Ou comment gâcher une belle idée
« Il y a très longtemps alors qu’on pouvait encore faire des vœux, vivait un roi dont toutes les filles étaient belles. » La plus jeune d’entre elles l’était encore plus. Un jour où elle se rafraîchissait au bord d’une fontaine, elle laissa tomber sa balle en or au fond de l’eau. Surgit une grenouille, qui, contre la promesse de son amour, plongea pour la lui rapporter… »
Ainsi débute le conte de Grimm « La fille du roi et la grenouille » qui sert de prétexte idéal dans cette collection « Il est une fois » chez Pygmalion à ce qui paraît, sur le papier, une belle idée éditoriale (pour ne pas dire un filon) : procéder à la réécriture moderne d’histoires (présentées à la fin de l’ouvrage) ) plus ou moins tombées en désuétude afin de leur redonner une prime jeunesse et une certaine intemporalité !
« Le roi grenouille , « Henri de fer » ou « Henri-le-ferré » (parmi ses nombreuses appellations), c’est l’histoire d’une jeune princesse perdant sa balle dorée dans une fontaine et promettant à une grenouille de la laisser manger et dormir à ses côtés, bref de partager son quotidien au château si elle la récupère. La grenouille s’exécute mais contre toute attente la princesse renie ses paroles. Elle va même jusqu’à lancer violemment la grenouille contre un mur… et c’est alors que cette dernière se transforme en prince et l’épouse.
Un conte étonnant donc, où une jeune fille se parjure, moleste un batracien et gagne quand même un prince in fine : drôle de morale! Mais, pour se pénétrer du sens profond du conte et en extraire la substantifique moelle à l’intention des lecteurs contemporains, encore aurait-il fallu que l’auteure, quitte à faire varier la forme – rien de grave tant que le fond demeure – , prenne toute la mesure du texte de départ.
Or ce n’est pas le cas ici : par ses choix d’écriture, Christy Saubesty montre assez rapidement que le conte originaire ne sert que de pré-texte pour narrer, sans relief aucun, les pâles tribulations de l’héroïne fleuriste Marie et de son crapaud-prétendant avocaillon Mathieu. Il s’agit certes bien d’amours contrariées et de dépasser des prémices désagréables mais, là où Grimm dans un très court format excellait à distiller un sens, ô combien !, subversif (allant à l’encontre de la morale habituelle ), ce Gentleman dans l’étang nous soumet des dialogues aussi vulgaires que poussifs et rebattus doté d’un scénario qui semble s’inscrire dans la seule ligne éditoriale de la collection Harlequin.
Certes encore, Marie l’apeurée et l’entreprenant Mathieu qui se rencontrent au parc – le jeune homme se « mouillant » pour rendre à sa future prétendante un collier qui a chu dans l’étang à ses pieds – vont devoir apprendre à oublier leurs peines de cœur, à briser la fausse carapace leur servant de protection pour s’ouvrir l’un à l’autre, mais l’ensemble de cette romance légère demeure bien mince.
Là où l’on attendait une réflexion subtile sur les méandres du bonheur, la dialectique du désir et de l’altruisme ou encore les affres du narcissisme, l’on reste sur sa faim.
Les pistes ne manquent pas pourtant (que ce soit avec la Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim (voir « Le cycle du fiancé-animal dans les contes de fées ») ou ce qu’évoque François Fièvre , “La scène à la fontaine dans “le Roi Grenouille”, une scène fondatrice”) qui permettent d’exposer toute la richesse sémantique, philosophique, psychanalytique etc. de Grimm.
Au lieu de cela, on a droit à un gâchis total de ce qui s’annonçait comme prometteur. Ce qui nous rappelle, si besoin était, que moderniser ne signifie pas raboter ou saboter.
frederic grolleau
Christy Saubesty, Un gentleman dans l’étang, Éditions Pygmalion, collection Il est une fois, 2018, 262 p. — 12,90€.
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