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Henry Koster, "Harvey" (USA - 1950)

Publié le 22 Juin 2018, 13:11pm

Catégories : #Philo & Cinéma

Henry Koster, "Harvey" (USA - 1950)

Happiness Therapy

Ah, mon vieux, les mirages existent. Un verre, deux verres et puis hop, tout n’est qu’illusion. Échappatoire à une réalité compromise par le manque de vie. Vivre, c’est être confronté à l’ivresse de vie,…ah l’ivresse, source d’un bonheur momentané. Ce n’est pas la Gueule d’Amour à côté de moi qui dira le contraire. Lui, il rêve de voyages, d’un retour en arrière, sursaut nostalgique dans la monotonie de son existence. Trinquer pour s’égarer dans l’emphase des souvenirs, seule consolation et fulgurance au laisser-aller de l’homme, voilà notre finalité : nous divaguons tous sur les bords du fleuve Yang-tsé-Kiang et de sa luxuriante nature, nous avons besoin de décrocher de cette terne réalité pour dépasser notre condition. L’alcool, c’est la promesse d’une grande évasion sous couvert d’une grande illusion mais à vrai dire c’est l’état d’esprit de l’ivrogne qui transcende sa perception du nécessaire. Son détachement frivole lui permet de vivre le présent sans considération pour l’avenir, juste accompagné de sa joyeuse rêverie. L’alcoolique serait-il un humaniste ? James Stewart l’est du moins à travers l’allégresse de ses rôles, et ce n’est pas un p’tit verre de bisounours qui t’empêchera de jubiler devant Harvey.

 

Harvey est en chacun d’entre nous. C’est la face positive de ta face négative, c’est le Yin de ton Yang si tu veux. Harvey c’est aussi un état d’esprit qui exhorte un bonheur idéalisé, un hymne à dépasser les conventions pour s’affirmer en hédoniste, une sorte d’invitation à nouer des liens à l’heure où la société s’individualise. Harvey, c’est la petite part de générosité qu’il reste en nous, cette part qui fait de toi un être humain capable d’humanité. Mais Harvey, c’est avant tout un acteur, James Stewart, le seul, l’unique susceptible d’élever la bonté à un niveau universel sans tomber dans une niaiserie dégoulinante de bons sentiments. Parce que le bonhomme sait scotcher l’attention de son spectateur. Sans Indiscrétions, qui n’est jamais tombé sous le charme de ce Mr. Smith au grand cœur ? Tout est une question d’interprétation en somme et James Stewart apparaît comme le centre moteur de Harvey. Rien qu’à travers ce monologue émotionnellement percutant à la lumière de l’arrière bar,Stewart s’empare de notre âme. Un narrateur capable de nous éblouir à la vue d’une fleur qui se fane. Une leur d’espoir germe et on se rêve désengagé de la société, faisant face aux larges horizons de la rencontre, du voyage et de l’émerveillement. « Oublier notre misère », voilà l’objectif d’Harvey, tout est une question de beauté, d’humanité et de générosité, une sorte d’ersatz de La vie est belle en somme.

« Oh, every day is a beautiful day. »

 

A quoi bon rechercher une finalité ou une rationalité dans une chose qui ne peut s’apprécier qu’à travers son excentricité ? La magie d’Harvey repose en effet sur son ambiguïté constante à soupçonner l’existence de ce lapin géant. Cette ambivalence conduit à alimenter le schéma classique de la screwball comedy, basée sur d’interminables plaisanteries, chassé-croisé au service de l’optimisme populiste. Harvey semble même éviter toute leçon de civisme ; certains y verront pourtant une certaine critique de la bourgeoisie : à trop vouloir s’opposer à la marginalité d’Elwood P. Dowd, sa sœur, parfaite aristocrate, se retrouve – malencontreusement – enfermée en psychiatrie, une sorte de renversement des classes elliptique, même s’il s’agit d’un approfondissement pour un film sûrement bien loin de toute considération marxiste.Harvey pose néanmoins un raisonnement philosophique, celui d’un idéal de l’imagination, d’un bonheur basé sur le Carpe Diem (petite pensée pour le professeurKeating) où la raison n’a pas sa place. Nous ne pouvons obtenir réelle satisfaction qu’en se laissant guider par l’irréel, des fantasmes aux espérances. Mais Harvey est avant tout un hymne à la bonhomie, à l’affabilité, une ouverture d’esprit privilégiant autrui à l’amour-propre, symbole d’une unité utopique compromise par les convoitises de chaque homme.

