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"Transhumain oui. Posthumain non." (dossier)

Publié le 1 Juin 2017, 15:52pm

Catégories : #ARTICLES PRESSE & DOSSIERS

"Transhumain oui. Posthumain non." (dossier)

Cube revue, juin 2017

 

Apres l'humain, Perspectives

"Transhumain oui. Posthumain non."

Les Nanotechnologies, la Biologie, l’Informatique et les sciences Cognitives (intelligence artificielle et sciences du cerveau) progressent et convergent, en ce sens que les découvertes dans un domaine servent aux recherches dans un autre. Cette synergie décuple la puissance de la recherche et permet­ des avancées spectaculaires. Une médecine de combat utilisant toutes les armes NBIC est déjà sur les rails. Derrière la convergence NBIC, une philosophie de transformation radicale de l’Humanité – le Transhumanisme – rêve de changer l’Homme. Les potentialités technologiques sont illimitées et soulèvent naturellement des craintes. De la confrontation entre bio-progressistes (les transhumanistes) et bio-conservateurs dépendra ce que nous deviendrons. Mais derrière le Transhumanisme, qui rêve de changer l’Homme, se profile le Posthumain : Transhumain augmenté par l’hybridation avec des circuits électroniques et doté de l’Intelligence Artificielle. Et le posthumanisme pourrait sonner le glas de l’humanité.

La fusion de la technologie et de la vie

La notion de transhumanisme est encore quasi inconnue en Europe. La première utilisation du mot « transhumaniste » remonte aux années 1950, mais sa popularisation date seulement du milieu des années 1990. C’est à cette période que les chercheurs commencent à cerner les promesses de la convergence NBIC.

Si l’on en croit ses promoteurs, le projet transhumaniste de fusion de la technologie et de la vie devrait se déployer en trois étapes :

— d’abord, la technologie pénètre la vie grâce aux prothèses médicales et la bio-ingénierie. Nous y sommes.

— puis, la technologie permet de créer la vie artificielle. Les annonces fracassantes de Craig Venter témoignent du début de la course.

— enfin, la technologie devrait dépasser, voire remplacer la vie. La montée en puissance de Google, embryon d’intelligence artificielle, prouve que cette étape n’est plus si loin.

Un véritable lobby bio-progressiste est déjà à l’œuvre, qui prône l’adoption enthousiaste de tous les progrès NBIC, quitte à changer l’humanité.

Ce lobby est particulièrement puissant sur les rives du Pacifique, de la Californie à la Chine et à la Corée du Sud, soit – et ce n’est pas un hasard – à proximité des industries NBIC. C’est là qu’émerge la nouvelle devise de notre siècle : « la vie n’est qu’une nanomachine particulièrement sophistiquée ! ».

La plupart des transhumanistes se réclament de l’humanisme, ne sont pas croyants et rejettent le racisme, l’autoritarisme, les pseudo-sciences et les sectes. Ce sont des cartésiens, très au fait des nouvelles technologies, adeptes des libertés individuelles, qui viennent de tous les horizons politiques. La World Transhumanist Association souligne qu’elle milite pour une « démocratie radicale, reposant non pas sur la seule liberté, mais sur l’égalité et la solidarité (pour un accès universel au progrès) ». Cette revendication d’égalité est un vecteur puissant de progression des transgressions biotechnologiques. Les transhumanistes soutiennent une vision radicale des droits de l’humain. Pour eux, peu importent la race, le genre ou l’origine : un citoyen est un individu, un être autonome qui n’appartient à personne d’autre qu’à lui-même, et qui décide seul des modifications qu’il souhaite apporter à son cerveau, à son ADN ou à son corps. La démocratie radicale dans laquelle souhaite vivre le transhumaniste est une société qui ne bride ni les libertés individuelles, ni la volonté de chacun d’augmenter son potentiel. La technologie est un moyen d’échapper à la tyrannie du destin, de la nature, et de sa condition sociale.

Sous l’influence des technologies NBIC, l’Homo sapiens deviendrait, selon les transhumanistes, la première espèce « libre » dans le sens où il serait libéré des incertitudes de la sélection darwinienne. Nous ne serions plus les jouets d’un tri accompli par des forces de sélection aveugles, mais les décisionnaires et véritables sélectionneurs actifs des attributs de notre humanité. L’homme biotechnologique aurait toutes les cartes en main pour « s’arracher à la nature ».

