Proposition de traitement par mlle Augustin, Lycée Albert-Ier de Monaco, 1eES2, avril 2018.
L’effet Mandela, une connexion vers les mondes parallèles ?
Dark Vador n'a jamais dit "Luke, je suis ton père." Et sur Internet, certains sont persuadés que la réalité est différente des souvenirs que nous en avons. Et que nous vivons dans une infinité d’univers parallèles. Et donc bien évidemment, avant de commencer, il faut être ouvert au fait qu’il puisse exister plusieurs réalités.
Introduction :
Réalité à ce qui est réel, qui existe à partir de faits (du latin res, chose).
L’effet Mandela touche à la mémoire. En effet, c’est quand nos souvenirs ne correspondent pas à la réalité dans laquelle nous sommes. Le cerveau est très complexe, et est loin d’être parfait. Il y a plein de bugs, de modifications dans nos souvenirs ; des souvenirs de choses qui ne sont jamais arrivées, des souvenirs que l’on s’est appropriés alors qu’ils viennent de quelqu’un d’autre ou bien des rêves que l’on a fait que l’on croit que c’est la réalité. Ce phénomène est toujours associé aux souvenirs très lointains et touche à la culture, à l’Histoire, à la géographie, aux paroles de films,…
Un univers parallèle, ou monde parallèle, est un univers possédant ses propres dimensions d'espace et de temps.
Les scientifiques assurent que ces autres mondes exercent en fait une force sur notre propre univers qui provoquerait des phénomènes a priori inexplicables, comme certains mouvements de particules au niveau microscopique. Selon cette théorie, notre univers ne serait donc qu'une gigantesque série de mondes, certains semblables au nôtre, d'autres très différents. Tous ces mondes existeraient simultanément et s'influenceraient les uns les autres par une force de répulsion (c’est la loi de Coulomb, 1785).
- L’effet Mandela
Si je vous dis « Luke, je suis ton père », normalement, vous voyez instinctivement de quoi on parle : Dark Vador, Luke Skywalker, L'Empire contre-attaque, la référence est universelle. Tant mieux pour nous, tant pis pour notre perception du réel, car Dark Vador ne prononce jamais exactement cette phrase dans le film. Cette construction mentale collective est ancrée si profondément dans nos esprits que tous ceux que vous interrogerez auront probablement une réaction, généralement en trois phases : négation, stupeur, puis mise à jour un peu gênée du bagage culturel.
À vrai dire, la culture collective est constellée de ces déformations de la réalité, acceptées par le plus grand nombre sans sourciller ¾ tout le monde sait par exemple ce qu'est un Ewok, alors même que le nom n'est jamais évoqué dans un seul Star Wars… Mais si la majorité des gens accepte sans trop de difficulté la possibilité que la mémoire soit versatile, une petite minorité s'accroche obstinément à sa version de l'Histoire, au point de considérer que c'est la réalité qui a un souci. Pour cette communauté, qui collecte patiemment tous ces exemples de petites défaillances dans la réalité, le symptôme a même un nom : l'effet Mandela.
C’est en 2005, alors que Fiona Broome assiste à une conférence, qu’elle réalise lors d'une discussion un peu surréaliste que plusieurs personnes, elle incluse, sont absolument persuadées que Nelson Mandela est mort en prison en 1980. Intriguée par la coïncidence et persuadée qu'il ne peut s'agir d'un simple défaut de mémoire collectif, elle entame des recherches et découvre, petit à petit, d'autres écarts entre l'Histoire communément admise et la version qu'en ont certains groupes de personnes.
Petit à petit, l'effet Mandela fédère une petite communauté, ouvre en 2013 son portail officiel et son subreddit dédié, et les exemples se multiplient. La même année, une partie des Etats-Unis découvre avec effroi que l'un de ses dessins animés d'enfance, La famille Berenstain, s’orthographie avec un A, et non un E. Scandale. Et nouvel arrivage de partisans dans la communauté de l'effet Mandela, persuadés que c'est la réalité qui délire plutôt que leurs souvenirs d'enfance. Certains sont ainsi convaincus, en vrac, que la tuerie de Columbine a eu lieu en 1996 (au lieu de 1999) ; que l'homme au tank de la place Tiananmen s'est tout bonnement fait rouler dessus en 1989 ; que l’Ecosse et le Pays de Galles étaient beaucoup plus petits qu’ils ne le sont maintenant ou, plus trivial, que « dilemma » s'écrit en fait « dilemna » et « definitely » s'orthographie « definately ». En effet, la liste est non-exhaustive. Histoire, géographie, langage, culture : l'effet Mandela étend son ombre de scepticisme au-dessus de la réalité toute entière, remettant en cause sa nature même (pour peu qu'on se persuade de l'infaillibilité de sa propre mémoire). Pour Broome, il y a effet Mandela quand il y a un effet de groupe, une mémoire collective sur une même chose du passé mais qui ne s’est jamais réalisé (du coup, ce ne sont pas les gens qui délirent mais forcément la réalité qui a changé). Parcourir les témoignages des adeptes de la théorie, ces forteresses de pensée critique et d'argumentation rationnelle, c'est risquer à chaque phrase de voir ses plus profondes certitudes voler en éclats.