« Il y a des années, ma mère me disait : « Elwood – elle m’appelait toujours Elwood – dans ce monde, pour réussir dans la vie, tu dois être ou très malin, ou très gentil. » Pendant des années, j’ai été malin. Aujourd’hui, je recommande la gentillesse. »

 

Rien de tel qu’une comédie humaniste pour redonner foi en la mutualité. En dépit d’une réalisation académique, Harvey s’imprègne d’une tendresse épidémique proche du sentimentalisme familial adulé par Capra. Et bizarrement, John Ford lui aussi n’est jamais très loin, l’atmosphère d’Harvey transparaît dans les derniers mots de Stagecoach, entre ironie et bonté infinie :

-Doc, I’ll buy you a drink.
-Just one.

Harvey inspire autant qu’il distrait. Il reflète à la fois nos désirs et nos craintes, incite à élargir notre microcosme et à profiter de la vie même quand celle-ci peut paraître infortunée. Elwood P. Dowd, c’est l’homme qu’on rêve secrètement d’être mais qui ne peut se matérialiser, tempéré par une société indifférente et des bornes de conformisme à respecter. Si Harvey s’affirme comme un fleuron de sincérité, les lauriers reviennent à James Stewart (et à l’éblouissante Peggy Dow), étoile affectée et attachante d’une fiction séduisante. Et malgré toute la haine (ou non) que vous pouvez porter à ce genre de comédie, un seul mot restera sur vos lèvres : Harvey… Bon, sers-nous trois verres Charlies’il te plaît, un Picon-bière pour Jean et moi, et une bonne ration d’Harvey pour toi lecteur.

source : https://cineyourlife.wordpress.com/2016/07/08/critique-de-harvey/

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Restons aux USA, et remontons jusqu'en 1950 pour voir un drôle de film : HARVEY de Henry Koster, dans lequel on retrouve avec plaisir le grand James Stewart.
James Stewart a un grain, et pas un petit. Homme affable, gentil et serviable, il vit dans une grande et belle maison, acquise en héritage après la mort de sa mère avec laquelle il vivait. Vivent à ses côtés sa sœur, un peu plus âgée, et sa nièce, une sorte de Catherinette qui sent que le temps est train de passer et qui tarde à trouver un mari. Cet après-midi là, la sœur de Stewart organise une sorte de tea-party avec ses vieilles amies, grandes bourgeoises comme elle, tea-party qui sera peut-être l'occasion de montrer la nièce et peut-être de lui trouver un homme, ou au moins faire passer le message comme quoi elle est en recherche.  Alors que les premières invitées arrivent, la sœur de Stewart appelle un proche de la famille, qui est juge, afin de s'assurer que Stewart ne viendra pas troubler la petite sauterie. Parce que le problème avec Stewart, outre sa gentillesse et outre le fait qu'il passe son temps à discuter dans les bars (et donc, on s'en doute, à boire pas mal), le problème avec Stewart, c'est qu'il a un gros grain. Ça ne se voit pas tout de suite, mais quand même, cette folie qui n'est plus passagère est assez gênante pour priver sa sœur et sa nièce de toute vie sociale.
Le problème de Stewart, c'est qu'il a tendance à parler tout seul dans la rue. Et le problème de Stewart, c'est son copain Harvey, un sacré personnage. Eh oui, Harvey, le meilleur copain de Stewart est un gros lapin de 1.90m! Et complètement invisible aux yeux de tous, sauf à ceux de Stewart, qui vit quasiment tout le temps avec lui et ne manque, comme de bien entendu, jamais une occasion de le présenter aux gens qu'ils rencontrent!
 
