proposition de traitement
INTRODUCTION
Le terme liberté est un mot qui suscite l’enthousiasme, l’adhésion. C’est une valeur pour laquelle des hommes se sont battus et sont morts; et nul ne conteste qu’il vaut mieux être libre qu’esclave ou prisonnier. Mais ce sujet propose une vision spontanée de la liberté. La liberté, en ce sens, ce serait quand mon désir et ma volonté ne rencontrent pas de limites. Positivement, la liberté ce serait faire tout ce que l’on veut. Négativement, la liberté, ce serait l’absence de contraintes.
De nos jours, dans les médias, on veut faire croire aux gens que la liberté, effectivement, réside dans l’absence de contraintes. Autrement dit, le sujet (dans la question proposée) et les médias sous-entendent une conception individualiste de la liberté. Mais est-ce que cette définition spontanée de la liberté résiste à l’examen ? N’aboutit-elle pas à des conséquences tragiques ?
PREMIÈRE PARTIE : OUI, ÊTRE LIBRE, CE SERAIT FAIRE TOUT CE QUE L’ON VEUT.
Premier argument : Quand on part de la définition basique de la liberté, c’est à dire qu’on pense la liberté à un niveau physique; on se rend compte effectivement que la liberté c’est une certaine absence de contraintes. Voici comment Hobbes dans le Léviathan définit la liberté au sens physique du terme : « La liberté n’est autre chose que l’absence de tous les empêchements qui s’opposent à quelque mouvement, ainsi l’eau qui est enfermée dans un vase n’est pas libre, à cause que le vase l’empêche de se répandre ». Dans le même ordre d’idées, un homme enfermé dans une prison n’est pas libre au sens physique du terme puisqu’il n’a pas une certaine liberté de mouvements. Si l’on s’en tient donc au sens basique du mot liberté; la liberté, c’est avoir la possibilité de se mouvoir comme on veut dans l’espace. La privation de la liberté de mouvement est une punition octroyée par la société où l’on restreint la liberté physique. La liberté, au sens physique du terme, c’est se mouvoir comme on le veut et le désire dans l’espace, c’est donc bien quelque part faire ce que l’on veut.
Deuxième argument : Par ailleurs, si la liberté c’est faire tout ce que l’on veut, cela suppose que liberté et obéissance sont incompatibles. Et c’est vrai, qu’à première vue, la liberté paraît contraire à l’obligation et à la contrainte. Or, obéir , est une contrainte, une obligation. Alors dans cette optique, seuls ceux qui n’obéissent pas dans la société seraient libres. Les seuls qui seraient libres sont ceux qui commandent, qui donnent des ordres parce que soit-disant ils n’auraient pas d’obligations. En ce sens, ceux qui commandent, les chefs et les dirigeants feraient tout ce qu’ils veulent. Les personnes subordonnées, qui doivent obéir, a contrario, ne seraient donc pas libres.
Or, comme il y a beaucoup plus de subordonnés que de gens qui commandent, alors peu d’hommes sont libres, si être libre c’est faire tout ce que l’on veut. Dans cette vision des choses, seule une élite dirigeante serait libre. Or, c’est justement la thèse soutenue par Calliclès dans le dialogue le Gorgias de Platon.
Dans ce dialogue où il est question de politique, de justice et de philosophie, Socrate mis en scène par Platon rencontre un jeune détracteur virulent dans ses propos : Calliclès . Calliclès soutient que seuls les dirigeants qui peuvent faire tout ce qu’ils veulent sont réellement libres. Ainsi Calliclès s’exclame : « Pour ceux qui ont eu la chance de naître fils de roi, ou que la nature a faits capables de conquérir un commandement, une tyrannie, une souveraineté, peut-il y a voir véritablement quelque chose de plus honteux et de plus funeste que la tempérance ? Tandis qu’il leur est loisible de jouir des biens de la vie sans que personne ne les en empêche, ils s’imposeraient eux-mêmes pour maîtres la loi, les propos, les censures de la foule ! » Calliclès trouve donc aberrant de donner des restrictions à sa liberté quand on est maître d’une cité. Selon Calliclès, un homme qui a les plus hauts pouvoirs ne doit pas se priver de faire et d’agir selon ses désirs. Calliclès trouve même stupide de ne pas profiter de sa liberté quand on est à la tête du commandement d’une société donnée. Les hommes qui dirigent doivent donc en profiter selon Calliclès puisqu’il déclare : « La vérité, que tu prétends chercher Socrate, la voici, le luxe, l’incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force constituent la vertu et le bonheur ». Autrement dit, pour Calliclès les hommes qui sont en position de force de par leur fonction sociale doivent pouvoir jouir de leurs droits plus étendus que ceux de la masse contrainte à obéir.
