Renaître et ne plus mourir
Le transhumanisme, ou fable techno-philosophique de plus en plus réaliste d'une humanité cyber-augmentée au point où elle se désubtantialiserait, nourrit les fantasmes prométhéens et les spéculations bio-scientistes les plus vives. Beaucoup, dans la lignée du Surhumain nieztschéen rêvent en effet d'un avenir où la maladie, le vieillissement, la mort elle-même seraient obsolètes.
C'est dans cette perspective que s'ouvre le thriller décapant de Thierry Berlanda. Les deux membres de l’unité spéciale Titan, Jacques Salmon et Justine Barcella, ayant tous les moyens concevables à leur disposition pour faire valoir les prérogatives de la République, mènent une enquête ardue sur la torture orchestrée par trois tueuses chevronnées qu'a subie un industriel de l’agroalimentaire (retrouvé affreusement blessé dans une bétaillère remplie de génisses). De Paris jusqu’au Nigeria, à Lagos, ils devront démêler les responsabilités du groupe scientifique et industriel international Histal, dont une branche est spécialisée dans les greffes et hybridations inter-espèces, notamment à partir de nanotechnologies révolutionnaires.
Si Berlanda respecte à la lettre tous les codes du page-turner, son roman, agrémenté de renvois musicaux précis, étant maîtrisé aussi bien du côté des technologies et autres bio-pouvoirs high tech mais totalitaires qui constituent le fond de l'histoire que du côté de Lagos, incroyable et effrayant écrin sans foi ni loi pour le trafic d’organes et les manipulations génétiques, il sait aussi s'en excepter en court-circuitant les normes du genre dans le dernier tiers de Naija (soit le Nigéria ainsi nommé par ses habitants). Outre le bonus track final,il y a là un retournement bien vu et bienvenu, qui permet de reprendre le scénario à nouveaux frais.
Fort bien rédigé, et parfois même assez soutenu (ce n'est pas tous les jours que l'on rencontre dans un roman de ce type le terme "apodictique" usuellement réservé à la philosophie kantienne pour désigner le « très nécessaire»), le lecteur regrettera peut-être que le volet scientifique du récit soit souvent évoqué dans des pages très intenses quand il aurait aimé que l'enjeu de la manipulation du vivant et de la vie fasse l'objet de plus amples explicitations (voire de chapitres entiers).
Reste que ce « nouveau monde » ainsi campé, d'où toute morale semble expurgée au profit d'un darwinisme social assumé par des décideurs borderline fait froid dans le dos et donne à méditer. Et si, pour revenir à ce bon vieux Kant, le prix de la vie était tout sauf marchand ? Et si la dignité et le respect étaient ces fondements mêmes de l'humanité que rien ne peut ni acheter ni convoiter ?
frederic grolleau
Thierry Berlanda, Naija, éditions du Rocher, avril 2017, 436 p. - 20,50 €.
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