvais choix, en décalage par rapport à la société des sorciers, mais qui pourtant a agi moralement la majeure partie de sa vie par ses actes plus que par son discours.

Faites avec mauvais esprit comme Drago, faites gauchement comme Neville, avec intelligence comme Hermione ou sagesse comme Dumbledore : le plus grand danger c’est bien, comme le souligne Hannah Arendt… de ne rien faire du tout ! 

Le mot important, lorsqu’on se demande ce qu’est « faire un bon choix », ce n’est donc pas tellement le terme de bon ou le terme de choix… Mais bien celui de faire !  

mircea austen

article modifié

source : http://www.madmoizelle.com/harry-potter-philosophie-270797

  

 

 

 

 

 

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