HARVEY est un film hollywoodien des années 50 assez atypique, et on peut raisonnablement revenir dessus et découvrir ce beau métrage bien ficelé. Le film se déroule tout au long d'une journée. James Stewart, évidemment, ne manquera pas de revenir chez lui pendant la réception de sa sœur et de faire fuir les invités, effrayés par l'énorme absence de lapin à ses coté! Sa sœur décidera de le faire interner.
Le film se base sur un ton léger, et le récit mêle habilement une description de la vie de Stewart et les divers quiproquos boulevardiers qui émaillent la tentative d'internement de celui-ci. Des quiproquos de situations, certes, mais aussi des quiproquos de langage. Car c'est bien de ça que parle le film de Henry Koster. Tout le monde parle et s'affole dans tous les sens. Personne n'écoute vraiment ce que dit l'autre, et surtout tous pensent comprendre telle ou telle situation immédiatement, au premier coup d’œil,  alors que la réalité est souvent, au contraire, complexe et faite uniquement de hasards. Hasards que comprend par intuition James Stewart, qui vit à un autre rythme, beaucoup plus tranquille et plus attentif, au fil de ses conversations avec Harvey, le lapin invisible. Au fur et à mesure de cette comédie qui commence un peu à la Capra, Henry Koster aligne les points noirs. Par petites touches et petits non-dits, c'est une description assez sombre de tout ce petit monde qui est donnée. La société est un système où les incohérences normales et coutumières sont absorbées et invisibles pour tous. Il suffit de très peu pour gripper toute la machine ou plutôt pour la faire sortir de ces rails et la voir s'emballer. Quand tout part en sucette, le Chaos revient par la grande porte, affole tout le monde, et finalement c'est Harvey et Stewart qui deviennent le seul point fixe et calme, le seul point sur lequel on peut se repérer. Parce qu'ils est inconscient et idiot au sens Dostoïevskien du terme, le Stewart est un mec difficile à appréhender, et rusé malgré lui. On s'amuse évidemment beaucoup et Koster n'épargne rien ni personne : l'institution psychiatrique, violente, barbare, et même effrayante en hors champs, la psychologie dont la grille de lecture semble totalement dérisoire  et simplette (elle est plus une institution sociale qu'un mode d'analyse), les sentiments (qui dans l'amour sont complètement changeants et trompeurs et qui, en général, poussent les  gens à faire le mal pour le bien), etc. La métaphore est aussi sociale que psychologique. On sent que le vernis poli de ce film de studio est craquelé finement, mais de partout, et que le peu de ce qu'on voit à travers ces craquelures est absolument effrayant.
 
Kustler a la chance d'avoir un superbe scénario, très bien écrit et aux développements efficaces et subtils. Il s'en donne donc à cœur joie, mais avec rigueur. La lumière est belle, le cadre soignée et le découpage efficace, même s'il suit la trame narrative. C’est justement dans l'absence ou la présence des personnages à l'écran que tout se joue. Où est Harvey ? Où est Stewart ? Où est sa sœur quand elle est internée par erreur ? Etc. Même si on a un peu peur pendant tout le film que tout cela se transforme en une ode édifiante et lénifiante sur la Tolérance (beurk, beurk), Kostler ne tombe jamais dans ce travers, et préfère jouer de quelques paradoxes simples mais judicieusement placés qui tournent autour des idées suivantes : on peut faire en sorte de faire comme si Harvey était là, la vérité n'est que ce qu'on conçoit qu'elle est (dogme Dickien), Harvey n'existe pas mais il disparaît quand même, on peut arriver aux bonnes conclusions en interprétant mal ce qui se passe autour de nous (mais on se trompe toujours quand on est sûr de son jugement), Harvey pourrait arrêter le temps s'il le veut, etc...
Bref, Koster a à sa disposition un ensemble de petits leviers, même naïfs parfois (Harvey qui ouvre des portes) qu'il utilise avec malice pour former un ensemble paradoxal mais cohérent. James Stewart est très bien, comme d'habitude et on s'ébahit une fois de plus de l'incroyable modernité de son jeu. Il joue toujours avec la souffrance et la douleur au ventre, ce qui rend le film encore plus fort et plus noir. On peut-être également étonné par la solitude terrible de son personnage, non pas induite par le lapin Harvey, mais par la Société qui nous entoure. En un mot, voilà un petit film qui met le doigt dessus, sans avoir l'air d'y toucher. Les américains sont très forts pour ça.
Et il faut, après le film, tresser un joli pont temporel entre ce fil et DONNIE DARKO qui, dans une autre tonalité et avec un sujet assez radicalement différent, s'est largement inspiré de Koster, en le trahissant avec grande classe. Que ce soit ici, ou dans ce chef-d’œuvre qu'est  DONNIE DARKO, on retrouve la même recherche et la même conclusion : on meurt seul. [Superbe plan final dans HARVEY, en forme de anti-happy end.]
 
source : http://matiere.focale.over-blog.com/article-170016.html
 
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