Et si ces hommes dirigeants ne se permettent pas de faire tout ce qu’ils veulent c’est par niaiserie et lâcheté. Ainsi Calliclès déclame contre les dirigeants qui veulent se donner des limites à leur liberté : »Toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiserie et néant ». Pour Calliclès, la liberté totale est donc la vraie liberté. Quant à ceux qui critiquent cette conception de la liberté totale; ce sont pour la plupart d’entre eux des jaloux, ou des lâches, ou même des abrutis ! Et pour Calliclès, la plupart des hommes sont dignes de mépris car ils ne sont pas capables de suivre et réaliser tous leurs désirs. La plupart des humains sont contraints et ne sont donc pas des hommes libres. Calliclès donne ainsi sa vision de la liberté sans limites : être libre, c’est « vivre dans la jouissance, éprouver toutes les formes de désirs et les assouvir », il rajoute même : « Si on veut vivre comme il faut, on doit laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les réprimer ». Les gens libres pour Calliclès sont donc ceux qui ont une volonté de puissance (pour reprendre une expression Nietzschéenne) et qui en usent. Les gens libres selon lui, correspondent en général à l’élite dirigeante car ils sont les mieux à même d’exercer leur volonté de puissance.
Mais constate Calliclès, tout le monde n’est pas capable de suivre ses désirs jusqu’au bout, par conséquent, la masse des gens déclare que le dérèglement des passions et la liberté totale sont une mauvaise chose. Pour le jeune détracteur de Socrate, ce type de discours négatif sur la liberté totale ne sont que discours d’impuissants et de frustrés. Les gens qui blâment la liberté pleine et entière manquent tout simplement de courage dans leurs âmes pour Calliclès.
Limites de la thèse de Calliclès, limites de la liberté totale : Socrate patient écoute jusqu’au bout la tirade de Calliclès et va montrer les limites de son raisonnement. Socrate, pour montrer que la liberté totale aboutit à une impasse emploie une allégorie. Socrate va dire que l’âme de l’homme qui assouvit toutes ses passions est semblable au tonneau percé des Danaïdes que l’on ne peut jamais remplir. L’homme qui vit la liberté totale est pareil à ce tonneau jamais rempli, son âme n’est jamais tranquille, car à peine a t-il réalisé un désir qu’il lui faut en assouvir un autre. De même que le tonneau percé des Danaïdes ne peut jamais être rempli, de même l’homme qui s’adonne à la liberté totale ne peut jamais être rassasié. L’excès des désirs entraîne un excès de servitude remarque Socrate. L’homme qui se laisse aller ainsi à ses passions n’est donc pas libre, mais esclave de ses désirs.
On le voit à un niveau individuel, la thèse de Calliclès aboutit à une impasse puisque cela revient à faire l’apologie de la tyrannie (seul celui qui commande jouit d’une liberté totale). Mais on voit aussi qu’à un niveau collectif, la thèse de Calliclès mène également à une aporie, car si tout le monde faisait ce qu’il veut, on n’aurait plus une apologie de la tyrannie, mais une éloge de l’anarchie ! Or, si tout le monde assouvissait ses désirs sans restrictions, cela conduirait à un désordre incommensurable car trop de personnes ont de mauvais désirs.
La thèse de la liberté totale est contradictoire (donc fausse) aussi bien à un niveau individuel qu’à un niveau collectif. Par conséquent, aucune société n’a jamais vraiment permis la liberté totale pour tout un chacun. Ainsi toute société repose et se fonde sur des interdits, l’interdit le plus universel étant la prohibition de l’inceste.
Troisième argument : La liberté totale peut être aussi interprétée comme étant la possibilité de faire un acte gratuit. Si je peux faire ce que je veux, je peux alors me déterminer à faire un acte sans raison apparente. La liberté totale suppose que l’on dispose de son libre arbitre puisque je suis tellement libre que je peux me déterminer à agir sans autre motif que ma propre liberté. André Gide, dans les Caves du Vatican a imaginé la possibilité d’un acte totalement libre comme un meurtre gratuit. Le personnage incarnant l’idée de liberté totale est Lafcadio. Il jette par la fenêtre d’un train en marche un homme qu’il n’a jamais vu auparavant, un inconnu. Lafcadio n’a aucune raison sérieuse pour tuer cet homme, son seul motif est de se prouver qu’il est totalement libre. Mais une telle liberté totale tourne à l’absurdité et emmène l’être humain à faire des actes dénuées de sens réel. La liberté totale, en ce sens, mène donc aussi à une impasse.
