Quand le récit prend l’eau
Après avoir proposé maints thrillers toniques se déroulant aux quatre coins du monde (L’origine du Monde, La Porte du Messie…), Philip Le Roy se donne et nous offre avec Le Neuvième Naufragé un nouvel angle de frappe romanesque : le microcosme ou le huis clos constitué par le rassemblement, à bord d’un voilier, le Spanish Queen, de huit “amis” réunis par la grâce (c’est à voir) d’un un groupe Facebook et décidés à se la couler douce dans une version new age de La croisière s’amuse en Méditerranée. Malheureusement, il ne faut pas attendre très longtemps pour s’aviser que la croisière ne s’amuse guère, le voilier finissant échoué sur un îlot au large de Gibraltar quelques semaines plus tard avant d’être retrouvé brûlé avec un cadavre à bord… et huit survivants.
C’est là qu’intervient la sculpturale Eva Velasquez, profileuse et criminologue d’Interpol, qui doit interroger tour à tour les rescapés afin de faire toute la lumière sur cette affaire. Et notamment sur la disparition de Dorian Panzer-Vaugel, fils d’un haut-diplomate français en poste à Madrid.
Si le romancier parvient bien, au fil de ces pages découpées en brefs chapitres, à restituer l’ambiance délétère à bord du bateau qui a conduit au drame (en l’occurrence moins un accident qu’un crime) en intercalant séances d’interrogatoires menées par Eva et flash-back relatifs aux propos de chaque rescapé interrogé, on en reste néanmoins à une trame statique, au moins dans l’espace sinon dans le temps : certes, le lecteur se retrouve bien entre un Usual Suspect et un Snake Eyes maritimes, mais l’histoire n’a pas le souffle épique et haletant des précédents romans.
Si “l’effet Lucifer” ou l’expérience de Stanford (1971) mis en avant fonctionnent, le reste paraît plus convenu et l’effet mindfuck exposé en exergue — et qui serait l’équivalent du twist au cinéma — ne remplit que partiellement son rôle.
Outre les fautes d’accord ou les expressions à revoir (voir la confusion par exemple p. 46 entre la Bereitschaftspolizei et les Bereitschaftspolizisten ou encore p. 66 : “Son ego […] la poussait […] à se mêler même quand on ne la sollicitait pas.”) — mais ce sont des épreuves non corrigées qui nous ont été envoyées -, on ne peut tout de même qu’être ébahis par la conception du luxe que délivre Philip Le Roy lorsqu’il écrit p. 171 : “Ils avaient ouvert une bouteille de Mumm tels des milliardaires à bord d’un yacht aussi cher qu’une villa sur la côte d’azur”.
Nous qui écrivons depuis Monaco pouvons confirmer à l’auteur - dont on s’inquiète légitimement des à-valoir qu’il doit percevoir - que les “milliardaires” qui sévissent en ces contrées consomment autre chose qu’un champagne qu’on peut trouver dans le commerce à partir de 25,00 € la bouteille …et qu’il n’est pas rare que ce type de yacht coûte bien plus cher ici qu’une villa (toutes choses étant ce qu’elles sont et tout dépendant du navire et de la demeure en question bien entendu).
Toujours est-il que ce genre de scories et de maladresse vient polluer la densité — voulue sans être jusqu’au bout tenue — d’un récit qui vise à confronter justice et vengeance mais qui manque en définitive de souffle.
frederic grolleau
Philip Le Roy, Le Neuvième Naufragé, Editions du Rocher, avril 2018, 332 p. — 18,90 €.
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