Proposition de traitement par mlles Wijetunge Mihiri et Manera Julia, lycée Albert Ier de Monaco, 1eES1, janvier 2018.
Introduction
Comme le dit Aristote : « L’Homme est un animal social ». Afin de vivre harmonieusement en société, l’Homme a créé un concept dans le but de faire valoir ses droits et de les faire respecter. Pour cela, il faut un mécanisme permettant de condamner ceux qui nuisent au bon fonctionnement de la société. La justice, du latin justitia provenant de justus qui signifie « conforme au droit » ayant lui-même pour racine jus – juris qui veut dire « le droit » au sens de la permission dans le domaine religieux – est un moyen de garantir le bien et la sécurité de la majorité, c’est un principe moral qui exige le respect du droit et de l’équité.
Le jugement que cette justice délivre est supposé être équitable, c’est-à-dire attribuer à chacun ce qui lui est dû de manière impartiale. Mais, par ailleurs, cet objectif semble être utopique. Une utopie est un projet dont le but est d’atteindre un idéal mais dont la réalisation est impossible.
On pourrait se demander si, alors que le système judiciaire se prétend objectif, cette affirmation ne s’oppose pas à la subjectivité inéluctable de l’Homme. Etant donné que la justice est un concept purement humain, faut-il en déduire que le principe d’une justice équitable est utopique ?
Pour affronter ces questions, nous montrerons que la justice est une création de l’Homme puis nous étudierons en quoi la justice est utopique.
I. La justice, une création de l’Homme
Nous avons choisi de nous appuyer pour illustrer ce thème sur un anime japonais du nom de Psycho-Pass. Il s’agit d’une œuvre de science-fiction futuriste dans laquelle le système de justice adopté diffère complètement de notre monde. Afin de minimiser les crimes, le Ministère de la santé a mis en place le système Sybil.
Sybil est le système sur lequel repose la sécurité et la justice des citoyens, il possède la capacité de détecter le taux de criminalité chez un individu, en mesurant son psycho pass, c’est-à-dire l’indicateur qui permet de déterminer son état nerveux et donc les potentiels criminels. Ainsi, les individus dont le taux de criminalité dépasse un certain seuil sont soit arrêtés et mis dans un centre d’isolement jusqu’à ce que leur psycho pass se stabilise soit exécutés par une section d’investigation criminelle au sein du département de la sécurité publique car jugés dangereux et inutiles par Sybil.
On note que le nom du système Sybil vient du Grec Sybilla qui signifie prophétesse, qui connaît la volonté des Dieux.
- L’objectivité
Selon sa définition, la justice devrait donc être objective, c’est-à-dire appliquer les lois sans parti pris et sans tenir compte de l’aspect moral du crime commis. C’est effectivement sur quoi repose le système Sybil qui détermine les individus qui doivent être éliminés (peu importe s’ils ont commis un crime ou pas ni même le degré de leur crime). Ainsi, ce système se base uniquement sur des données et non sur les circonstances. De ce fait, il n’implique aucunement l’avis d’êtres humains, l’exécuteur doit simplement accomplir sa tâche sans se poser de question : « Ce sont des chiens de chasse » comme le précise un inspecteur. Ils exécutent les ordres que leur dicte le système sans remettre en cause l’aspect moral de la décision.
Le système déshumanise complètement les individus : ils sont animalisés. On peut voir cela comme une hiérarchie : Sybil est en quelque sorte le chasseur qui désigne la proie, les exécuteurs sont les chiens obéissant aux chasseurs et les criminels sont les gibiers à abattre.
Par ailleurs, cette métaphore est tout de même ironique car Sybil, que la population se représente comme un Dieu, est finalement un système créé par l’Homme et a inéluctablement des failles dans son système. Par exemple, on découvre dans un épisode la véritable nature de Sybil, ignorée par toute la population et même le bureau de la sécurité publique : il s’agit en réalité d’un système qui est composé de cerveaux humains appartenant à des individus asymptomatiques, c’est-à-dire ceux dont le psycho pass n’est pas mesurable, une infinitésimale partie de la population, qui leur permet donc de tuer sans être inquiété. https://www.youtube.com/watch?v=fbdn5d_BRqI (17min – 19:30 environ)
Ainsi, il y a par exemple, Makishima Shôgo, un personnage considéré comme l’anti-héros de l’histoire et considéré comme un prophète qui veut détruire le système instauré et redonner de la valeur à l’existence humaine. Il peut donc commettre les pires atrocités sans pouvoir être jugé puisque "le dominateur", l’arme permettant de neutraliser les criminels et considéré comme les yeux de Sybil, ne fonctionne pas sur lui, ce qui est une faille considérable de ce système. Ce système se prétend parfait mais c’est loin d’être le cas puisqu’il y a des moyens de le contourner. En effet, notre antagoniste a mis en circulation des masques permettant d’échapper aux jugements de Sybil.
Paradoxalement, il n’y a donc pas de justice objective étant donné que seule une autorité suprême au-dessus de l’Homme pourrait avoir ce jugement objectif tel un Dieu.