La liberté ne peut donc être définie comme étant la possibilité de faire tout ce que l’on veut. Il faut sans doute mettre des restrictions dans cette définition spontanée de la liberté.
DEUXIÈME PARTIE : LA LIBERTÉ, C’EST FAIRE TOUT CE QUE L’ON VEUT, MAIS DANS LE RESPECT D’AUTRUI.
Premier argument ; Si tout le monde faisait ce qu’il voulait sans limites, plus personne ne serait libre. C’est le philosophe Hobbes dans le Citoyen qui imagine qu’à l’état de nature les hommes sont dotés d’une liberté sans restriction, d’une liberté totale et cela s’avère un enfer. Chacun étant absolument libre de faire tout ce qu’il veut, « c’est la guerre de tous contre tous » nous dit Hobbes. La liberté totale est donc contradictoire de manière intrinsèque.
Comme la liberté à l’état civil doit être limitée, il faut la moraliser afin que les rapports humains ne soient pas délétères. Dans la Déclaration de l’Homme d’ailleurs la liberté du citoyen est bornée par la liberté d’autrui. Voici ce que stipule l’article IV, de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de la Constitution de 1791 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société, la jouissance de ces mêmes droits; ces bornes ne peuvent être définies que par la Loi ». Autrement dit, la liberté à l’état civil n’est pas totale, mais elle est normalement et idéalement la même pour tous. La liberté, c’est faire tout ce que l’on veut sans nuire à autrui, ainsi le code de la route propose une liberté dans la conduite mais accompagnée de limites. Les limitations de vitesse sont là pour assurer que personne n’abuse de sa conduite. De même, la liberté à l’état civil met des limites au choix de son conjoint; par exemple on ne peut épouser son frère ou sa sœur, car d’une telle union des enfants ayant des tares pourraient naître. Dans le même ordre d’idées, le vol est interdit à l’état civil, car la première des libertés, c’est le droit à la sécurité et le droit à la propriété.
Argument 2 : Ceux qui croient que la vraie liberté, c’est la liberté totale font des confusions de plusieurs sortes. :
– une confusion entre liberté et libération
– une confusion entre être libre et être libertaire
– une confusion entre Autorité et Autoritarisme
a) Confusion entre liberté et libération
Si je suis libre, je jouis de la liberté. Par contre, si je suis prisonnier ou esclave, je dois me libérer. La libération est légitime quand il s’agit de contester une organisation sociale mauvaise; mais ce désir de libération est absurde si je vis dans une société qui respecte les Droits de l’Homme. Or, dans nos sociétés, beaucoup d’individus et de jeunes croient que la liberté, c’est tout contester : ils opèrent une confusion entre liberté et libération. Faire tout ce qu’ils veulent, en ce sens, c’est se libérer de toute contrainte morale ou sociale, ce qui risque de nuire à autrui.
b) Confusion entre « être libre » et être libertaire »
Beaucoup d’individus font donc aussi une confusion pernicieuse entre « être libre » et « être libertaire ». Le libertaire est dans une logique de libération et aussi de transgression vis à vis des interdits sociaux. Mais le problème est que le libertaire croit que la liberté consiste à ne pas avoir de limites; il a une vision illusoire de la liberté, dans la mesure où il a une tendance anarchisante.
c) Confusion entre Autorité et Autoritarisme
Dans la liberté à l’état civil, l’individu est bien obligé d’obéir à certaines règles pour que la vie sociale soit possible. Par exemple, le citoyen doit accepter de se plier aux règles du code de la route. Ainsi les gendarmes ont autorité pour arrêter les conducteurs ne respectant pas le code de la route, car ils mettent en danger non seulement leur vie, mais aussi celle des autres. Dans la mesure où l’individu arrêté a bien transgressé les règles de la prudence et de la maîtrise de son véhicule, l’action des gendarmes est légitime. L’autorité des gendarmes ne vient pas contrevenir à la liberté. Mais si évidemment, le conducteur est arrêté alors qu’il conduisait correctement, on peut dire que l’action des gendarmes est abusive et fait preuve d’autoritarisme (qui est un abus d’autorité). Mais toute autorité n’est pas à contester. Or, c’est ce que croient certains individus immatures, toute autorité leur apparaît autoritariste. Sans doute qu’une tendance libertaire dans un individu a une origine psychanalytique, mais la vie en société ne peut fonctionner sans l’exercice de l’autorité de certaines personnes sur d’autres. Ainsi, par exemple, le professeur a autorité sur ses élèves pour pouvoir faire cours. Il n’y a là rien d’aliénant pour les élèves dans la mesure où le professeur a le souci pédagogique de bien faire son travail.
