Homme, sweet homme
Dans ce troisième roman de l’auteure, ce sont les relations familiales qui sont passées au crible, et la connaissance effective que nous avons de ceux qui sont censés nous être les plus proches. Or, y compris, dans ce domaine des plus intimistes, il n’est pas exclu, selon Clare Mackintosh, que nombre d’évidences méritent d’être repensées.
Pour installer ce cadre que l’on pressent borderline, la romancière fait fort en choisissant une famille bien particulière : celle d’Anna, l’héroïne bi-polaire de 26 ans, dont les deux parents, Tom et Caroline Johnsonn ont choisi il y a deux ans et à sept mois d’intervalle de se donner la mort en sautant d’une falaise, Beachy Head, réputée chez les suicidaires !
Le livre commence sur les atermoiements et troubles de la jeune femme, certes entourée par son oncle Bill et sa nièce Laura mais bien incapable d’accepter la décision de se suicider de ses parents (dont corps n’ont jamais été retrouvés) et en proie à un chagrin aussi tenace que légitime.
Un état d’esprit que vient troubler, comme si besoin était, le fait qu’Anna, qui vit dans l’ancienne demeure des Johnson, est entretemps devenue maman (au passage grâce au psychothérapeute, Mark, qu’elle a consulté pour se remettre de la disparition de Tom et Caroline).
C’est dans ce contexte que, à la veille des fêtes de Noël, le jour de l’anniversaire de la mort de sa mère, un message anonyme vient mettre le feu aux poudres en annonçant qu’il ne s’agissait pas d’un suicide, ce qui amène la jeune maman un rien névrosée d’Ella à vouloir découvrir ce qui est vraiment arrivé à ses parents.
Sur la foi de ces prémices, on pourrait penser que Laisse-moi en paix, avec son titre à double sens, va décliner la grammaire d’un récit psychologique à deux sous sur les méandres du deuil, la difficulté de la reconstruction d’une femme au foyer dont l’époux est accaparé par son travail et qui doit éviter le baby blues qui la guette. Or il n’en est rien.
Si l’histoire de cet envers du décor familial, dans ces deux premières parties, plutôt lentes, construit et solidifie tous les éléments de l’intrigue un à un, elle gagne aussi en complexité — notamment dès que Anna sollicite la police (en la personne de Murray Mackenzie, un flic retraité old school qui fait du bénévolat au bureau de police, préposé à l’accueil) en demandant qu’elle relance l’enquête. Et dès qu’intervient dans le texte, en contrepoint des points de vue d’Anna et de Mackenzie, une mystérieuse troisième personne qui chamboule les représentations du lecteur…
Cette pluralité de perception des mêmes événements fait tout l’intérêt du roman, entrecoupé des problèmes de Mackenzie qui n’a pas non plus de “foyer” au sens propre, car sa femme malade et fréquentant souvent une institution psychiatrique est elle-même une experte en suicide. La normalité, tant sociétale que psychique, prend ainsi une bonne claque et l’on suit avec un plaisir coupable les tourments de l’instable Anna, dont on se demande si à son tour elle ne va pas perdre le peu d’esprit qui lui reste à force d’été hantée, en quelque sorte, par les spectres de ses parents.
Ce dialogue à plusieurs entre deux personnes déterminées à trouver la vérité à tout prix et une autre, plus fantomatique, qui cherche à les en dissuader constitue le nerf de la guerre de Laisse-moi en paix et assure un final explosif.
Ce qui permet à ce thriller psychologique, inoculant un doute pandémique dans tout ce qui structure notre quotidien et qui fait de nous des êtres soi-disant civilisés, de tenir toutes ses promesses.
frederic grolleau
Clare Mackintosh, Laisse-moi en paix, trad. Françoise Smith, Marabout Thrillers, avril 2018, 384 p. - 19,90 €.
Commenter cet article