C’est ce qui se passe par exemple dans la Bible, avec le roi Salomon qui suscite la crainte car il exerce la volonté de Dieu à travers la grande sagesse qu’il lui a conférée. Ainsi, Salomon juge avec raison comme l’illustre l’histoire du partage de l’enfant. Deux femmes vivants dans la même maison se présentent un jour devant le roi en relatant leur histoire. Les deux ont accouché à trois jours d’écart et toutes deux d’un garçon. L’un des bébés meurt pendant la nuit et sa mère vola l’autre bébé en interchangeant sa place avec le bébé décédé. Les deux mères se disputent alors l’enfant vivant et Salomon, pour rendre la justice, ordonna que l’on tranche le bébé en deux afin que chacune en ait une moitié. Une des deux mères refusa préférant être séparée du bébé plutôt que de le voir mourir. C’est à elle que Salomon finit par donner cet enfant.
- La subjectivité
Contrairement à notre système de justice actuel où on analyse les motifs des crimes que seul l’humain peut comprendre, il s’agit donc d’une tâche que seul l’Homme peut effectuer et qui n’est pas comprise dans les textes de lois.
Comme nous venons de l’illustrer, l’objectivité au sein de la justice est inexistante. C’est pour cela que l’on peut parler d’une justice basée sur la subjectivité. En effet, dans notre œuvre choisie, certains personnages exerçant l’autorité de la justice sont perpétuellement en conflits avec leur propre vision de la justice.
Par exemple, la protagoniste, Akane Tsunemori, tout juste sortie de l’école, sera directement tiraillée, lors de sa première mission en tant qu’inspectrice, entre ses propres convictions et les ordres impassibles de Sybil. Sur le terrain, un des exécuteurs chargé de poursuivre un criminel détenant une victime en otage est parvenu à éliminer le malfaiteur. Mais la victime sous le choc de son agression a vu son taux de criminalité augmenter rapidement et est donc perçue par Sybil comme un criminel à part entière alors qu’il s’agit de la victime à sauver. De ce fait, un exécuteur sur le point de l’éliminer a été stoppé par notre inspectrice qui considère cette décision de Sybil comme injuste.
Akane montre qu’elle n’est pas d’accord avec le système sur ce point, c’est pour cela que certains vont encore plus loin et décident de faire justice eux-mêmes. Etant donné que la justice est contrôlée par des hommes, pourquoi un homme n’aurait-il pas le droit de faire justice lui même ? Ainsi, l’exécuteur Kogami qui s’est petit à petit rendu compte de l’injustice du système grâce à l’inspectrice Akane s’est mis en quête de faire justice lui-même. L’antagoniste que nous avons mentionné plus tôt et donc devenu la cible de Kogami qui décide de l’arrêter en se passant du système qui ne peut pas le neutraliser et finit par le tuer à la fin.
On constate que cette subjectivité a aussi un côté néfaste puisque l’Homme est sujet à faire des erreurs. Un exemple historique illustrant cela est l’Affaire Dreyfus. En 1894, Alfred Dreyfus est accusé d’avoir livré des documents à l’Allemagne et est donc reconnu coupable de haute trahison, ce qui le condamne à la dégradation et à la déportation dans l’île du diable au large de la Guyane. Emile Zola publie dans l’Aurore une lettre ouverte au Président Félix Faure sous le titre J’accuse, en 1898 dans lequel il accuse l’Etat-major d’avoir condamné Dreyfus sans preuves.
De plus, les erreurs de jugements peuvent être également faites volontairement notamment à cause de la corruption qui est directement liée à la nature humaine. L’Homme dans certains cas favorisera son intérêt personnel avant l’intérêt général par exemple dans un but lucratif.
II. Une justice utopique ou dystopique ?
- Egalité
Pour éviter ces erreurs, certaines sociétés recherchent une justice idéale. On en vient donc au système utilisé dans Psycho-Pass qui admet une égalité de peine pour chaque crime commis. D’ailleurs, il n’y a aucune distinction entre les sanctions adoptées pour les adultes et pour les mineurs. En effet, puisqu’il n’y a plus de lois pour mineur, dès lors qu’ils ont commis un crime ils sont exécutés comme n’importe quel adulte, ce qui s’oppose à la justice de notre société actuelle où un mineur est jugé de manière moins sévère qu’un adulte pour le même crime commis puisque le mineur est en quelque sorte « excusé » de ses crimes car il n’est pas considéré comme responsable de ses décisions qui peuvent être mises sur le compte de l’immaturité.
Par ailleurs, la décision de Sybil peut être justifiée par le fait que certains jeunes sont clairement conscients de leurs actes tandis que certains adultes sont aussi susceptibles d’être manipulés et donc pas totalement responsables non plus. C’est la raison pour laquelle, dans notre société, la justice opère au cas par cas.
On ne peut donc pas se baser sur l’égalitarisme qui est une doctrine qui prône l’égalité absolue entre les hommes et cherchant à la réaliser dans les faits, les doctrines extrêmes comme cela ne sont pas compatibles avec la société de l’Homme de par ses mesures trop extrêmes comme on a pu le constater avec le communisme. Toutefois, le système consistant à vouloir éliminer tous les criminels est aussi légitime puisque cette société est en quelque sorte à la recherche d’une utopie où aucun crime ne serait commis.
