L’Homme est un révolutionnaire pour l’Homme
Connu voire reconnu pour ses ouvrages sur le génocide vendéen, Reynald Secher, qui est le conservateur du musée des Guerres de l’Ouest (Vendée et Chouannerie) et l’auteur du concept de mémoricide, endosse ici la casquette – non sans panache – de l’écrivain pour nous présenter avecLe miroir sans retour un roman historique.
Celui s’ouvre et se clôt en 1832 par la confession du docteur Valentin Chévetel, soulageant sa conscience auprès du curé d’Orly, là où il réside, comme reclus de la vie publique, depuis fort longtemps. Même si le curé ne sera pas in fine aussi édifié qu’on le pense, le lecteur, lui , ne manquera d’être pétrifié par les sombres révélations – la plupart assisses sur des faits authentiques consignés dans les archives dont s’inspire l’historien — du sinistre docteur.
Loin d’un énième roman sur les guerres de Vendée auquel on pouvait s‘attendre de la part du spécialiste Sécher, ce sont plutôt les turpitudes intéressées de certains révolutionnaires (Danton, Robespierre, Fouquier-Tinville, Marat, Fabre d’Eglantine… ) – uniquement mus, par-delà l’idéal politique, par l’appât du gain et la soif du pouvoir – que décrit l’ouvrage. Autant de « figures » historiques au sens hégélien ramenées ici à une cohorte de scélérats (ils systématisent juridiquement et légalement des structures de pillage à grande échelle) auxquels Chévetel tient la dragée haute, engagé qu’il est dans un processus — tel le miroir lui renvoyant son image qu’il brise dans les premières pages du récit - sans retour.
Il faut dire que, d’extraction modeste, le fort jaloux docteur, confronté par hasard à une vie plus plaisante et douce grâce au marquis de de La Rouërie (un Breton pur souche, royaliste libéral ayant servi aux côtés de La Fayette dans la Guerre d’indépendance des États-Unis opposé, à la tête de l’Association bretonne, à la fois à la Constitution civile du clergé et aux édits révolutionnaires de suppression des particularismes bretons), va décider de conclure une sorte de pacte faustien avec lui-même, un choix lourd de conséquence en pleine période révolutionnaire puis au sein de la Terreur.
Cet apôtre du mal va ainsi multiplier intrigues diaboliques et ruses machiavéliques dénuées de tout scrupule et de toute morale afin de construire sa fortune personnelle en trahissant et envoyant à l’échafaud tous ceux (dont des membres importants de la figures de la chouannerie) qui ont le malheur de lui faire confiance. En totale contradiction avec sa vocation de médecin ayant prêté le serment d’Hippocrate, l’hypocrite citoyen Chévetel, en précurseur du serial killer contemporain, n’a de cesse de s’enrichir en tuant ou en faisant tuer les malheureux qu’il rencontre en chemin.
Ce qui entraîne des dégâts collatéraux et de lourdes modifications du flux historique car nul ne sait ce qui serait advenu si, sans le démoniaque Chévetel aidé du sinistre homme de main Lalligand qui sont parvenus à la faire dissoudre, l’Association bretonne du marquis de La Rouërie, soutenue par les fameux et influents Emigrés, avait pu, avant la mort du Roi, rejoindre les soulèvements vendéen, mayennais et normand pour contrer la Révolution de Paris et ses abus.
En dessinant ainsi le contour d’un autre Histoire parallèle possible, R. Sécher nous permet, aux marges de la contingence des faits historiques et de l’uchronie, de méditer sur la formule du poète Cocteau soulignant que, indéniablement, « Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu avant de renvoyer des images ».
frederic grolleau
Reynald Secher, Le miroir sans retour, éditions du Rocher, avril 2018, 320 p. — 21,90 €.
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