La technologie crée la vie

Nous venons d’entrer, beaucoup plus tôt que prévu, dans la seconde phase du projet transhumaniste : la fusion de la vie et de la technologie.

20 mai 2010 : Craig Venter annonce qu’il a réussi à créer artificiellement un chromosome d’un million de bases chimiques. Ce chromosome artificiel a été entièrement produit en éprouvette en suivant une modélisation informatique.

Puis, ce chromosome artificiel a été intégré dans une bactérie dont on avait auparavant supprimé l’ADN d’origine. L’équipe a enfin réussi à « rebooter », c’est-à-dire à faire redémarrer cet organisme d’un genre nouveau, désormais capable de se reproduire. Pour la première fois, une forme vivante fonctionne avec un programme génétique conçu sur ordinateur, puis construit chimiquement en éprouvette, et n’est plus le produit erratique de la sélection darwinienne. Cela accrédite l’idée que le programme génétique est fondamentalement un subtil logiciel, et la vie une nanomachine, certes particulièrement complexe, mais malléable par la science.

Il existe donc aujourd’hui deux lignées d’espèces vivantes sur Terre : toutes celles qui descendent de LUCA (Last Universal Common Ancestor), la dernière cellule commune avant la séparation des différentes formes naturelles de vie, et JCVI-syn1.0, la création de Venter.

Une compétition industrielle mondiale féroce permettra de créer des « super cellules », plus performantes, plus puissantes, à la durée de vie supérieure. Il devient possible de tester des milliards de génomes artificiels conçus sur ordinateur en associant, tels des morceaux de Lego, des briques génétiques. Craig Venter possède la plus belle collection de ces bio¬bricks qui vont permettre d’écrire les chromosomes à partir de modules préfabriqués.

L’Homme qui se prend pour Dieu

Craig Venter a osé lever le tabou suprême ; il fait partie des « playing God men » (Venter). La démonstration que la vie peut être produite en éprouvette conduit à des débats passionnés sur les limites du pouvoir de l’Homme. Des groupes religieux se sont émus qu’un chercheur se croie autorisé à « imiter Dieu ». Le Président Obama lui-même a diligenté une enquête.

A la suite de Venter, les tentations démiurgiques et prométhéennes des ingénieurs du vivant vont s’accroître. La vie, l’homme vont être perçus comme infiniment manipulables. Quelques voix timides ont demandé un moratoire sur les travaux de Venter, puis elles se sont tues. Il faut dire que le précédent moratoire sur les travaux génétiques, décidé à la conférence d’Asilomar en 1976 en Californie, n’a tenu que quelques semaines ! Qui est aujourd’hui en mesure de poser des limites ? Le bricolage du génome ne fait que commencer.

Le bricolage de la vie ne fait que commencer

La banalisation des technologies nécessaires à la création de la vie artificielle est en marche. L’ Artificial Life progresse d’autant plus vite que les enjeux financiers et industriels sont immenses. Devenir le « Bill Gates de la vie artificielle » est le fantasme de toute une génération de spécialistes de la biologie synthétique.

Une myriade de start-ups génomiques va naître, recréant la dynamique qui a accompagné le début de l’économie du Web. Cette biologie synthétique va devenir un des piliers de l’économie mondiale. Des sociétés comme Blue Heron ou DNA 2.0 ne sont que l’avant-garde de ces futurs « Microsoft de l’ingénierie de la vie ».

Le passage de ces technologies à la médecine quotidienne est juste une question de temps. Il se compte en décennies et non en siècles. La reprogrammation génétique se banalisera afin de traiter les pathologies les plus graves et les plus sensibles aux yeux de l’opinion : le cancer, les maladies neurodégénératives, les myopathies… Une ingénierie de la régénération tissulaire utilisant des cellules souches modifiées et renforcées verra bientôt le jour. On produira des globules rouges renforcés, des neurones moins fragiles…

Le mouvement transhumaniste au cœur du technopouvoir

La domestication de la vie est l’objectif central des « transhumanistes » qui soutiennent l’augmentation de nos capacités. Bien entendu, « l’amélioration » de l’humain soulèvera des débats moraux et éthiques. Mais, dans la guerre pour ou contre la modification de l’Homme, les transhumanistes ont déjà gagné la bataille de l’expertise et de l’influence. L’entrisme des transhumanistes est impressionnant. Des institutions comme la NASA, Arpanet, ou Google sont aux avant-gardes du combat transhumaniste. La production des intellectuels transhumanistes est de grande qualité. Le Pr Nick Bostrom – directeur du Future of Humanity Institute à l’Université d’Oxford – a ainsi publié plusieurs études remarquables sur les rapports entre l’homme biologique et les formes non biologiques d’intelligence.