Ce système est aussi un moyen de limiter tout simplement les crimes puisque la population est consciente de la menace qui pèse au-dessus d'elle et donc la plupart des gens n’osent même plus penser à commettre un crime de peur de voir leur Psycho pass augmenter. Mais contrairement à la vision du personnage de Light dans le manga Death Note où ce personnage pense créer une utopie pour toute la population en se donnant pour mission de punir tous ceux qu’il considère nuisible pour la société et ainsi instaurer une peur véritable chez les citoyens et en faisant régner la peur diminuer les actes criminels, la méthode utilisé dans Psycho-Pass est plus subtile car Sybil agit en quelque sort comme Light mais avec plus de retenue, il fait en sorte que les citoyens ne vivent pas dans la peur du moins en surface mais donnent à leur vie un sentiment de satisfaction.
Par ailleurs, cette la notion d’utopie est sujette à des modifications selon la théorie de la personne qui l’instaure. Par exemple, dans La ferme des animaux de George Orwell, les cochons qui sont les chefs et donc considérés comme étant les plus puissants se permettent d’imposer leurs idéaux en modifiant les lois instauré par Sage l’Ancien avec ses 7 Commandements à l’insu des animaux qu’ils gouvernent. Ils créent leur société utopique alors que c’est une véritable tyrannie pour le peuple gouverné. Aussi, dans Psycho-Pass, les habitants ce sont vus petit à petit privés de leur liberté, de leur libre arbitre mais ils n’en sont pas conscients et ne se rendent pas compte que leur vie entière est dictée par ce nouveau système et que finalement Sybil pourrait être considéré comme un dictateur et que cette société tendrait plus vers la dystopie que vers l’utopie poussant ainsi des individus comme Makishima à s’opposer à ce système.
- Equité
Ainsi, l’Homme tend plus vers une justice équitable plutôt qu’égalitaire. En effet, être équitable, c’est être juste. L’Homme a créé des lois afin de les appliquer sur les potentiels criminels mais sa justice présente une faille car étant trop générale. Il faut donc faire preuve de flexibilité et s’adapter aux circonstances. Pour un même crime (meurtre par exemple), la peine varie selon les circonstances, selon que le meurtre ai tété commis de manière préméditée, lorsque le criminel est un mineur, s’il a des problèmes mentaux ou encore en cas de légitime défense.
Ce concept a été pensé par Beccaria, le fondateur du droit pénal moderne. C’est un juriste, criminaliste, philosophe, économiste et homme de lettre italien rattaché au courant des Lumières. Dans son ouvrage Des délits et des peines datant de 1764, il défend l’importance de proportionner les délits et les peines mais remet également en cause la torture et la peine de mort. Ainsi, selon Beccaria, la punition accordée pour un crime doit être adaptée, ce qui veut donc dire que les peines sont progressives, plus le crime est important plus la sanction est lourde et c’est sur quoi se base jusqu’à maintenant notre société.
Dans l’univers de Psycho-Pass où l’on observe une absence de ces punitions progressives, la peine de mort est la seule punition présente. Beccaria est aussi une figure prédominante dans le combat contre la peine de mort. Il explique dans son œuvre : « il me paraît absurde que les lois, qui sont l’expression de la volonté publique, qui détestent le meurtre et le punissent, en commettent un elles-mêmes, et que, pour éloigner les citoyens de l’assassinat, elles ordonnent un assassinat public ». Ce philosophe nous fait part du paradoxe qu’exerce la justice en commettant un crime pour punir le crime. Beccaria critique la peine de mort puisqu’elle justifierait en quelque sorte que l’homme puisse faire justice lui-même : « La peine de mort est inutile en raison de l’exemple de l’atrocité qu’elle donne aux hommes. »
Cela revient à se demander pourquoi un homme ne pourrait pas faire justice lui-même et exercer sa vengeance alors qu’un homme condamné à mort le sera forcément par un homme lui aussi. Par ailleurs, Emmanuel Kant, philosophe allemand du XVIIIe siècle dans son œuvre Métaphysique des mœurs, doctrine du droit, II défend la peine de mort qui s’oppose aux arguments de Beccaria. Le philosophe promeut la punition : lorsqu’un meurtre est commis, le meurtrier doit mourir. En effet, il estime que le criminel doit subir le pathos de la victime, c’est la manière de rétablir l’équilibre dans le sens moral car celui-ci doit mourir même si cela est inutile étant donné qu’il ne pourra pas réparer le crime commis.
Conclusion
Psycho-Pass nous fait comprendre que, peu importe les progrès techniques en vue de se rapprocher de la justice parfaite et donc de se rapprocher de la justice divine, notre condition humaine demeure une limite pour accomplir cela.
D’autant que les principes sur lesquels cette justice est fondée peuvent contraster avec une certaine notion de morale comme la défend Beccaria.
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