La liberté à l’état civil ne peut pas fonctionner sans le respect de certaines règles sociales. Et pour que ces règles soient appliquées, il y a la nécessité d’individus qui exercent une autorité sur les autres. Bien entendu, les personnes qui exercent une autorité doivent elles-mêmes pouvoir être contrôlées et destituées de leur fonction si elles abusent de l’autorité qui leur est conférée par la société. Car toute institution humaine repose sur un exercice de l’autorité, mais si celle-ci ne peut être remise en cause, l’institution finit par être dévoyée. Il faut donc des organismes de contrôle pour chaque institution. Mais les contrôleurs eux-mêmes doivent pouvoir être renvoyés s’ils exercent leur autorité de manière partiale. Prenons le cas d’un professeur faussement accusé d’avoir dit des choses irrégulières en cours, le recteur peut suspendre ce professeur et le renvoyer s’il y a vraiment preuve à l’appui faute de ce professeur. Mais si le professeur s’avère innocent de ce dont on l’accuse, et si le recteur (après enquête) renvoie le professeur quand même. Alors le recteur (après enquête) doit pouvoir lui-même être renvoyé s’il a abusé de son autorité pour faire prévaloir une injustice. Et ce contrôle de toute autorité doit pouvoir s’exercer jusqu’à la Présidence de la République, si on veut vivre en démocratie. Car c’est à partir de ce risque réel du dévoiement des institutions, que certains individus, confondant tout et restant immatures à vie rejettent toute forme d’autorité.
Troisième argument : L’homme libre ne fait pas tout ce qu’il veut, dans la mesure où il a le respect d’autrui, il se donne des limites comportementales; et de plus il a tendance à privilégier la qualité des expériences plutôt que la quantité d’expériences. Or, celui qui n’admet aucune autorité, qui est libertaire, dans son désir de transgression-libération veut en général faire le plus d’expériences possibles, jouir le plus possible en multipliant les expériences. Cela peut être la vitesse en voiture, mais aussi l’usage de drogues interdites, ou encore des aventures sexuelles avec peu de sentiments. Pour le libertaire, tout est prétexte pour se donner le plus de sensations possibles, pour se sentir exister.
Mais cette démarche est absurde, car même si on met entre parenthèses la question morale; tout homme est mortel. Et c’est parce que nous sommes mortels, que nous n’avons pas un temps infini devant nous, que nous avons intérêt à privilégier la qualité des expériences à leur quantité. Prenons par exemple le cas de Don Juan, il séduit de nombreuses femmes, mais il n’en connaît vraiment aucune, car il n’en a aimé aucune. Si nous n’étions pas mortels, il n’y aurait peut-être pas une telle urgence à privilégier la qualité sur la quantité; mais comme nous le sommes, il faut nous investir dans nos expériences de vie.
Or pour avoir des expériences de qualité, il faut du temps. Par exemple, pour vivre le grand amour, il faut s’engager vis à vis de l’autre, il faut prendre ses responsabilités pour cimenter le couple. Ce n’est pas un individu libertaire qui sera capable d’un tel engagement. Aussi n’envions pas Don Juan parce qu’il multiplie les conquêtes, car au fond Don Juan est un homme qui fuit chaque femme rencontrée et séduite, Don Juan est en fait un impuissant.
Or, la liberté est un état désirable, si la liberté nous rendait impuissant, nous n’en voudrions pas. Don Juan n’est donc pas un homme libre, mais un libertaire qui méjuge de sa liberté.
Quatrième argument : Enfin, si la liberté, c’est faire ce que l’on veut sans nuire à autrui, cela signifie qu’avoir l’ accord d’autrui n’est pas suffisant pour délimiter ce que j’ai le droit de faire ou pas avec il ou elle. Par exemple, un individu peut vouloir débaucher un mineur. Le mineur peut donner son consentement, mais cela n’autorise pas pour autant l’adulte à satisfaire son désir. Donc l’accord d’autrui ne légitime pas une action de notre part si elle lui est nuisible; car autrui, notamment s’il est jeune et sans expérience, peut ne pas se rendre compte de ce qui lui est nuisible ou pas.
