« Un autodafé sans feu »
Version enrichie d’un album (Shelter) en noir et banc paru en 1980 aux Humanoïdes Associés, ce Shelter Market plus coloré et trash n’a rien perdu, quarante ans plus tard, de sa dimension actuelle et révoltée. Ce qui était alors un récit angoissant sur les affres d’une société de consommation de masse toujours plus intrusive se teinte ici, appellation « Market » oblige, d’une mise en garde contre le concept mortifère de surface commerciale.
Nous sommes dans un futur proche. Dans le contexte d’un état d’urgence, un couple ( Thérésa et Jean) fait ses courses juste avant le couvre-feu lorsque, soudain, suite à de prétendues explosions nucléaires commises par des terroristes, le centre commercial ferme ses portes blindées et devient abri atomique, transformant ainsi l’ensemble des clients en une communauté totalitaire.
Comme si l’événement avait été orchestré depuis longtemps, la « direction du centre » organise un plan de survie grâce à tous les vigiles et autres agents de sécurité présents sur les lieux et à un rôle précis dévolu à chaque personne. Pour le bonheur de chacun, on assure aux clients – heureux cobayes d’une expérience inédite mais cruciale ? – qu’ils seront nourris gratuitement jusqu’à ce que la vie revienne au dehors. Il est simplement exigé en retour que tous, malgré la surveillance vidéo omniprésente et le quadrillage quasi militaire de la zone, affichent un large sourire en toutes circonstances. Sur le modèle du clown Mc Do qui essaime la majorité des pages d’un sinistre « Be happy ! ».
« Pour votre sécurité vous n’aurez plus de liberté. » Tout est dit. La sinistre dystopie brutale qui n’a rien à envier au 1984 de G. Orwell, au Brazil de T. Gilliam ou au Blindness de Mereilles voit peu à peu les films, les disques ou livres taxés de « toxiques » retirés des étals de la librairie du centre pendant que le pouvoir instauré se fait de plus en plus fascisant. A tel point, sur le modèle des animaux de la Ferme orwellienne, que certains dans ce huis clos policier en viennent à se demander si cette explosion atomique a jamais réellement existé…
Utilisant collages et effets flashy, Chantal Montellier la subversive revisite de manière très contemporaine et provoc son ancienne fable anti-normalisation consumériste. Utilisant quelques clins d’oeil de-çi de-là à des auteurs reconnus de la bande dessinée (Philippe Druillet, Jacques Tardi entre autres), mais aussi au dirigeant des centres Leclerc (!), elle dénonce sans ambages la mainmise des industriels décidant désormais, dans ce qui ne s’apparente plus à une démocratie mais à la tyrannie de la marchandise, de nos vies de consommateurs effrénés.
Face au Système interventionniste érigé en absolu sous le joug de Pig Brother (sic), exit la liberté, si chère au subjectum des philosophes, d’agir et de penser de manière autonome : seul le groupe importe dorénavant, qui veille soigneusement à contrer le moindre desiderata individualiste.
Non sans ironie féroce, Chantal Montellier montre bien en définitive que faire ses courses, c’est toujours déjà abdiquer à la raison. Et si au-dessus de cette surface commerciale-bulle, écho de la mythique caverne platonicienne où trône la mimésis frauduleuse en lieu et place de la réalité degré zéro, la véritable « surface » jamais n’avait existé ?
Quelle métaphysique substance pourrait bien alors revendiquer un sujet qui n’est plus en son fond ontologique étayé que par le vide et le nihil ?
frederic grolleau,
Chantal Montellier, Shelter Market, Éditions Les Impressions nouvelles, 2017, 100 p. – 20,00 €.
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