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Reynald Secher, "Le miroir sans retour"

Publié le 5 Mai 2018, 16:49pm

Catégories : #ROMANS

Reynald Secher, "Le miroir sans retour"

L’Homme est un révo­lu­tion­naire pour l’Homme

Connu voire reconnu pour ses ouvrages sur le géno­cide ven­déen, Rey­nald Secher, qui est le conser­va­teur du musée des Guerres de l’Ouest (Ven­dée et Chouan­ne­rie) et l’auteur du concept de mémo­ri­cide, endosse ici la cas­quette – non sans panache – de l’écrivain pour nous pré­sen­ter avecLe miroir sans retour un roman his­to­rique.
Celui s’ouvre et se clôt en 1832 par la confes­sion du doc­teur Valen­tin  Ché­ve­tel, sou­la­geant sa conscience auprès du curé d’Orly, là où il réside, comme reclus de la vie publique,  depuis fort long­temps. Même si le curé ne sera pas in fine aussi édi­fié qu’on le pense, le lec­teur, lui , ne man­quera d’être pétri­fié par les sombres révé­la­tions – la plu­part assisses sur des faits authen­tiques consi­gnés dans les archives dont s’inspire l’historien — du sinistre docteur.

Loin d’un énième roman sur les guerres de Ven­dée auquel on pou­vait s‘attendre de la part du spé­cia­liste Sécher, ce sont plu­tôt les tur­pi­tudes inté­res­sées de cer­tains révo­lu­tion­naires (Dan­ton, Robes­pierre, Fouquier-Tinville, Marat, Fabre d’Eglantine… ) – uni­que­ment mus, par-delà l’idéal poli­tique, par l’appât du gain et la soif du pou­voir – que décrit l’ouvrage. Autant de « figures » his­to­riques au sens hégé­lien rame­nées ici à une cohorte de scé­lé­rats (ils sys­té­ma­tisent juri­di­que­ment et léga­le­ment des struc­tures de pillage à grande échelle)  aux­quels Ché­ve­tel tient la dra­gée haute, engagé qu’il est dans un pro­ces­sus — tel le miroir lui ren­voyant son image qu’il brise dans les pre­mières pages du récit  - sans retour.
Il faut dire que, d’extraction modeste, le fort jaloux doc­teur, confronté par hasard à une vie plus plai­sante et douce grâce au mar­quis de  de La Rouë­rie  (un Bre­ton pur souche,  roya­liste libé­ral ayant servi aux côtés de La Fayette dans la Guerre d’indépendance des États-Unis opposé, à la tête de l’Association bre­tonne, à la fois à la Consti­tu­tion civile du clergé et aux édits révo­lu­tion­naires de sup­pres­sion des par­ti­cu­la­rismes bre­tons), va déci­der de conclure une sorte de pacte faus­tien avec lui-même, un choix lourd de consé­quence en pleine période révo­lu­tion­naire puis au sein de la Terreur.

Cet apôtre du mal va ainsi mul­ti­plier intrigues dia­bo­liques et ruses machia­vé­liques dénuées de tout scru­pule et de toute morale afin de construire sa for­tune per­son­nelle en tra­his­sant et envoyant à l’échafaud tous ceux (dont des membres impor­tants de la figures de la chouan­ne­rie) qui ont le mal­heur de lui faire confiance.  En totale contra­dic­tion avec sa voca­tion de méde­cin ayant prêté le ser­ment d’Hippocrate, l’hypocrite citoyen Ché­ve­tel, en pré­cur­seur du serial killer contem­po­rain,  n’a de cesse de s’enrichir en tuant ou en fai­sant tuer  les mal­heu­reux qu’il ren­contre en che­min.
Ce qui entraîne des dégâts col­la­té­raux et de lourdes modi­fi­ca­tions du flux his­to­rique car nul ne sait ce qui serait advenu si, sans le démo­niaque Ché­ve­tel aidé du sinistre homme de main Lal­li­gand qui  sont par­ve­nus à la faire dis­soudre, l’Association bre­tonne du mar­quis de La Rouë­rie, sou­te­nue par les fameux et influents Emi­grés, avait pu, avant la mort du Roi, rejoindre  les sou­lè­ve­ments ven­déen, mayen­nais et nor­mand pour contrer la Révo­lu­tion de Paris et ses abus.

En des­si­nant ainsi le contour d’un autre His­toire paral­lèle pos­sible, R. Sécher nous per­met, aux marges de la contin­gence  des faits his­to­riques et de l’uchronie, de médi­ter sur la for­mule du poète Coc­teau sou­li­gnant que, indé­nia­ble­ment,   « Les miroirs feraient bien de réflé­chir un peu avant de ren­voyer des images ».

fre­de­ric grolleau

Rey­nald Secher, Le miroir sans retour, édi­tions du Rocher, avril 2018, 320 p. — 21,90 €.

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