Proposition d'exposé par mlles Augustin et Preiser, Lycée Albert Ier de Monaco, 1ES2, mars 2018.
Définition des termes du sujet :
- Localisation : action de situer dans le temps et dans l’espace
- âme : dans l’Antiquité, Aristote voit dans l’âme la forme du corps, tandis que les atomistes soutiennent que l’âme est composée d’atomes comme n’importe quel objet (matérialisme)/ Doctrine d'après laquelle il n'existe d'autre substance que la matière. A l’époque moderne, Nietzsche rapproche l’âme et le corps.
En latin : – anima : air, souffle, principe de vie. Animus : siège de la pensée, mais aussi du sentiment et des passions. Sens courant : principe de la sensibilité et de la pensée. Sens métaphysique (Recherche rationnelle ayant pour objet la connaissance de l'être (esprit, nature, Dieu, matière…), des causes de l'univers et des principes premiers de la connaissance.) : esprit, pensée, substance pensante (séparée du corps).
Introduction :
Étymologiquement, l’âme vient du grec psukhê qui signifie au sens premier le souffle, la respiration qui est signe de vie. L’âme est donc un principe de vie, car elle est la seule entité existante qui a toujours la possibilité de se mouvoir (bouger) elle-même et autre chose en même temps. De plus, Platon l’assimile « au principe de génération et du mouvement » puisqu’elle est « le plus ancien de tous les êtres », c’est-à-dire le feu, l’air, etc., que certains matérialistes présocratiques (philosophe antérieur à Socrate) ont présenté comme étant soit les premiers éléments, soit les constituants de l’âme (on parle des principes de vie).
Aristote, quant à lui, objecte cette idée matérialiste de l’âme comme principe de mouvement, car selon lui, « l’âme n’est pas dans l’espace à la manière d’un corps ; elle n’y est pas en vertu de son essence : elle ne s’y trouve que grâce à l’organisme dont elle a pris possession ». De plus, « si l’âme se compose d’atomes, elle est toujours déterminée ; elle ne se détermine jamais elle-même ; il ne reste plus de place pour la liberté dans le monde : ce qui renverse la condition et le principe de la moralité ». Dans ce sens, donc, la conception de l’âme comme un principe de mouvement enferme l’âme dans une vision matérialiste. Cependant, dans la théorie cartésienne, le principe du mouvement est extérieur à la matière. Quel que soit l’état de l’âme, elle est toujours source de vie, elle est ce qui donne la vie au corps matériel. Il n’y a pas, selon Platon, de plus grande certitude que l’âme, car par elle nous avons toute l’expérience de l’activité humaine : marcher, penser, sentir, etc.
Pendant des siècles, les savants ont cherché la conscience dans le corps humain, sans succès. Chaque époque s'est interrogée sur le siège de l'âme, lui donnant un support matériel dans le corps humain, à l'aide d'interminables débats. Pendant plusieurs millénaires, la notion d'âme, ou plus simplement d'un principe de vie, n'a guère dépassé le stade philosophique : en Orient d'abord, chez les Chinois et chez les Indiens, puis au Moyen-Orient. La pensée égyptienne influença fortement les Hébreux qui séparaient l'âme en deux composantes, la Nefes, correspondant à la vie corporelle, et la Ruah, partie spirituelle, représentant les dons surnaturels du divin. A partir de la civilisation grecque, l'évolution des idées se fit de façon continue jusqu'à notre monde occidental, malgré de longues périodes d'obscurantisme (Opposition à la diffusion de l'instruction, de la culture, au progrès des
sciences, à la raison, en particulier dans le peuple). Certains philosophes comme Pythagore, Platon et Aristote prirent en main les théories métaphysiques, avant que des anatomistes fassent connaître les premières bases anatomiques. La dernière tentative de recherche fondamentale sera érigée en vérité fondamentale par Galien (médecin grec de l’Antiquité), qui divise le souffle de la vie en trois parties correspondant à trois âmes distinctes.
Problématique : comment expliquer qu’une conscience qui nous parait unique et singulière puisse émerger de différents processus, réglés par différentes parties du cerveau ? Comment expliquer qu’une conscience qui nous parait unique et singulière puisse émerger de différents processus, réglés par différentes parties du cerveau ?
I) Pourquoi avons-nous toujours le sentiment que le cerveau abrite l’essence d’un individu tout en étant le siège de la pensée consciente ?
