Omar El Akkad, American War
Etats-(dés-)Unis. 2074 — 2093, seconde guerre de Sécession américaine. Les Etats sudistes opposés au contrôle des énergies fossiles sont laminés par ceux du Nord militant pour l’abandon du pétrole et du gaz afin de sauver ce qui reste de la planète. Le réchauffement climatique a en effet déjà provoqué, dès 2074, des ravages considérables, maintes villes côtières et toute la Floride étant recouverts par les eaux. Les énergies fossiles bientôt décrétées hors la loi, le Mississippi, l’Alabama et la Géorgie (nommés le MAG) décident de faire sécession pour former les Etats libres du Sud.
Cette Amérique déchirée par une nouvelle guerre civile fratricide a perdu de sa superbe et doit désormais recevoir de l’aide humanitaire de la Chine et de l’empire Bouazizi, nouvelle puissance du Proche-Orient vers laquelle convergent de toutes parts les cohortes de migrants pressés d’abandonner une Europe exsangue (manière pour l’auteur de jouer sous toutes les facettes de l’inversion des polarités habituelles). C’est dans ce sud réfractaire arc-bouté sur ses valeurs archaïques que le romancier nous met en présence de son héroïne de Louisiane, Sarat Chestnut, que l’on voit passer au fil des pages de cette épaisse fresque orchestrée de main de maître (entre faits empiriques, mémoires revisités, rapports administratifs véraces et articles pseudo objectifs), du statut de jeune fille sans souci à celui de vieille femme marquée par les combats, sans oublier sa formation à devenir une machine de guerre sans pitié. A fabriquer sans solution de continuité la vengeance et la haine.
Si l’on devine assez rapidement le destin martyrologique qui attend Sarat, l’essentiel dans ce premier roman fort prometteur est ailleurs : cette sombre dystopie furieusement renseignée et ancrée dans l’âpre réalité du terrain (sudiste – avec des descriptions lyriques des rives du Mississipi et du port Augusta) offre le terrible portrait, sous prétexte de fiction post-apocalyptique, de ce que pourrait bien devenir l’actuelle Amérique fracturée depuis l’élection au pouvoir de Donald Trump.
On peut en effet voir sans trop de difficultés dans le plausible, trop plausible American War le reflet jusquauboutiste des idéologies et convictions claniques de chaque citoyen lorsque, irréconciliables, elles mènent au grand clash final. Entre les répercussions chaque jour plus violentes du réchauffement climatique et les dérives racistes et nationalistes chaque jour plus nombreuses (et pas qu’outre-Atlantique d’ailleurs), le lecteur, épouvanté, ne sait plus au juste ce qu’il doit le plus craindre.
Fort de son expérience de grand reporter ayant couvert de nombreux conflits, Omar El Akkad décrit avec justesse comment une grande nation se trouve phagocytée par un ennemi intime – ses propres membres en proie à la sédition incontrôlable – bien plus pernicieux à affronter que le “barbare” patenté – par définition extérieur à la communauté, sa langue et ses valeurs.
Ce terrorisme inside, made in America, trouve une figure emblématique avec la jeune Sarat et permet ainsi de faire comprendre les mécanismes madrés de la radicalisation à une cause. Sous cet angle, American War expose avec efficacité, à partir de divergences qui se transforment en schismes sociétaux, le processus contemporain de désocialisation qui amène certains êtres aux pires extrémités au nom d’une foi – de quelque obédience qu’elle se réclame – qu’ils ne remettront jamais en question.
De fait, en Cratyle insoupçonné, Sarat ne sait que réduire le regroupement communautaire au socius latin qui désigne d’abord “le compagnon d’armes”. Et ce sont, de manière négative et comme en contre-apposition, tous ses autres sens dérivés, éthiques et relationnels, que ce roman d’une guerre civile fictive – qui « n’est pas une histoire de guerre [mais] une histoire de ruine. » – met en lumière.
frederic grolleau
Omar El Akkad, American War, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laurent Barucq, J’ai Lu, août 2018, 507 p. — 8, 00 €.
Commenter cet article