Autre exemple, un individu peut s’amuser à vouloir faire boire plus que de raison une autre personne; la personne qui est invitée à boire de manière déraisonnable peut être d’accord .Mais si cela débouche sur un coma éthylique, l’individu qui a incité à boire a abusé de sa liberté pour manipuler autrui. Donc, la liberté à l’état civil suppose le respect d’autrui, et de ce fait l’exercice de la liberté humaine repose donc sur une maîtrise de soi-même.
Mais cette maîtrise de nous-même, comment l’acquérir sans éducation ?! Cela est impossible. Donc qui dit liberté, dit aussi éducation à la liberté. Car le problème, c’est que les individus mal élevés prennent cette maîtrise de soi pour une servitude. Un individu mal éduqué aura, en effet, tendance à prendre la moindre contrainte pour une entrave à sa liberté.
TROISIÈME PARTIE : COMME LA LIBERTÉ N’EST PAS FAIRE TOUT CE QUE L’ON VEUT, MAIS FAIRE TOUT CE QUE L’ON VEUT SANS NUIRE À AUTRUI, IL Y A UNE NÉCESSITÉ DE L’ÉDUCATION.
Autrement dit, la liberté n’est pas un état donné de fait. L’homme né libre en droit, mais pas en fait. Pour que l’homme soit libre en droit et en fait, il faut que le sujet ait acquis une certaine autonomie de pensée; cette autonomie de pensée qui rend l’individu responsable est normalement le produit de l’éducation.
Premier argument : Comme l’homme ne naît pas raisonnable, il y a nécessité de l’éducation; car sinon l’être humain risque d’être séduit par la liberté totale. La liberté totale, comme nous l’avons vu avec la thèse de Calliclès mène à une illusion puisque l’on se retrouve asservi à ses désirs. Et là, il y a un paradoxe qu’il faut souligner et que Kant a mis en relief dans ses Réflexions sur l’Éducation, c’est que pour qu’un homme soit libre un jour, il faut lui avoir appris à obéir dans sa jeunesse. Kant dit même qu’il y a nécessité d’un certain « dressage » de l’enfant, mais le but final est la conquête de l’autonomie par le jeune adulte.
Bien sur , Kant sait que par cette phase de l’éducation où l’enfant apprend à obéir à l’adulte, il y a un risque de dérive. Kant est bien conscient qu’il y a toujours un risque des moyens disciplinaires quand on éduque un enfant car « l’éducation doit comprendre la contrainte sans devenir un esclavage ». L’éducation exige un savant dosage de discipline et d’instruction car « je dois habituer l’élève à tolérer une contrainte pesant sur sa liberté, et en même temps, je dois le conduire à faire un bon usage de sa liberté ». Car pour l’homme privé d’éducation, la liberté n’est qu’un mirage. Aussi pour Kant, le dressage de l’animal n’a rien à voir avec le « dressage » de l’enfant. Le but du dressage animal est d’apprendre à la bête des réflexes de manière mécanique. La finalité du dressage de l’animal est donc l’obéissance. Tandis que le « dressage de l’enfant » est là pour donner de bonnes habitudes; la finalité du dressage de l’enfant est la liberté. Le but de la discipline selon Kant n’est pas de mater l’enfant, mais de « transformer l’animalité en humanité ». Car comme l’homme n’a pas d’instinct comme l’animal, on doit fixer sa conduite par l’apprentissage.
Deuxième argument : Cependant la discipline n’est qu’une partie de l’éducation. La seconde partie est l’instruction . Et pour l’acquisition de la liberté, l’instruction est fondamentale. La discipline, comme le remarque Kant dans ses Réflexions sur l’Éducation n’est que l’aspect négatif de l’éducation; la partie positive est l’instruction. Mais s’il n’y a pas un minimum de discipline, l’enfant ne peut être instruit. Si par exemple, les élèves font du chahut en classe, ne sont pas disciplinés, le professeur ne peut les instruire.