L’histoire des sciences de l’esprit en Occident ressemble, de loin, à une longue suite de latinismes impénétrables (textes religieux que l’on ne doit pas toucher : la Bible, qu’on ne peut pas changer) et de gravures anatomiques en noir et blanc. Pourtant, elle nous permet de comprendre pourquoi, en 2018, nous ne sommes pas débarrassés du concept « d’âme » tel qu’il a été défini par la pensée chrétienne – et pourquoi nous avons toujours le sentiment que le cerveau abrite l’essence d’un individu tout en étant le siège de la pensée consciente.
L’idée selon laquelle l’âme résiderait dans une partie spécifique du cerveau a, évidemment, été abandonnée par les neurosciences. « Il ne s’agit pas d’une hypothèse que l’on peut tester ; ce n’est donc pas une idée scientifique », explique Sylvia McLain, chercheuse en biochimie à l’Université d’Oxford. La quête du siège de l’âme a cependant constitué une mission essentielle pour des générations d’érudits, et continue de stimuler, ou de guider la recherche sur la nature de l’esprit. « Poser des questions philosophiques très générales de type ‘’qu’est-ce que l’âme ?‘’ peut parfois donner lieu à des recherches scientifiques intéressantes », ajoute McLain. « Quand on examine l’histoire des sciences, on voit que les premiers naturalistes ont étudié les plantes et les animaux dans le but de comprendre le plan de Dieu et rendre hommage à la Création. Aujourd’hui, il existe toujours des ponts entre la spéculation métaphysique et la recherche scientifique. »
Il est facile d’oublier que, il y a quelques siècles, il n’était pas décrit comme un organe composé de centaines de millions de cellules nerveuses excitées par des signaux électriques, mais comme une sorte de raffinerie psychique contrôlée par l’âme, pompant des fluides alchimiques à travers le corps.
En 1597, en référence aux pratiques médicales initiées par le médecin grec Galen de Pergame, le médecin français Jean Fernel a déclaré que le corps était imprégné de trois « esprits » : des « esprits naturels » qui se forment dans le foie avant d’être transformés en « esprits vitaux » grâce au cœur, puis d’être convertis en « esprits animaux » dans le cerveau par l’intermédiaire de faisceaux de cellules nerveuses connues sous le nom de plexus choroïdes – que nous estimons aujourd’hui être à l’origine du liquide cérébrospinal (liquide biologique transparent dans lequel baignent le cerveau et la moelle spinale).
Ces esprits animaux étaient ensuite réinjectés dans le corps sous l’impulsion de l’âme, afin qu’ils prennent le rôle de ses « serviteurs et porteurs », transmettant ses ordres aux organes inférieurs. Il s’agissait là d’un modèle assez fascinant de la relation supposée de l’âme à la chair qui, entre autres choses, correspondait bien à la relation entre un monarque et son peuple promue par l’Eglise : le roi est ordonné par Dieu, puis il juge et contrôle les éléments de la société. Comme d’autres penseurs de son temps, Fernel était conscient des conséquences que la spéculation scientifique pouvait avoir sur l’ordre social.
L’idée qu’il existe une multitude de fluides ordonnant les fonctions du corps sous la direction de l’âme est restée populaire jusqu’au XVIIIème siècle. Le philosophe René Descartes a alors écrit une théorie extrêmement controversée (inversée) sur la façon dont l’âme déterminait la distribution de ces esprits animaux. Selon lui, elle utilisait un organe très spécial comme intermédiaire : la glande pinéale, ce petit truc en forme de pomme de pin situé au milieu du cerveau.
Dans une lettre de 1640, Descartes a justifié cette hypothèse extravagante comme suit : « Je ne puis trouver aucune partie du cerveau, à l’exception de cette glande, qui ne soit double. Nous voyons avec deux yeux, nous entendons avec deux oreilles, et pourtant nous n’avons jamais qu’une seule pensée à la fois. Il est nécessaire que les impressions qui entrent par les deux yeux ou par les deux oreilles, et ainsi de suite, s’unissent dans une unique partie du corps avant d’être considérées par l’âme. »
La glande pinéale était nécessairement le siège de l’âme, selon lui, en vertu de sa place centrale dans le cerveau – suspendue dans des fluides cérébraux tourbillonnants « comme un ballon captif au-dessus d’un feu ». Pour Descartes, elle constituait à la fois le destinataire des impressions sensorielles et la force motrice de l’action corporelle. Il estimait donc que la circulation des esprits animaux à travers les canaux nerveux des sens traçait des motifs à la surface de la glande, donnant lieu à l’expérience de la chaleur, de la douleur etc. L’âme pouvait ainsi déplacer la glande pinéale à l’envie pour influencer sur ces flux, comme un esprit pilotant un gouvernail.