- Théorie quantique des mondes multiples
(Quantique à décrit le comportement des atomes et des particules et permet d'élucider en particulier certaines propriétés du rayonnement électromagnétique)
Bien évidemment, Fiona Broome et ses amis ne se contentent pas d'énumérer les distorsions de la réalité pour le plaisir, mais proposent carrément une explication rationnelle et scientifique au phénomène : l'effet Mandela n'est pas la preuve empirique de la plasticité (possibilité à changer de forme sous l’action d’une force extérieure et de garder cette déformation durablement) de la mémoire humaine, c'est celle de l'existence de réalités parallèles qui s'entrechoquent de temps en temps. A la manière de cette scène de Matrix, dans laquelle un sentiment de déjà-vu révèle une modification de la structure du programme (synonyme de présence d'agents), les souvenirs alternatifs seraient donc une preuve qu'une infinité d'itérations de la réalité coexistent – dans l'une d'entre elles, Di Caprio aurait même gagné un oscar avant 2016.
Pour appuyer son hypothèse, Fiona Broome convoque la théorie des mondes multiples d’Everett, aussi appelée théorie des états relatifs. Formulée en 1957 par le physicien américain Hugh Everett, elle tente d'expliquer rationnellement l’intrication quantique (le phénomène qui permet à deux particules d'interagir instantanément, peu importe leur distance géographique) en proposant le modèle suivant : à chaque fois qu'un état quantique est observé (au détriment d'un autre), la réalité se scinde en 2 et une nouvelle version continue son chemin en parallèle de la nôtre. Ces réalités pourraient s'affecter entre elles, ce qui donne à la fois la physique quantique et un Mandela mort en prison dans un 1980 alternatif où Coluche a peut-être mené sa présidentielle jusqu'au bout. L’intrication quantique existe, cela s’appelle un saut quantique ; quand un souvenir s’éclipse, un autre le remplace et donc on ne se souvient pas du changement, c’est un rééquilibrage instantané. Cela pourrait s’expliquer aussi lorsque l’on prend une décision, plusieurs choix se montrent à nous et on en choisit un : changement de réalité.
Evidemment, sitôt qu'on mêle physique quantique et complotisme, le nom du CERN (Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire) apparait tout le temps. Fiona Broome est donc ravie de nous apprendre, sur son site, que « certains scientifiques ont, en privé, émis l'idée que les expériences du CERN sur la physique quantique pourraient altérer la structure de la réalité ». En effet, selon elle, à chaque fois que le CERN utilise l’accélérateur de particules, il ouvre des portails spatio-temporels sur une autre réalité et donc sur un autre monde. Et si le LHC (le plus grand accélérateur de particules au monde) s'est déjà amusé à chercher des preuves expérimentales de l’existence d’univers parallèles, notamment via la détection de mini trous noirs, l’expérience n’a absolument rien donné (en partie car le dispositif ne permettait pas d'atteindre des niveaux d'énergie suffisants).
Quoi qu'il en soit, l'explication derrière l'effet Mandela se trouve plus certainement dans la psychologie sociale que dans la physique quantique. Selon le (seul) site entièrement consacré à la déconstruction de l’effet Mandela, celui-ci peut être perçu comme le produit d'un ensemble de biais cognitifs, en particulier de la capacité d'interprétation. La science a depuis longtemps prouvé que le cerveau humain est une machine à désinformer, et que faire confiance à sa mémoire lorsqu'il s'agit de restituer précisément une information est généralement une très mauvaise idée. À cela s'ajoute la suggestibilité, soit l'influence des attentes des autres sur nos propres souvenirs : voir une personne écrire que Mandela est mort en 1980 pousse à s'interroger ; quand elles sont dix, on est tenté de réécrire son histoire mentale.
Enfin, si les sceptiques radicaux du subreddit sont si intimement persuadés que leurs souvenirs sont ceux d'une autre réalité, c'est à cause du concept de dissonance cognitive (Un faux souvenir et une pression sociale forte peuvent créer une dissonance cognitive): lorsque l'on confronte quelqu'un à une information incompatible avec ses croyances, la personne se retrouve dans un état de tension désagréable et choisit le plus souvent de renforcer sa croyance initiale, la rendant de fait encore plus rigide et imperméable à la critique. Le phénomène se retrouve, notamment, dans les sectes apocalyptiques, qui croient encore que la fin du monde est proche alors que les calendriers mayas et Paco Rabanne ont successivement échoué à la prédire.
Conclusion :
En désespoir de cause, il faut s’armer du principe du rasoir d’Ockham, qui indique que la théorie la plus simple est souvent la plus vraisemblable, et interrogeons-nous : est-il plus probable que notre réalité ne soit qu'une version parmi d'autres et que seul un petit nombre de personnes possède la capacité de détecter ses fluctuations grâce à une mémoire infaillible, ou que l'effet Mandela soit la simple preuve que notre cerveau passe son temps à travestir les faits? La mauvaise foi est ainsi faite qu'elle préférera souvent l'alambiqué au limpide, et s'épanouira tranquillement dans une croyance dont il est essentiellement impossible de démontrer l'invalidité.
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