Rome ou la mort ! (cri garibaldien)
“Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?” En reprenant à son compte cette antienne de l’histoire de la philosophie et en l’énonçant telle quelle dans les Principes de la nature et de la grâce (1714), Leibniz s’est rendu célèbre et a eu l’incontestable mérite, voulant expliquer le monde, de préciser que que rien ne se fait sans raison. Il a ainsi affirmé que pour chaque chose, il y a une raison suffisante qui en rend compte. Un Dieu intelligent calcule tous les mondes possibles et choisit alors qu’advienne le meilleur (principe de l’optimum).
C’est dans une telle démarche, toute proportion gardée, que s’inscrit l’historien Frédéric Le Moal, lorsqu’il cherche dans cet essai impeccablement renseigné, à rendre compte, cette fois-ci dans une logique du pire, de la genèse du mouvement fasciste.
Rejoignant la capacité, propre à la philosophie, à s’étonner de ce qui ne surprend pas ou plus les autres, Le Moal, à qui l’on doit Les divisions du Pape, le Vatican face aux dictatures (Perrin, 2016), pose cette question directe : qu’est-ce que le fascisme ? Ce qui lui permet, à l’appui d’une documentation exemplaire, d’interroger la dimension réactionnaire ou conservatrice mouvement, de pointer la place exacte de Benito Mussolini dans le fonctionnement du régime et dans les très houleux et nombreux débats tant théorétiques, politiques qu’ idéologiques où le Duche trouva son terreau. Et de déterminer le positionnement, entre gauche et droite, du nouveau parti émergeant dans le droit héritage du Risorgimento (soit l’unification italienne réalisée dans la seconde moitié du XIXe siècle par les rois de la maison de Savoie).
L’intérêt majeur, à nos yeux de l’ouvrage, est (au moins) double :
– expliciter en quoi, contre toute attente, le fascisme ne doit pas être associé uniquement au long règne (1922–1945) de Mussolini. Ce mouvement, animé de moult courants souvent contradictoires (entre extrême droite monarchiste et extrême gauche républicaine), existait en effet bien avant que Mussolini n’en devienne le guide.
– spécifier la nature exacte du fascisme : si, dans une lecture marxiste, l’historiographie française a pendant longtemps dissocié les totalitarismes du XXe siècle de la Révolution française, faisant eo ipso de manière réductrice du fascisme une idéologie réactionnaire au service des classes bourgeoises dirigeantes, pour Le Moal, en digne spécialiste de l’Italie qu’il est, ce mouvement est bien plutôt “révolutionnaire”, conséquence inattendue de l’inspiration jacobine qui voulait, sur fond de nationalisme garibaldien, faire table rase des traditions et du christianisme, ordonner le capitalisme et, on ne le sait que trop, créer “un homme nouveau”. “Ainsi donc se forma un groupe hétérogène de nationalistes de diverses obédiences, d’héritiers de Mazzini, de syndicalistes révolutionnaires, de socialistes hérétiques, de futuristes, qui s’alimentaient aux sources toutes aussi diverses du Risorgimento, du jacobinisme, de l’anticapitalisme, de l’antiparlementarisme, du sorélisme ; tous unis toutefois dans la volonté irrévocable d’utiliser la guerre pour une révolution spirituelle, une régénération du pays et la naissance de la Terza Italia, la Troisième Italie, qui succéderait à celle de la Renaissance et du Risorgimento.” (p. 41).
Chaque étape de cette sombre (r-)évolution, qui est celle d’un Etat totalitaire avant l’heure, est ainsi retracée sous nos yeux : du socialisme à la république de Salò en passant par la normalisation du fascisme, la fascisation des Italiens et la géopolitique du fascisme. L’ensemble finira dans une “révolution avortée”, l’homme nouveau donnant tout au plus et péniblement naissance à une dictature alliée au Troisième Reich et qui culmine dans la triste Reppublica di Salò, de 1943 à 1945.
Si “le fascisme est [bien] mort”, pour reprendre la conclusion de l’ouvrage, l’auteur en appelle néanmoins, et non sans raison (suffisante ou pas), à notre vigilance face à la sempiternelle comme totalitaire “tentation de remodeler l’être humain, de le transformer en fonction d’une idéologie, de l’émanciper de sa propre et inaliénable nature”.
Pour tout cela donc, un ouvrage, osera-t-on dire, “fascinant”.
lire l’entretien avec l’auteur sur Breizh-info.com
écouter sur le débat “Qui fut Mussolini ?” sur Radio Courtoisie entre les trois historiens Frédéric Le Moal, Michel Ostenc et Max Schiavon
frederic grolleau
Frédéric Le Moal, Histoire du fascisme, Perrin, avril 2018, 425 p. — 23,00 €.
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