La théorie de Descartes a été largement diffusée, mais a rencontré un accueil critique impitoyable dans les milieux savants. On lui a répliqué que le cerveau des chiens, chats et autres animaux comportait lui aussi une glande pinéale – cette dernière ne pouvait donc pas constituer, par définition, le vaisseau privilégié de l’âme humaine. En 1713, l’anatomiste italien Giovanni Maria Lancisi a suggéré une hypothèse alternative dans son Dissertatio Physiognomica : l’âme devait se trouver quelque part dans le corps calleux, un gros plateau de fibres de matière blanche qui relie les hémisphères du cerveau.
« Les esprits, explique-t-il, coulent le long de ces fibres vers l’avant et l’arrière du cerveau, unissant l’âme et la conscience au reste du corps ». Cette théorie a finalement été réfutée quand on a pu démontrer que le corps calleux pouvait être sectionné sans priver pour autant le patient de sa conscience.
Comme le racontent Marco Catani et Stefano Sandrone dans leur ouvrage Brain Renaissance, à la fin du XVIIIème siècle, les savants commençaient à abandonner l’idée d’une localisation du l’âme ou du siège de la conscience. On commençait à soulever l’idée que l’esprit puisse être le produit d’un réseau distribué, et que ses facultés soient gérées par différentes parties du cerveau travaillant en association.
II) Comment expliquer qu’une conscience qui nous parait unique et singulière puisse émerger de différents processus, réglés par différentes parties du cerveau ?
Cette question reste l’objet de débats épineux. Même si nous avons abandonné l’idée d’un ensemble de « coordonnées corporelles » déterminant une « essence humaine immatérielle », certains neuroscientifiques soutiennent qu’un organe particulier du cerveau pourrait bien servir de carrefour au flux d’informations, unifiant les mécanismes qui donnent naissance à la pensée consciente.
« Tenter d’observer la conscience revient à observer le vent. »
Selon le neuroscientifique Joseph Bogen, mort en 2005, le thalamus, la structure en deux parties située sur la ligne médiane du cerveau, pourrait bien héberger les neurones du « carrefour »en question. Dans un article extrêmement spéculatif publié en 1995, Bogen note que la formation de menues lésions dans les noyaux intra luminaires du thalamus provoquaient typiquement un coma. En revanche, il était tout à fait possible d’endommager ou de retirer des parties d’autres organes cérébraux, tels que le cortex cérébral, sans pour autant que le patient perde connaissance.
Bogen a pensé que les noyaux intra luminaires pouvaient contrôler l’inhibition ou les mouvements moteurs – qui ont leur siège ailleurs dans le cerveau – via le striatum. C’est-à-dire qu’ils joueraient un rôle dans la considération d’une action avant que celle-ci ne soit exécutée. Il a cependant été incapable de montrer et de prouver que cette hypothèse était digne d’intérêt. « Tenter d’observer la conscience revient à observer le vent », écrit-il. « On ne peut en voir que les effets. »
Une autre étude publiée en 2014 par Mohamad Koubeissi de l’Université George Washington suggère que le claustrum, une mince coche de neurones attachés sur la face inférieure du néocortex, pourrait aider à combiner les processus qui permettent l’expérience consciente.
Conclusion :
Même si les technologies d’imagerie médicale ont progressé à pas de géant au cours des dernières décennies, le cerveau demeure un organe d’une complexité déconcertante, qui reste très mal compris. Selon des chercheurs de l’école de médicine de l’Université de Stanford, les centaines de milliards de connexions synaptiques qui lui permettent de fonctionner sont plus nombreuses que les étoiles de notre galaxie. Démêler les origines de la pensée consciente peut sembler être un projet complètement fou, mais nous pouvons penser que les générations futures y arriveront sûrement : ils seront en charge de déceler les fonctions neurologiques qui permettent à la conscience de soi d’émerger.
Petite vidéo sur l’expérience du poids de l’âme : https://www.youtube.com/watch?v=Z2j0XrbplmU
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