Pour les transhumanistes, l’humanité n’a aucun scrupule à avoir dans l’utilisation de toutes les possibilités de transformation de l’humain offertes par la science. Cette idéologie se présente comme progressiste : elle souhaite faire profiter l’ensemble des êtres humains des bienfaits de la technologie. Les transhumanistes constituent un lobby de gauche qui souhaite renforcer l’État-providence grâce aux bienfaits de la technologie. On mesure le piège : s’opposer au transhumanisme revient à légitimer les inégalités biologiques et à défendre une société à plusieurs vitesses au nom de valeurs conservatrices comme le respect de la nature. Les bioconservateurs d’aujourd’hui ne défendent plus le slogan « Travail, Famille, Patrie » mais « Dignité, Nature, Divinité ». La gauche française se divisera sur ces sujets bio-politiques, puisque le parti communiste est plutôt bio-progressiste alors que la majorité des socialistes et des Verts sont bio-conservateurs.

Les transhumanistes trouvent normal d’utiliser la technologie pour augmenter nos capacités physiques et mentales. Ils considèrent que la maladie et le vieillissement ne sont pas une fatalité et qu’il est légitime de prétendre à une vie plus longue, plus agréable, sans souffrance ni handicap. Le débat ne porte plus sur l’opportunité de transformer l’Homme mais sur les moyens d’assurer l’égalité de tous dans l’accès à ces techniques. Dernièrement, un éditorialiste d’une prestigieuse revue médicale (The Lancet) s’inquiétait, non des dérives technologiques de renforcement du cerveau humain, mais des conditions nécessaires pour accorder aux étudiants pauvres des bourses leur permettant d’avoir accès à ces traitements. La question ne serait déjà plus celle de l’acceptabilité mais de l’égalité de la diffusion de ces technologies.

De la science-fiction à la médecine-réalité: nous sommes déjà des transhumains

Nous sommes beaucoup plus proches du transhumanisme que nous ne le pensons. En fait, on peut même dire qu’en ce début de XXIe siècle, nous sommes déjà des transhumains. La science nous a permis d’augmenter doucement notre espérance de vie. Nous avons des médicaments efficaces pour de nombreuses pathologies, des prothèses pour réparer nos genoux, nos hanches, nos artères, nos veines, les valves de notre cœur, nos dents ou nos os. Nous savons greffer une main, un cœur ou même un visage. Nous avons créé des prothèses, comme les lentilles de contact, ou des machines comme le pacemaker, pour lutter contre nos imperfections physiques.

De ce point de vue, le transhumanisme apparaît comme la simple continuation d’un mouvement ancien; la poursuite d’un effort pour pallier nos déficiences commencé il y a quelques siècles avec l’invention des lunettes…

Pourquoi faudrait-il se féliciter de l’invention des lunettes pour mieux voir et refuser l’utilisation de la chirurgie oculaire permettant de supprimer la myopie ? Et si on accepte, pourquoi faudrait-il refuser une technologie permettant de rendre la vue aux aveugles? Qui refuse aujourd’hui une prothèse de hanche quand l’arthrose détruit son autonomie ? La fixation d’une limite à ces « béquilles technologiques » est particulièrement difficile.

Qui voudra résister à la « médecine d’amélioration », ce concept défini en 2003 dans un rapport du comité de bioéthique des États-Unis ? Ce document expliquait qu’à l’avenir, il n’y aurait plus de frontière entre la médecine thérapeutique et la médecine de maintien et de prévention. Dans la bio-médecine de demain, les nouveaux médicaments et les technologies thérapeutiques se combineront pour améliorer les capacités humaines.

La science-fiction de naguère devient médecine-réalité. Toute la question est de savoir si, au nom des risques, il faut – et s’il est possible de – s’opposer à la convergence des NBIC.

L’Histoire a montré que l’homme ne résiste jamais à l’attrait de la nouveauté, quand bien même celle-ci recèlerait un danger. L’homme résistera d’autant moins à la révolution biotechnologique que celle-ci lui promet un développement de sa propre puissance et une victoire sur la mort.