Donc même si la discipline est moins noble que l’instruction, elle est néanmoins indispensable. Car pour Kant, l’homme au départ de son existence est comme « à l’état sauvage ». Par « état sauvage« , Kant entend une certaine indépendance envers les lois. Ainsi au début, à l’école, les enfants pendant les années de classe maternelle apprennent à se discipliner pour s’asseoir et être attentifs à ce que dit la maîtresse. Et selon Kant, si l’on a pas très tôt recours à la discipline, (à l’école, bien sur), on va égarer l’enfant par rapport à son comportement futur, ultérieur, quand il sera grand. Ainsi Kant déclare : »Si en sa jeunesse, on laisse l’homme n’en faire qu’à sa volonté et que rien ne lui est opposé, il conserve durant sa vie entière une certaine sauvagerie ». La remarque de Kant est si vraie que nos hommes politiques actuels aiment bien employer le mot « sauvageons » pour parler de la jeunesse délinquante. Autrement dit, pour Kant, l’homme ne peut devenir libre que s’il a été bien éduqué, ce qui passe par l’acquisition d’une certaine discipline (par exemple, apprendre à se coucher et à se lever tôt pour être concentré à l’école).
Et pour notre philosophe, il est encore plus grave de ne pas être discipliné que de ne pas être cultivé; car celui qui n’est pas cultivé est à « l’état brut », tandis que celui qui n’est pas discipliné est « à l’état sauvage« . Or, autant on peut s’instruire quasiment à tout âge de la vie, autant discipliner une personne « sur le tard » est difficile. Voilà pourquoi aux USA, il existe encore ce qu’on appelle « des maisons de redressement » pour essayer de recadrer des jeunes sans repères dans leur conduite au moment de l’adolescence.
Troisième argument : Mais l’éducation ne peut être complète sans l’apprentissage de la moralité; car le but de l’éducation est d’apprendre à faire un bon usage de sa liberté. Cependant, comme le souligne Kant, bien souvent les parents commettent l’erreur éducative de vouloir d’abord adapter leurs enfants à la société dans laquelle ils vivent; au lieu de leur enseigner la moralité en priorité. Cette dérive éducative que l’on retrouve chez bon nombre de parents est compréhensible, dans la mesure où les parents aimant leurs enfants veulent leur réussite. Un des soucis majeurs des parents est la réussite de leurs enfants, mais il ne faut pas que ce souci vienne contrecarrer l’apprentissage de la moralité. Il ne faut pas que les parents se mettent à inculquer à leurs enfants « qu’il faut réussir à tout prix » au détriment de la moralité.
D’ailleurs dans ses Réflexions sur l’Éducation, Kant se demande comment des parents pourraient éduquer leurs enfants dans une société très corrompue et pervertie ! Car on ne peut sacrifier l’acquisition des repères moraux; mais la tâche est rendue plus difficile évidemment s’il y a par exemple des affiches publicitaires immorales tout le long des rues où se promènent les enfants ! Néanmoins malgré la décadence actuelle, il faut éduquer les enfants à la moralité, car c’est la seule manière pour qu’ils soient capables de faire un bon usage de leur liberté à l’âge adulte.
CONCLUSION
Comme la liberté n’est pas faire tout ce que l’on veut, mais faire tout ce que l’on veut à condition de respecter autrui; il y a une nécessité de l’éducation pour arriver à la « vraie liberté ». Et Kant, dans ses Réflexions sur l’Éducation a fixé quatre buts à l’éducation. Il y a la discipline. La liberté passe par l’apprentissage de l’obéissance, car en obéissant à autrui, on apprend à se contrôler. Et à l’âge adulte, l’individu ne sera plus commandé, parce qu’il sera capable de se commander lui-même. Le deuxième but de l’éducation est la culture, l’instruction proprement dite. Il est important d’être cultivé et instruit pour être libre, car sinon on risque d’être dominé par n’importe qui comme les sophistes, les démagogues et les dictateurs. Le troisième but de l’éducation est selon Kant la prudence; c’est à dire qu’il faut que l’enfant ait une adaptation minimale à la société, sinon il risque d’être totalement exclu. Enfin, le but ultime de l’éducation est la moralisation de l’enfant afin qu’il ne s’égare pas avec sa liberté. Par contre, ce que l’on peut reprocher à Kant, c’est que n’ayant pas eu d’enfant, il n’a pas vu à quel point l’amour donné à l’enfant est fondamental pour le futur adulte. Mais à l’époque de Kant, la psychanalyse n’existait pas !
En outre, la liberté n’est pas qu’une simple obéissance à la raison, c’est aussi savoir écouter son inspiration et ses sentiments, c’est pourquoi les individus les plus libres ont souvent été des artistes.
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