L’humanité : une perpétuelle version béta

À travers l’opposition entre transhumanistes et tenants du bioconservatisme, ce sont en fait deux conceptions radicalement différentes de l’humanité et de son sens qui se font face.

La vision bioconservatrice repose sur une vision statique de l’Humanité.

La vision transhumaniste se situe résolument en rupture. Considérant que nous sommes le fruit d’une évolution au hasard, elle milite résolument pour une modification ad libitum du corps humain. Il s’agit de faire de l’homme un être en perpétuelle évolution. L’Homme devient un terrain d’expérimentation pour les technologies NBIC : un être perfectible, modifiable jour après jour par lui-même. L’idée est que l’homme du futur sera comme un site Web, à tout jamais une « version beta », c’est-à-dire un organisme-prototype voué à se perfectionner en continu.

Pour les tenants du transhumanisme, l’homme doit s’augmenter, se modifier en permanence, utilisant toutes les ressources génétiques, biomécaniques et informatiques qui lui sont offertes. Il n’y a aucune raison, selon eux, de fixer une quelconque limite aux capacités cognitives, mémorielles, ni même physiques que nous allons développer.

La victoire des idées transhumanistes est une certitude angoissante pour les bio-conservateurs. Francis Fukuyama, ne doute pas de l’avènement de cette nouvelle humanité. Dans son livre La Fin de l’homme, il met en garde contre les technologies qui vont transformer l’humanité, et s’inquiète des conséquences politiques de cette révolution. Pour lui, la victoire du transhumanisme est aussi inquiétante que certaine. Fukuyama va jusqu’à imaginer que les bioconservateurs devraient avoir recours aux armes pour protéger l’humanité biologique des « excès » de la science…

Le technopouvoir entre multinationales de la high-tech et philanthropreneurs

Les conséquences des technologies NBIC ne seront pas comparables aux progrès de la science que nous avons connus par le passé : la technomédecine va transformer nos sociétés de fond en comble.

 

La nouvelle fondation du capitalisme

Les entreprises de l’ère NBIC pourraient devenir tentaculaires. Google pourrait bien devenir l’un des principaux architectes de la révolution NBIC. Entre bioconservatisme et transhumanisme, Google a très clairement choisi son camp : elle participe activement au lobbying bio-progressiste. Google parraine, avec d’autres organisations telles que la Nasa, la Singularity University qui organise des séminaires avec les meilleurs spécialistes de la convergence NBIC. Le but : former aux progrès technologiques NBIC. Le terme singularity (« la singularité »), utilisé par les Anglo-Saxons, est un concept qui défend l’idée que la civilisation humaine sera un jour inévitablement dépassée par l’intelligence artificielle. Si l’on ajoute que Ray Kurzweil, le pape du transhumanisme, dirige en personne cette université et vient d’être nommé Directeur du développement de Google, on aura compris dans quelle optique Google se place…

L’arrivée des philanthropreneurs

Ce serait une erreur d’imaginer que le technopouvoir sera uniquement constitué de capitalistes obnubilés par la rentabilité. Les milliardaires de la high-tech développent une activité philanthropique à côté du business. Ce « philanthro¬capitalisme » est d’une efficacité redoutable : il associe le professionnalisme de ces capitaines d’industrie et une vision messianique cherchant à faire progresser la médecine et la science. Bill Gates et Warren Buffet, les deux hommes les plus riches de la planète, ont presque déshérité leurs enfants pour financer la recherche médicale dans le domaine des maladies infectieuses. La fondation Bill et Melinda Gates a ridiculisé l’Organisation Mondiale de la Santé en assurant en Afrique une couverture vaccinale jugée impossible. Paul Allen, le cofondateur avec Bill Gates de Microsoft, a ouvert un fabuleux centre de recherche high-tech consacré à la recherche sur le cerveau. Il a industrialisé la recherche sur la génétique du cerveau dans un cadre philanthropique, sans aucun objectif de profit.

L’idéologie transhumaniste s’appuiera ainsi sur deux types de compagnons de route : les « capitalistes NBIC » et les « philanthropreneurs NBIC ». En 2009, Bill Gates (www.gatesfoundation.org dont la devise est « Toutes les vies ont la même valeur ») et Warren Buffet ont lancé une initiative pour encourager les milliardaires du monde entier à léguer 50 % de leur fortune à des œuvres philanthropiques. Les milliardaires étant majoritairement technophiles et proche de l’idéologie transhumaniste, il est probable qu’une part significative des dons seront investis dans des projets médicaux et scientifiques NBIC.

Il sera très difficile de réguler la recherche désintéressée menée par les philanthtropreneurs qui s’appuiera sur les lobbies de patients. C’est pour cette raison qu’il est urgent que les citoyens s’emparent de cette question pour tenter d’en garder la maîtrise. Un pouvoir citoyen doit s’organiser et des contre¬pouvoirs sont indispensables.

Mais le combat n’est pas gagné : les patients préféreront presque toujours une petite ration de technologie supplémentaire à la mort ou au handicap. Plutôt transhumain que mort, penseront la plupart des patients !

 

Et puis après : le PostHumain ?

Pas à pas, année après année, petite transgression indolore par petite transgression indolore, notre transhumanité toujours plus technophile pourrait se faire à l’idée de la « posthumanité ». Il est possible qu’il y ait en 2100 ou 2200 une majorité d’individus – des populations déjà génétiquement modifiées, et « améliorées » à bien des égards – pour passer de l’autre côté de la barrière. Au terme du processus, le posthumain serait doté d’une intelligence artificielle d’une puissance phénoménale, lui permettant notamment de connecter son cerveau à un univers virtuel hyperréaliste de son choix. Son corps ne serait plus malade, ne se détériorerait plus, permettant de conserver une vigueur et une jeunesse quasi éternelles. La fatigue physique et intellectuelle n’existerait plus. L’extension du champ des possibles réservés aux posthumains devrait attirer de nombreux transhumains. Les néo-luddistes, les religieux et les écologistes conservateurs manifesteront sans doute contre ce qu’ils considéreront comme la fin de l’Humanité. Nous entrerions selon eux dans un univers glacé, hostile, déshumanisé, dirigé par des savants fous. Mais il ne fait guère de doute qu’ils seront minoritaires. Qui pourra et, surtout, qui voudra résister aux pouvoirs dont disposeraient les posthumains ? Un « posthumain » bardé de puces électroniques n’aurait plus rien d’humain. Ce futur qui s’annonce leur semble instinctivement contre nature.

Une barrière radicale pourrait séparer les posthumains des autres groupes. Il y aura une séparation marquée entre les humains « cyborgs », augmentés par l’intelligence artificielle, et ceux dotés d’une simple intelligence biologique. Les opposants sérieux à la posthumanité mettent en avant le risque d’un conflit entre humains biologiques et posthumains. Le posthumain risque de considérer l’humain biologique comme un singe stupide et malfaisant ; une espèce inférieure qu’il convient de réduire en esclavage ou, pour plus de sécurité, d’éliminer de la surface de la terre. Il y aurait là les ingrédients d’un conflit frontal fondé sur des différences jugées irréductibles. Le fossé entre les capacités intellectuelles d’un camp par rapport à l’autre rendrait le dialogue impossible. Georges Annas prédit un « génocide génétique » et voit dans la posthumanité une arme de destruction massive. Ce risque existentiel rend bien dérisoires certains philosophes transhumanistes, qui considèrent qu’une attitude hostile vis-à-vis de l’intelligence artificielle constituerait « un nouveau racisme » : le racisme de l’intelligence biologique (nous) à l’encontre de l’intelligence siliconée (artificielle) ! Nous ne pouvons pas partir du postulat que les minorités d’humains augmentés resteront débonnaires.

Aujourd’hui, il n’existe qu’un embryon d’intelligence artificielle : Google. Mais il s’agit encore d’une IA débonnaire, qui est dépendante de l’Humanité et qu’il n’est guère difficile de débrancher. Mais demain ? Dans un monde qui pourrait être dominé par l’intelligence artificielle et les posthumains (humains dotés d’une intelligence artificielle), quel sera le rôle de l’Homme ? Comment protéger l’Humanité biologique, avec ses faiblesses et ses particularités, face aux machines ? À défaut de bloquer l’émergence de toute forme d’intelligence artificielle, il faudra s’assurer que nous garderons l’essentiel : le rôle de chef d’orchestre. Nous devrons réguler un monde qui aura la capacité de s’améliorer et de progresser sans nous. Nous devrons veiller à garder le contrôle en érigeant des règles de prudence élémentaires face au risque de soulèvement des machines. L’écrivain Isaac Asimov avait déjà pensé à cela en écrivant une prémonitoire « charte des robots » dans les années 1950.

Laurent Alexandre

Source :

http://cuberevue.com/transhumain-oui-posthumain-non/2293

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